Le salaire minimum permet d’améliorer la productivité des pays en développement
La hausse du salaire minimum peut-elle améliorer la condition des travailleurs sans nuire au processus de croissance ? Une récente étude du CEPII montre que la réforme du salaire minimum mise en œuvre en Chine en 2004 a incité les entreprises à améliorer leurs processus de production.
Par Sandra Poncet, Florian Mayneris
Billet du 19 novembre 2014
La hausse du salaire minimum peut-elle améliorer la condition des travailleurs sans nuire au processus de croissance ? Les récentes émeutes au Bangladesh et au Cambodge, ainsi que les récents sondages en Chine [1] montrent que la demande sociale pour une meilleure répartition des fruits de la croissance est très élevée dans les pays en développement. Toutefois, les fédérations patronales restent fermement opposées à la mise en place de réglementations sur le marché du travail. Elles craignent que des augmentations salariales n’érodent leurs marges, et elles menacent, si tel était le cas, de délocaliser leurs activités vers des pays à plus bas salaires encore.
Dans une récente étude du CEPII, nous nous sommes intéressés à ces questions en mesurant les effets d’une réforme du salaire minimum mise en œuvre en Chine en 2004 sur les performances des entreprises et sur la productivité agrégée des villes chinoises.
Pourquoi la Chine ?
Le mode de fixation des salaires en Chine présente des caractéristiques particulièrement propices à une analyse statistique des effets du salaire minimum dans un pays en développement. C’est tout d’abord un pays emblématique de la production à bas salaires : en 2004, le salaire mensuel moyen dans l’industrie manufacturière y était égal à 141 dollars, contre 342 dollars au Mexique et plus de 2 900 dollars aux États-Unis. De plus, en Chine, le salaire minimum est fixé par les villes : son niveau et son évolution varient fortement d’une ville à l’autre. Cette hétérogénéité spatiale est précieuse pour l’analyse statistique. Toutefois, la liberté donnée aux villes dans la fixation du salaire minimum implique que ces dernières peuvent adapter la réglementation en fonction de leur conjoncture : il peut alors être difficile d’identifier ce qui est imputable au salaire minimum en tant que tel, et ce qui est lié aux conditions économiques locales. À cet égard, la réforme importante du salaire minimum mise en place par le gouvernement chinois en 2004 est particulièrement intéressante. Par sa logique « top-down », elle impose aux localités des augmentations de salaire minimum sans précédent, ce dernier devant désormais se situer dans une fourchette de 40 % à 60 % du salaire local moyen. Les sanctions en cas de non-respect du salaire minimum ont par ailleurs été renforcées. La croissance du salaire minimum s’est ainsi fortement accélérée sur une courte période de temps (avec un taux de croissance de 15,5 % par an en moyenne entre 2004 et 2007, contre 6,9 % entre 2000 et 2003). Le caractère massif, rapide et « top-down » de cette réforme offre un cadre d’analyse idéal pour étudier les effets microéconomiques et agrégés du salaire minimum en Chine.
Les effets du salaire minimum sur les performances des entreprises et sur la productivité agrégée des villes chinoises
Nous étudions comment les hausses de salaire minimum se répercutent sur les entreprises. Pour ce faire, nous comparons les performances économiques de deux groupes d'entreprises entre 2003 et 2005 : les entreprises « exposées » à la réforme, définies comme celles payant en moyenne en 2003 des salaires inférieurs au salaire minimum local en vigueur après la réforme de 2004, et les entreprises « non-exposées » qui versaient avant même la réforme des salaires en moyenne plus élevés que le futur plancher. Nous utilisons une fenêtre temporelle relativement courte (2 ans) pour concentrer notre analyse sur la forte hausse des salaires en 2004.
Nos résultats montrent que la hausse du salaire minimum conduit certaines entreprises exposées à fermer. En revanche, pour les entreprises qui survivent, les salaires augmentent sans que leur dynamique d’emploi ne soit négativement affectée. En effet, leur productivité augmente, ce qui leur permet d’absorber le choc de coût que représente la hausse du salaire minimum dans leur ville.
