Conflits d'intérêts, les économistes suspectés
Retranscription écrite de l'émission du 26 avril "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38
Par Agnès Bénassy-Quéré
Audio du 25 avril 2012
Les économistes sont-ils pétris de conflits d’intérêts ? Quand ils se disent sceptiques sur l’idée de séparer les activités des banques d’affaires de celles des banques de détail, sont-ils à la botte des grands groupes bancaires ? Quand ils applaudissent la politique du nouveau président de la Banque centrale européenne, un ancien de Goldman Sachs, n’est-ce pas parce qu’ils barbotent dans le même monde de la finance qui défend ses intérêts, dusse le chômage en faire les frais ? Loin de leurs amphithéâtres, les économistes universitaires seraient aux ordres du système politico-financier, tout simplement parce que les rémunérations qu’ils perçoivent comme conseillers sont sans commune mesure avec ce que leur octroie le ministère de l’éducation nationale.
La question du conflit d’intérêt est légitime. Vous qui m’écoutez, vous seriez sans doute mécontents d’apprendre après coup que mon vrai patron est BNP-Paribas ou bien Euronext. Rassurez-vous ce n’est pas le cas. Mais dois-je m’interdire pour autant de rencontrer le « grand capital » ? De récupérer de précieuses informations sur le fonctionnement concret du marché des CDS ? De percer le mystère des obligations structurées et de la finance fantôme ? De recueillir le point de vue des professionnels sur la réforme en cours de la régulation financière ? Pour rester pure, dois-je m’enfermer dans une tour d’ivoire ? M’interdire de côtoyer toute personne qui ne soit ni docteur en économie, ni apprenti-docteur ? On reproche souvent à la recherche française de n’être pas assez connectée à l’industrie. Faut-il faire une exception pour les économistes ?
Le problème des conflits d’intérêt est général en recherche et il n’y a pas de raison de traiter différemment les économistes. Le promoteur de la prétendue mémoire de l’eau n’était-il pas financé par l’industrie de l’homéopathie ? Les « clients » des économistes sont rarement des industriels, mais plus souvent des banques, des gouvernements, des organisations européennes ou internationales. Pourquoi ces institutions viennent-elles chercher des économistes ? Dans certains cas, ce peut être pour cautionner la politique de la maison ; dans d’autres cas, c’est au contraire pour faire entrer un peu d’air frais dans les débats internes. L’économiste doit apprendre à déjouer les pièges qui lui sont tendus ; et à cultiver son indépendance intellectuelle pour que son apport soit réel. Comment faire ? La première règle, c’est de divulguer d’éventuels conflits d’intérêt. La deuxième, c’est de publier le plus possible ce qu’on écrit, de manière à ce que les pairs et le public puissent repérer un éventuel double-langage. Enfin, chaque économiste doit cultiver la biodiversité de son éco-système : ne pas rencontrer toujours les mêmes, mais rechercher les occasions de recueillir des points de vue variés, en France et à l’étranger.
Comme tout chercheur, l’économiste universitaire se doit de côtoyer l’objet de sa recherche. La difficulté en économie, c’est que l’objet de la recherche sait parler, influencer et même, parfois, manipuler. Mais ce n’est pas une raison pour lui tourner le dos. Ne reproche-t-on pas aussi aux économistes de formuler des modèles mathématiques sans rapport avec la réalité ?
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