Quantitative easing de la BCE et évolutions monétaires et financières en zone euro
Depuis le début de 2015, la BCE s’est engagée sur la voie des rachats de titres de dette sur le marché, imitant ainsi la Fed qui avait, dés le début de la crise, pratiqué ces opérations sur une grande échelle.
Par Jean-Pierre Patat
Billet du 26 mai 2015
L’examen du bilan de l’institution montre que ces achats de titres ont atteint un peu moins de 70 milliards d’euros durant le premier trimestre. On ne saurait cependant réduire le « quantitative easing » façon BCE à ces opérations, car la banque centrale procède depuis plusieurs années à des refinancements à long terme exceptionnels auprès des banques (LTRO). Alors que l’encours de ces apports de liquidité n’avait guère varié durant l’exercice 2014, il a augmenté de 600 milliards d’euros au premier trimestre. Durant les trois premiers mois de l’année, ce sont donc environ 670 milliards d’euros de liquidités que le quantitative easing a procurées. On notera que, dans ce montant global, les rachats de titres, présentés comme une révolution copernicienne de la BCE, s’ils ne sont pas négligeables sont (pour le moment ?) très minoritaires.
Peut-on évaluer l’impact de ces mesures sur les objectifs que s’était tacitement fixés la banque centrale : ranimer la croissance de la masse monétaire et du crédit, abaisser les taux d’intérêt à long terme ; enfin faire remonter le taux d’inflation dans la zone, au niveau zéro voire légèrement négatifs en fin 2014.
S’agissant des agrégats monétaires, la croissance de M3 atteignait 4,6 % en mars 2015, alors que durant des années, elle n’avait guère dépassé 1 %. La reprise de la progression de cet agrégat est toutefois intervenue, dès la mi-2014 puisque, de 1 % sur un an, elle remonte à 1,8 % en juin, 2,5 % en septembre, 3,6 % en décembre. Notons par ailleurs qu’au sein de cet agrégat large qui regroupe les avoirs immédiatement disponibles (billets, monnaies et dépôts à vue), ainsi que les placements à court terme réputés liquides (notamment les comptes sur livret, les sicav court terme…) la croissance des premiers a bondi de 5 % à 10 % en un an, tandis que l’encours des seconds, dont les rémunérations sont devenues très faibles, n’a guère augmenté.
Qu’est-ce qui est à l’origine de la reprise, assez nette, de la croissance monétaire ? La création monétaire résulte initialement des apports en liquidités de l’extérieurs (recettes d’exportations de biens et services, placements des non résidents en monnaie nationale) et des crédits octroyés parles banques à des agents non financiers (administrations publiques, ménages, entreprises). Initialement car, ensuite, la monnaie change de mains et peut être détruite (consolidée) si les nouveaux détenteurs achètent des titres à des agents financiers ou investissent à l’étranger. L’apport net de l’extérieur semble avoir été négligeable ; en revanche les concours octroyés par les institutions financières monétaires (IFM, banques au sens large) de la zone euro ont, depuis le point bas de la fin du printemps 2014, créé plus de 440 milliards de monnaie. On peut regretter que dans ce montant global, près de 200 milliards ait résulté de concours aux administrations (achats de bons du Trésor et d’obligations d’état), et que l’augmentation de l’encours des crédits au secteur privé ait bénéficié exclusivement aux ménages tandis que les crédits aux entreprises n’ont pas connu de reprise. Les chiffres n’en montrent pas moins un assez net rebond de l’activité bancaire qui parait assez bien cadrer avec l’augmentation de la monnaie en circulation.
Quel a été l’apport de la BCE dans ces évolutions ? En principe, une banque centrale ne crée pas de monnaie puisque les bénéficiaires exclusifs de ses concours sont les banques. Mais les rachats de titres de dette par la BCE ont pu contribuer, à la marge, à la création monétaire si des vendeurs de ces titres sont des agents non financiers (ménages par l’intermédiaire des sicav, fonds d’épargne…). La BCE, qui explique clairement cela dans son dernier bulletin estime que cela n’a pu être que minoritaire.
