Un col plutôt qu’un sommet
Retranscription écrite de l'émission du 5 juillet "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38
Par Agnès Bénassy-Quéré
Aujourd’hui je voudrais revenir sur le sommet de la zone euro de vendredi dernier. Les auditeurs motivés pourront consulter la déclaration finale, disponible sur europa.eu. Une page seulement, 373 mots, 2465 caractères espaces compris. Et cependant deux phrases clés qui, depuis vendredi, agitent exégètes et spéculateurs. Je vous les lis.
Première phrase clé : « La Commission présentera prochainement des propositions sur la base de l'article 127, paragraphe 6, concernant un mécanisme de surveillance unique ». Explication de texte : selon l’article 127(6) du traité, la Banque centrale européenne peut se voir confier « des missions spécifiques en matière de contrôle des établissements de crédit ». Les Européens ont donc décidé de confier à la BCE tout ou partie de la surveillance des banques dans la zone euro, et la Commission doit faire une proposition concrète d’ici la fin de l’année.
Seconde phrase cryptée : « Lorsqu'un mécanisme de surveillance unique […] aura été créé pour les banques de la zone euro, le Mécanisme européen de stabilité pourrait […] avoir la possibilité de recapitaliser directement les banques ». Actuellement, le fonds de secours prête aux Etats pour que ces derniers renflouent leurs banques. Au passage, la dette des Etats augmente, leur note se dégrade et leur taux d’intérêt croît. Or, les banques de chaque pays européen détiennent beaucoup de titres de dette de leur propre Etat. La dégradation des finances publiques détériore alors les bilans bancaires et appelle à de nouveaux renflouements, et ainsi de suite. L’idée est de stopper cette spirale négative en demandant au fonds de secours de recapitaliser directement les banques, sans passer par les Etats. Mais dans ce cas, ce serait aux Européens – non aux Espagnols ou aux Chypriotes – de dire quelle banque doit être aidée ou restructurée, et comment. Le choix de la BCE pour exercer la surveillance est, d’une certaine manière, la solution de facilité car on peut s’appuyer sur le traité existant : pas besoin de changer le traité, pas besoin de referendum.
Cette courte déclaration du Conseil européen constitue donc un pas décisif dans la direction de l’union bancaire – un ingrédient clé pour résoudre la crise de la zone euro. Cependant, comme toujours, le diable est dans les détails. Premier détail : le nouveau dispositif ne fonctionnera pas avant la fin de l’année. En attendant, le fonds de secours pourra intervenir plus facilement sur les marchés pour aider les Etats… mais à moyens constants – jugés trop limités. Deuxième détail : jusqu’où ira le transfert de souveraineté sur la surveillance bancaire ? Transférer l’intégralité de la surveillance à la BCE irait au-delà des « missions spécifiques » mentionnées par le traité. Par ailleurs, la Commission n’a pas forcément envie de donner trop de pouvoir à la BCE. Enfin, on sait que les Allemands n’ont pas l’intention de lâcher le contrôle de leurs banques régionales, pourtant en bien mauvais état. Troisième détail : les Européens auront-ils des moyens d’intervenir dans les banques ? Et la BCE, compte-tenu de sa mission principale de politique monétaire, aura-t-elle les coudées franches vis-à-vis des banques ? Comme on le voit, vendredi nos dirigeants ont atteint un col plus qu’un sommet. Souhaitons-leur du courage pour le raidillon final.