À partir de quand pourra-t-on dire que la récession est derrière nous ?
Billet du 30 juin 2021 - Dans les médias
L’étude historique des cycles économiques constitue un sujet de recherche de longue date. Être à même de les dater permet d’éclairer l’analyse économique dans de multiples dimensions. En macroéconomie, une telle chronologie ou datation est en particulier utile pour déchiffrer et anticiper les fluctuations économiques au travers du cycle. Elle constitue aussi un outil fondamental pour les conjoncturistes dans l’étude et la classification des indicateurs économiques (avancés, retardés, coïncidents) par rapport au cycle de référence.
Au niveau international, disposer d’une telle datation rend possibles les comparaisons cycliques mondiales et l’étude de la synchronisation des cycles entre pays. Les travaux sur les relations entre cycles de l’économie réelle et cycles financiers pourront également bénéficier de l’existence d’une datation pour comparer les deux types de cycles. Disposer d’une chronologie de référence des points de retournement du cycle économique apparaît ainsi très précieux dans le cadre des outils d’aide à la mise en place des politiques économiques.
Les États-Unis ont été les premiers à proposer, dès 1978, une chronologie officielle des points de retournement du cycle des affaires en mettant sur pied au National Bureau of Economic Research (NBER) un comité de datation (Business Cycle Dating Committee), composé actuellement de huit économistes, dont le rôle consiste à déterminer les dates d’entrée et de sortie des récessions américaines.
Cette chronologie des récessions, établie par le comité de datation du NBER depuis 1854, fait autorité parmi les économistes et sert de référence à de nombreuses analyses empiriques. En Europe, le Center for Economic and Policy Research (CEPR) s’est inspiré de l’expérience américaine et a créé en 2003 un comité de datation, composé actuellement de cinq économistes, afin de proposer une chronologie des points de retournement du cycle des affaires pour la zone euro. D’autres pays tels que le Brésil, l’Espagne ou le Canada, ont également mis en place des comités de datation, mais leur audience reste relativement limitée auprès du grand public.
S’agissant de la France, le Comité de datation des cycles de l’économie française (CDCEF) créé par l’Association française de sciences économiques (AFSE), composé de neuf économistes dont les auteurs de cet article, a récemment proposé une datation trimestrielle de référence des périodes de récession et d’expansion de l’économie française. L’objectif est d’identifier les points de retournement du cycle des affaires économiques (business cycle ou encore cycle classique) pour l’économie française et d’établir ainsi une chronologie historique qui sera ensuite maintenue à jour.
L’insuffisante règle des « deux trimestres »
La définition du cycle adoptée par le CDCEF correspond à celle utilisée par le NBER pour les États-Unis et par le CEPR pour la zone euro dans son ensemble.
Le cycle se définit comme étant la succession de phases de hausse du niveau d’activité, c’est-à-dire de croissance économique positive (expansions), et de phases de baisse de ce même niveau, c’est-à-dire de croissance négative (récessions). Ces différentes périodes sont délimitées par des pics (plus haut niveau d’activité) et des creux (plus bas niveau d’activité), correspondant aux points de retournement du cycle (voir graphique 1).
Dater les phases du cycle économique n’est pas une tâche aisée, la raison principale étant que les cycles sont par nature non observables. Il faut donc les estimer à l’aide de différentes approches statistiques et économétriques.
Une caractérisation simple des récessions, souvent utilisée par la presse et le grand public, consiste à identifier une récession dès que le taux de croissance du PIB affiche deux trimestres consécutifs de baisse. Cette règle dite « des deux trimestres » ne suffit toutefois pas à caractériser complètement une récession.
Tout d’abord, sur les chronologies existantes pour d’autres pays, il arrive que cette règle ne coïncide pas avec les datations officielles. Par exemple, la récession américaine de 2001, liée à l’éclatement de la bulle Internet, ne serait pas identifiée aujourd’hui par la "règle des deux trimestres".