Mais il y a eu aussi les 600 milliards d’euro d’apports en monnaie centrale par les LTRO. Là encore, la BCE explique qu’il n’y a pas de lien direct entre l’augmentation de la base monétaire (monnaie centrale) et celle de la monnaie en circulation. Ces milliards ont-ils eu une influence sur la reprise de la distribution des concours des IFM ? Si ces dernières avaient des inquiétudes sur la situation du marché interbancaire où anticipaient un relèvement des taux d’intérêts, cela aurait pu les encourager à se montrer plus allants dans leur offre de crédit. Mais le marché interbancaire fonctionne de nouveau normalement et personne n’anticipe une hausse prochaine des taux de la BCE. Par ailleurs, en matière de distribution du crédit c’est la demande qui créé la dynamique initiale. Ensuite bien sûr il y a la réponse des banques. On admettra que, dans ce contexte d’abondance de liquidités, les banques ont pu se montrer moins frileuses, restrictives, qu’elles ne l’auraient été spontanément.
L’action de la Banque centrale aurait par conséquent, selon mon analyse, accompagné une évolution amorcée depuis plusieurs mois mais n‘aurait pas, à ce jour, été à l’origine d’un « déclic » dont on voit d’ailleurs mal comment, elle pourrait le provoquer.
Quant à l’action à la baisse sur les taux à long terme qui résulterait des rachats de titres de dettes, les chiffres actuels tendraient à montrer que c’est un échec puisqu’en quelques semaines les taux allemands et français ont doublé. Mais on a vu que les montants de ces rachats étaient pour l‘instant relativement modestes. Surtout, on se trouve face à un mouvement général de hausse des taux à long terme, qui ne concerne pas seulement la zone euro et qu’il faut mettre en parallèle avec la montée impressionnante des cours des actions, les niveaux extravagamment bas atteints par les taux de certains pays ayant finit par décourager les souscripteurs potentiels.
Enfin, on constate que le taux d’inflation dans la zone euro a quitté les terrains négatifs. Modestement, la BCE y voit l’effet de la hausse du prix du pétrole (+ 40 % depuis le début de l’année) dont la reprise de l’euro face au dollar n’a pas suffi à atténuer les effets.
L’action de la BCE intervient alors que la confiance des ménages s’est sensiblement améliorée dans la zone (en partie à cause… de la faible hausse des prix) et que partout, même en Allemagne, c’est la consommation qui dope la reprise. Un contexte où l’incidence directe de cette action est difficile à déceler, mais où l’on peut penser qu’elle contribue à entretenir un climat qui s’éclaircit.
Le quantitative easing, sous toutes ses formes est en tout cas une très bonne affaire… pour les banque centrales nationales de l’Eurosystème, leurs bénéfices et donc les finances des États actionnaires et collecteurs d’impôts.
Peut-on évaluer l’impact de ces mesures sur les objectifs que s’était tacitement fixés la banque centrale : ranimer la croissance de la masse monétaire et du crédit, abaisser les taux d’intérêt à long terme ; enfin faire remonter le taux d’inflation dans la zone, au niveau zéro voire légèrement négatifs en fin 2014.
S’agissant des agrégats monétaires, la croissance de M3 atteignait 4,6 % en mars 2015, alors que durant des années, elle n’avait guère dépassé 1 %. La reprise de la progression de cet agrégat est toutefois intervenue, dès la mi-2014 puisque, de 1 % sur un an, elle remonte à 1,8 % en juin, 2,5 % en septembre, 3,6 % en décembre. Notons par ailleurs qu’au sein de cet agrégat large qui regroupe les avoirs immédiatement disponibles (billets, monnaies et dépôts à vue), ainsi que les placements à court terme réputés liquides (notamment les comptes sur livret, les sicav court terme…) la croissance des premiers a bondi de 5 % à 10 % en un an, tandis que l’encours des seconds, dont les rémunérations sont devenues très faibles, n’a guère augmenté.