Au niveau de la ville dans son ensemble, la hausse du salaire minimum ne semble pas avoir d’impact sur l’emploi industriel : les suppressions d’emplois liées aux fermetures d’entreprises semblent exactement compensées par la création de nouveaux établissements (les entreprises de notre échantillon représentant 70% de l’emploi industriel total). Mieux, la productivité agrégée de la ville augmente. Les entreprises survivantes affectées par la hausse du salaire minimum ont vu leur productivité augmenter. Les entreprises qui ont dû fermer étaient en général moins productives que la moyenne, alors que les nouveaux entrants ont au contraire une productivité plus élevée. La hausse du salaire minimum apparaît donc en Chine comme un élément de dynamisation du tissu industriel. Les effets que nous obtenons sont importants : sur la période 2003-2005, 20 % de la croissance de la productivité des entreprises et des villes chinoises est explicable par la hausse du salaire minimum.
La Chine, un cas à part ?
Bien que le débat soit encore vif parmi les économistes, plusieurs travaux sur données américaines, anglaises ou encore canadiennes suggèrent que les hausses de salaire minimum ont un effet très faible sur l'emploi. Nos résultats sur le cas chinois ne sont donc pas aussi surprenants qu’il y paraît à première vue.
En effet, d’un point de vue théorique, plusieurs mécanismes peuvent venir compenser la hausse des coûts engendrée par la croissance du salaire minimum : la réduction du taux de rotation de la main-d’œuvre, la réduction des marges ou encore l'amélioration de l'efficacité organisationnelle peuvent notamment permettre de limiter les pertes d'emploi. Draca et al. (2011) montrent par exemple qu’au Royaume-Uni, les entreprises ont entièrement absorbé le choc lié à la mise en place du salaire minimum dans les années 1990 par une diminution de leur taux de marge, sans avoir à faire de coupes claires dans leurs effectifs.
Dans les pays en développement, les sources d’inefficacité productive sont plus nombreuses. Plusieurs travaux montrent de plus qu’il existe dans ces pays un coût fixe parfois élevé pour les entreprises à l’adoption de technologies ou de modes d’organisation plus efficaces (coûts monétaires, mais aussi coûts d’apprentissage, biais cognitifs, tendance à la procrastination). Or plus les salaires sont bas, moins les inefficiences dans le processus de production sont gênantes pour les entreprises : ces dernières peuvent, dans ce cas, rationnellement décider de conserver leur mode de production, même s’il est moins efficace. Au contraire, plus les salaires augmentent, plus le coût d’opportunité de ne pas adopter les meilleures technologies et les modes d’organisation les plus efficients devient élevé. Ainsi que le suggèrent nos résultats, la hausse du salaire minimum, en renchérissant les coûts de production, peut donc être un moyen d’inciter les entreprises dans les pays en développement à améliorer leurs processus de production.
Pour en savoir plus :
« Salaire minimum, emploi et productivité : l’expérience chinoise de 2004 », La Lettre du CEPII n°348, par Florian Mayneris et Sandra Poncet, octobre 2014.
Dans une récente étude du CEPII, nous nous sommes intéressés à ces questions en mesurant les effets d’une réforme du salaire minimum mise en œuvre en Chine en 2004 sur les performances des entreprises et sur la productivité agrégée des villes chinoises.
Pourquoi la Chine ?
Le mode de fixation des salaires en Chine présente des caractéristiques particulièrement propices à une analyse statistique des effets du salaire minimum dans un pays en développement. C’est tout d’abord un pays emblématique de la production à bas salaires : en 2004, le salaire mensuel moyen dans l’industrie manufacturière y était égal à 141 dollars, contre 342 dollars au Mexique et plus de 2 900 dollars aux États-Unis. De plus, en Chine, le salaire minimum est fixé par les villes : son niveau et son évolution varient fortement d’une ville à l’autre. Cette hétérogénéité spatiale est précieuse pour l’analyse statistique. Toutefois, la liberté donnée aux villes dans la fixation du salaire minimum implique que ces dernières peuvent adapter la réglementation en fonction de leur conjoncture : il peut alors être difficile d’identifier ce qui est imputable au salaire minimum en tant que tel, et ce qui est lié aux conditions économiques locales. À cet égard, la réforme importante du salaire minimum mise en place par le gouvernement chinois en 2004 est particulièrement intéressante. Par sa logique « top-down », elle impose aux localités des augmentations de salaire minimum sans précédent, ce dernier devant désormais se situer dans une fourchette de 40 % à 60 % du salaire local moyen. Les sanctions en cas de non-respect du salaire minimum ont par ailleurs été renforcées. La croissance du salaire minimum s’est ainsi fortement accélérée sur une courte période de temps (avec un taux de croissance de 15,5 % par an en moyenne entre 2004 et 2007, contre 6,9 % entre 2000 et 2003). Le caractère massif, rapide et « top-down » de cette réforme offre un cadre d’analyse idéal pour étudier les effets microéconomiques et agrégés du salaire minimum en Chine.