Par ailleurs, si cette ligne directrice peut être utile pour dater le début des récessions économiques, elle ne permet pas d’en identifier la fin. Plus généralement, elle ne se focalise que sur une seule caractéristique de l’entrée en récession et néglige d’autres caractéristiques importantes des cycles.
La règle "DAD"
En particulier, pour le NBER, une récession économique se caractérise par :
"un déclin significatif de l’activité économique dans les différentes branches d’une durée supérieure à quelques mois. Cette baisse significative devrait normalement être présente dans le PIB, l’emploi, la production industrielle, les ventes des secteurs manufacturier et du commerce".
Trois caractéristiques sont ici essentielles : la durée, l’amplitude et la diffusion au sein de l’économie ; il s’agit de la règle dite « DAD » (durée, amplitude et diffusion). La durée indique qu’une récession doit se prolonger sur plusieurs mois. Une durée minimale de six mois est en général considérée, d’où la « règle des deux trimestres ». Mais cette condition doit être associée aux deux autres, à savoir l’amplitude et la diffusion au sein de l’économie.
L’amplitude renvoie au fait qu’une période de deux trimestres avec un taux de croissance du PIB très légèrement négatif ne serait pas nécessairement considérée comme une récession. À l’opposé, un évènement qui ne durerait que trois mois mais avec une très forte amplitude, ayant des conséquences macroéconomiques importantes, pourrait être admis comme une récession.
Le critère de diffusion renvoie à l’idée qu’une récession doit être largement diffusée au sein des différentes composantes de l’économie. C’est pour cela que l’analyse du seul PIB n’est pas suffisante pour évaluer l’occurrence des récessions. D’autres variables telles que l’emploi, la production industrielle ou les revenus des ménages doivent être intégrées dans le processus d’analyse. Au total, c’est la combinaison des critères de la « règle DAD » qui permet au CDCEF d’estimer les dates des phases de récession.
Cinq récessions depuis 1970
Plus précisément, la méthodologie retenue par le CDCEF repose sur deux piliers. Le premier, quantitatif, consiste à mesurer le cycle économique à l’aide de différentes méthodes économétriques, à partir desquelles est obtenue une liste de dates possibles des récessions de l’économie française.
Le deuxième pilier, qualitatif, repose sur une approche narrative basée sur l’avis des experts composant le CDCEF (économistes, conjoncturistes, économètres, historiens). Ce filtre dit du « dire d’experts » est essentiel dans ce type d’exercice car, si les méthodes quantitatives constituent une aide précieuse à la décision qui sera in fine prise par le Comité, leurs résultats ne peuvent pas pour autant être pris directement en compte sans analyse économique qualitative.
L’approche narrative permet ainsi de valider, au regard de la situation économique prévalant lors des épisodes considérés, les périodes identifiées comme des récessions possibles par l’analyse économétrique précédente, sans nécessairement chercher à modifier les dates des pics et des creux.
*Par convention, les dates de la dernière récession sont considérées comme provisoires.
À l’issue de l’application de cette méthodologie, quatre épisodes ont été identifiés comme des périodes de récession en France depuis 1970 : les chocs pétroliers de 1974-75 et 1980, le cycle d’investissement de 1992-93, la grande récession de 2008-09 engendrée par la crise financière et le choc sanitaire lié à la pandémie de Covid-19. Les dates des points de retournement du cycle caractérisant ces récessions sont synthétisées dans le tableau 1 ci-contre.
Si le pic de la récession liée à la récente pandémie de Covid-19 a été daté par le CDCEF au dernier trimestre 2019, il est encore trop tôt pour se prononcer sur la date de sortie d’une telle récession, inédite dans sa forme et son profil. Les futures mises à jour effectuées par le CDCEF permettront de répondre prochainement à cette question.
* Laurent Ferrara est professeur d’économie internationale à SKEMA Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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