Qu’est-ce qui est à l’origine de la reprise, assez nette, de la croissance monétaire ? La création monétaire résulte initialement des apports en liquidités de l’extérieurs (recettes d’exportations de biens et services, placements des non résidents en monnaie nationale) et des crédits octroyés parles banques à des agents non financiers (administrations publiques, ménages, entreprises). Initialement car, ensuite, la monnaie change de mains et peut être détruite (consolidée) si les nouveaux détenteurs achètent des titres à des agents financiers ou investissent à l’étranger. L’apport net de l’extérieur semble avoir été négligeable ; en revanche les concours octroyés par les institutions financières monétaires (IFM, banques au sens large) de la zone euro ont, depuis le point bas de la fin du printemps 2014, créé plus de 440 milliards de monnaie. On peut regretter que dans ce montant global, près de 200 milliards ait résulté de concours aux administrations (achats de bons du Trésor et d’obligations d’état), et que l’augmentation de l’encours des crédits au secteur privé ait bénéficié exclusivement aux ménages tandis que les crédits aux entreprises n’ont pas connu de reprise. Les chiffres n’en montrent pas moins un assez net rebond de l’activité bancaire qui parait assez bien cadrer avec l’augmentation de la monnaie en circulation.
Quel a été l’apport de la BCE dans ces évolutions ? En principe, une banque centrale ne crée pas de monnaie puisque les bénéficiaires exclusifs de ses concours sont les banques. Mais les rachats de titres de dette par la BCE ont pu contribuer, à la marge, à la création monétaire si des vendeurs de ces titres sont des agents non financiers (ménages par l’intermédiaire des sicav, fonds d’épargne…). La BCE, qui explique clairement cela dans son dernier bulletin estime que cela n’a pu être que minoritaire.
Mais il y a eu aussi les 600 milliards d’euro d’apports en monnaie centrale par les LTRO. Là encore, la BCE explique qu’il n’y a pas de lien direct entre l’augmentation de la base monétaire (monnaie centrale) et celle de la monnaie en circulation. Ces milliards ont-ils eu une influence sur la reprise de la distribution des concours des IFM ? Si ces dernières avaient des inquiétudes sur la situation du marché interbancaire où anticipaient un relèvement des taux d’intérêts, cela aurait pu les encourager à se montrer plus allants dans leur offre de crédit. Mais le marché interbancaire fonctionne de nouveau normalement et personne n’anticipe une hausse prochaine des taux de la BCE. Par ailleurs, en matière de distribution du crédit c’est la demande qui créé la dynamique initiale. Ensuite bien sûr il y a la réponse des banques. On admettra que, dans ce contexte d’abondance de liquidités, les banques ont pu se montrer moins frileuses, restrictives, qu’elles ne l’auraient été spontanément.
L’action de la Banque centrale aurait par conséquent, selon mon analyse, accompagné une évolution amorcée depuis plusieurs mois mais n‘aurait pas, à ce jour, été à l’origine d’un « déclic » dont on voit d’ailleurs mal comment, elle pourrait le provoquer.
Quant à l’action à la baisse sur les taux à long terme qui résulterait des rachats de titres de dettes, les chiffres actuels tendraient à montrer que c’est un échec puisqu’en quelques semaines les taux allemands et français ont doublé. Mais on a vu que les montants de ces rachats étaient pour l‘instant relativement modestes. Surtout, on se trouve face à un mouvement général de hausse des taux à long terme, qui ne concerne pas seulement la zone euro et qu’il faut mettre en parallèle avec la montée impressionnante des cours des actions, les niveaux extravagamment bas atteints par les taux de certains pays ayant finit par décourager les souscripteurs potentiels.
Enfin, on constate que le taux d’inflation dans la zone euro a quitté les terrains négatifs. Modestement, la BCE y voit l’effet de la hausse du prix du pétrole (+ 40 % depuis le début de l’année) dont la reprise de l’euro face au dollar n’a pas suffi à atténuer les effets.
L’action de la BCE intervient alors que la confiance des ménages s’est sensiblement améliorée dans la zone (en partie à cause… de la faible hausse des prix) et que partout, même en Allemagne, c’est la consommation qui dope la reprise. Un contexte où l’incidence directe de cette action est difficile à déceler, mais où l’on peut penser qu’elle contribue à entretenir un climat qui s’éclaircit.
Le quantitative easing, sous toutes ses formes est en tout cas une très bonne affaire… pour les banque centrales nationales de l’Eurosystème, leurs bénéfices et donc les finances des États actionnaires et collecteurs d’impôts.
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