Les effets du salaire minimum sur les performances des entreprises et sur la productivité agrégée des villes chinoises
Nous étudions comment les hausses de salaire minimum se répercutent sur les entreprises. Pour ce faire, nous comparons les performances économiques de deux groupes d'entreprises entre 2003 et 2005 : les entreprises « exposées » à la réforme, définies comme celles payant en moyenne en 2003 des salaires inférieurs au salaire minimum local en vigueur après la réforme de 2004, et les entreprises « non-exposées » qui versaient avant même la réforme des salaires en moyenne plus élevés que le futur plancher. Nous utilisons une fenêtre temporelle relativement courte (2 ans) pour concentrer notre analyse sur la forte hausse des salaires en 2004.
Nos résultats montrent que la hausse du salaire minimum conduit certaines entreprises exposées à fermer. En revanche, pour les entreprises qui survivent, les salaires augmentent sans que leur dynamique d’emploi ne soit négativement affectée. En effet, leur productivité augmente, ce qui leur permet d’absorber le choc de coût que représente la hausse du salaire minimum dans leur ville.
Au niveau de la ville dans son ensemble, la hausse du salaire minimum ne semble pas avoir d’impact sur l’emploi industriel : les suppressions d’emplois liées aux fermetures d’entreprises semblent exactement compensées par la création de nouveaux établissements (les entreprises de notre échantillon représentant 70% de l’emploi industriel total). Mieux, la productivité agrégée de la ville augmente. Les entreprises survivantes affectées par la hausse du salaire minimum ont vu leur productivité augmenter. Les entreprises qui ont dû fermer étaient en général moins productives que la moyenne, alors que les nouveaux entrants ont au contraire une productivité plus élevée. La hausse du salaire minimum apparaît donc en Chine comme un élément de dynamisation du tissu industriel. Les effets que nous obtenons sont importants : sur la période 2003-2005, 20 % de la croissance de la productivité des entreprises et des villes chinoises est explicable par la hausse du salaire minimum.
La Chine, un cas à part ?
Bien que le débat soit encore vif parmi les économistes, plusieurs travaux sur données américaines, anglaises ou encore canadiennes suggèrent que les hausses de salaire minimum ont un effet très faible sur l'emploi. Nos résultats sur le cas chinois ne sont donc pas aussi surprenants qu’il y paraît à première vue.
En effet, d’un point de vue théorique, plusieurs mécanismes peuvent venir compenser la hausse des coûts engendrée par la croissance du salaire minimum : la réduction du taux de rotation de la main-d’œuvre, la réduction des marges ou encore l'amélioration de l'efficacité organisationnelle peuvent notamment permettre de limiter les pertes d'emploi. Draca et al. (2011) montrent par exemple qu’au Royaume-Uni, les entreprises ont entièrement absorbé le choc lié à la mise en place du salaire minimum dans les années 1990 par une diminution de leur taux de marge, sans avoir à faire de coupes claires dans leurs effectifs.
Dans les pays en développement, les sources d’inefficacité productive sont plus nombreuses. Plusieurs travaux montrent de plus qu’il existe dans ces pays un coût fixe parfois élevé pour les entreprises à l’adoption de technologies ou de modes d’organisation plus efficaces (coûts monétaires, mais aussi coûts d’apprentissage, biais cognitifs, tendance à la procrastination). Or plus les salaires sont bas, moins les inefficiences dans le processus de production sont gênantes pour les entreprises : ces dernières peuvent, dans ce cas, rationnellement décider de conserver leur mode de production, même s’il est moins efficace. Au contraire, plus les salaires augmentent, plus le coût d’opportunité de ne pas adopter les meilleures technologies et les modes d’organisation les plus efficients devient élevé. Ainsi que le suggèrent nos résultats, la hausse du salaire minimum, en renchérissant les coûts de production, peut donc être un moyen d’inciter les entreprises dans les pays en développement à améliorer leurs processus de production.
Pour en savoir plus :
« Salaire minimum, emploi et productivité : l’expérience chinoise de 2004 », La Lettre du CEPII n°348, par Florian Mayneris et Sandra Poncet, octobre 2014.
[1] Indiquant que huit personnes sur dix considèrent que « les riches deviennent plus riches tandis que les pauvres deviennent plus pauvres » (Pewresearch Center, 2012).
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