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Le retour d’El Niño apporte insécurité alimentaire et instabilité macroéconomique en Afrique australe

Avec des conséquences désastreuses telles que des sécheresses prolongées, une inflation alimentaire accrue et des récoltes anticipées mauvaises, El Niño exacerbe les défis déjà présents dans les économies vulnérables de la région qui causent des impacts profonds et demandent les mesures d’adaptation coûteuses.
Par Florian Morvillier, Erica Perego, Fanny Schaeffer
 Billet du 8 avril 2024


Conflits, forte dépendance aux ressources naturelles, inégalités économiques et sociales grandissantes, croissance démographique galopante et taux de pauvreté élevés… Tels sont les maux auxquels sont actuellement confrontées les économies les plus vulnérables d’Afrique australe.

À ces nombreux défis s’ajoutent les conséquences désastreuses d’El Niño. En se traduisant par des épisodes de sécheresse, ce phénomène climatique vient mettre en péril une sécurité alimentaire déjà fragile et affaiblir les économies d’Afrique australe déjà fortement vulnérables en nourrissant l’inflation alimentaire. Les entreprises font également face à un choc d’offre négatif qui les pousse à mettre en place des mesures d’adaptation coûteuses et qui réduit la croissance potentielle de l’économie.

Ces pays ont déjà reçu de l’aide internationale pour faire face aux conséquences d’El Niño, mais l’impact imprévisible du phénomène rend le montant de l’aide nécessaire incertain.


Mauvaises récoltes anticipées

El Niño est une des deux phases du phénomène climatique ENSO (El Niño-Southern Oscillation). Il se caractérise par un réchauffement de l’océan Pacifique tropical oriental, tandis que La Niña, la seconde composante d’ENSO, se traduit par un refroidissement de ces océans. El Niño survient en moyenne tous les deux à sept ans et dure entre 3 et 12 mois. Débuté au cours de l’été 2023, El Niño se prolongera très probablement au moins jusqu’en avril 2024 avant que La Niña ne lui succède.

Ayant pour conséquence des précipitations inférieures à la moyenne en Afrique australe, El Niño se manifeste par des épisodes de sécheresse. Ainsi, l’épisode de 1991-1992 a déclenché la sécheresse de 1991-1992 en Afrique australe. Plus récemment, l’épisode de 2015-2016 a été responsable d’une crise alimentaire mondiale touchant 40 millions de personnes en Afrique australe.

Alors que les trois quarts de la population des économies les plus vulnérables d’Afrique australe sont déjà en situation d’insécurité alimentaire (modérée et sévère entre 2020 et 2022), El Niño pourrait à court terme venir l’aggraver. Les épisodes de sécheresse associés à El Niño vont en effet probablement réduire les rendements agricoles, notamment ceux du maïs dont le cycle de culture s’étend de novembre à mars, cycle qui dépend à 90 % des précipitations. Or, le maïs représente près de 70 % de la production céréalière de la région.

Il est déjà anticipé qu’en 2024 les récoltes des produits de base en Afrique australe seront inférieures aux moyennes initialement prévues notamment pour le maïs. C’est d’autant plus dommageable que les prix du maïs ont déjà atteint des niveaux historiques au Malawi et en Zambie où, au cours de l’année 2023, ils ont respectivement plus que doublé et triplé (Graphique 1). C’est pourquoi, pour faire face à l’urgence alimentaire, le gouvernement de la Zambie a déjà annoncé le 20 février 2024 la suspension de ses exportations de maïs.

Les épisodes passés d’El Niño sont riches d’enseignements. Au Malawi, deux événements sur trois ont coïncidé avec une réduction des récoltes de maïs de 22,5 % en moyenne alors que cette céréale fournit les deux tiers de l’apport calorique national. Les mauvaises récoltes anticipées pour 2024 vont donc venir nourrir la hausse du prix du maïs renforçant les tensions inflationnistes déjà observées en Afrique australe.


Les ménages et les entreprises affectés

La prépondérance des céréales, notamment du maïs, dans le panier de consommation des ménages, couplée à une forte hausse de son prix, se traduit déjà par une accélération des tensions inflationnistes dans certaines économies de la région. Ainsi, le Malawi a vu son inflation alimentaire fortement accélérée, passant de 30,5 % en janvier 2023 à 43,6 % en décembre 2023 (en glissement annuel). Ces tensions inflationnistes pourraient perdurer car, en plus d’impacter le prix du maïs, El Niño affecte également les prix des autres matières premières alimentaires expliquant près de 20 % de leurs variations.

Le potentiel maintien d’une inflation alimentaire élevée dans ces économies vulnérables vient donc pénaliser le pouvoir d’achat des ménages. Et ce d’autant plus que dans les pays à faibles revenus, majoritaires en Afrique australe, l’alimentation constitue la moitié des dépenses de consommation des ménages.

En plus de se matérialiser par une chute du pouvoir d’achat des ménages, El Niño va aussi affecter les entreprises, la production d’électricité reposant largement sur les barrages hydroélectriques. En 2021, l’hydroélectricité est en effet la première source de production électrique pour les pays d’Afrique australe les plus vulnérables (graphique 2), sauf pour Madagascar où le pétrole occupe la première place. Or avec l’assèchement des cours d’eau qu’El Niño induit, des coupures d’électricité risquent de se produire.

C’est ce qui se passe actuellement en Zambie où la forte sécheresse liée à El Niño se traduit par des pannes de courant allant jusqu’à 8 heures par jour. Ces coupures d’électricité ont de multiples impacts sur l’activité des entreprises. Elles se traduisent par une chute des temps d’activités effectifs qui pousse les entreprises à investir dans des stratégies d’adaptation en ayant, par exemple, recours à des générateurs d’électricité dont l’utilisation se traduit par un coût 3 fois plus élevé que celui du réseau public d’électricité en Afrique.

L’incertitude et les coûts supplémentaires générés par les coupures d’électricité ont également des impacts à plus long terme car elles découragent l’investissement des entreprises en capital physique, ce qui affecte la croissance potentielle. Ce ralentissement est d’autant plus problématique que les pays disposent de faibles marges de manœuvre budgétaire pour faire face aux multiples conséquences d’El Niño. Dans ce contexte, l’aide internationale est cruciale.


La Niña arrive

Une première aide d’un montant de 12,8 millions de dollars a été débloquée en septembre 2023 par le programme alimentaire mondial des Nations unies pour lutter contre la sécheresse causée par El Niño au Lesotho, à Madagascar, au Mozambique et au Zimbabwe permettant de venir en aide à 550 000 personnes. À cette aide d’urgence s’ajoute le plan de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) « Anticiper El Niño : plan d’atténuation, de préparation et de réponse pour l’Afrique australe, 2023-2025 ».

Ce plan, lancé en novembre 2023, est destiné à réduire l’impact du phénomène El Niño sur les agriculteurs et la sécurité alimentaire des populations les plus vulnérables, nécessitant 128 millions de dollars. Pour ce faire, le FAO suggère, entre autres, le renforcement des systèmes d’alerte existants basés sur la surveillance des conditions météorologiques, la promotion des cultures résistant à la sécheresse et des techniques d’irrigation économes en eau.

Alors que les économies les plus vulnérables d’Afrique australe sont confrontées aux conséquences d’El Niño, elles pourraient avoir du répit avec l’apparition de la Niña très prochainement. Cette seconde phase d’ENSO devrait apporter des précipitations supérieures à la moyenne améliorant la régénération des pâturages et la production agricole, mais s’accompagnant également d’un risque d’inondations accrues.The Conversation


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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