Le blog du CEPII

Union européenne et Etats-Unis : combien pour le plus grand accord commercial au monde ?

Combien l’Europe et la France peuvent-elles espérer gagner au plus grand accord commercial au monde ? Que peut-on attendre de la suppression de l’essentiel des droits de douane et de la réduction des obstacles réglementaires aux échanges de services ?
Par Lionel Fontagné, Julien Gourdon
 Billet du 22 février 2013


Une question équivalente a été posée en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suède… Plusieurs pays membres de l’Union européenne ont donc mobilisé leurs équipes de spécialistes du commerce international pour répondre à cette question. En France, c’est le CEPII qui a été choisi par Bercy (plus précisément la Direction générale du Trésor) pour conduire cette analyse. La Commission européenne, de son côté, a fait réaliser une étude dans laquelle le détail des pays membres est naturellement absent.

En pratique, l’idée consiste à modéliser une trajectoire de l’économie mondiale à l’horizon 2025, puis à calculer l’impact sur les échanges, la croissance et les revenus d’un agenda de négociations préféré. Les régions du monde à considérer sont donc notamment la France, le reste de l’Union européenne, les Etats-Unis. Retenons que l’accord est susceptible de générer des gains dynamiques (l’accord libère l’investissement qui conditionne la croissance de demain), d’où la nécessité d’envisager ces effets à moyen terme.

L’impact d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis dépend tout d’abord de l’ambition affichée, de l’agenda préféré : trois scénarios ont été construits par le CEPII. Dans un scénario d’ouverture minimale, les droits de douane sont supprimés (sur 7 ans au maximum, avec un aménagement pour les produits sensibles) et les barrières aux échanges de services sont réduites de 10% à 15%. Le deuxième scénario gagne en ambition en réduisant les barrières réglementaires dans l’industrie (industrie chimique et équipements électroniques) et dans l’agriculture. Pour la viande, par exemple, il s’agit de la levée de l’embargo ESB (encéphalite spongiforme bovine) côté américain et de l’autorisation de l’utilisation d’acide lactique en Europe. Une plus forte réduction des barrières dans les services (jusqu’à 40% pour certains services) est également envisagée. La procédure d’examen des cargaisons dans les ports américains est supprimée, ce qui réduit les coûts au commerce. L’ambition maximale consiste enfin, dans un troisième scénario, en une baisse plus importante des barrières dans l’industrie (véhicules et équipements de transport) et dans l’agriculture mais ici seulement du côté des Etats-Unis (dans les produits laitiers, les fruits et légumes et les conserves de viandes). A ceci s’ajoute une importante réduction des barrières dans les services (jusqu’à 50%).

L’impact estimé dépend ensuite du niveau des barrières aux échanges pris en compte. A la différence des données de protection douanière, parfaitement documentées (qui viennent de la base MAcMap-HS6 du CEPII et de l’ITC), estimer l’impact négatif sur les échanges des mesures réglementaires ne peut se faire que de façon indirecte, avec pour conséquence une forte marge d’incertitude. Dans ce domaine, les estimations utilisées sur lesquelles nous nous appuyons sont plutôt plus « pessimistes » que celles prises en compte, par exemple, par la Commission européenne. Elles reflètent notamment le fait que le Marché unique européen n’est pas encore pleinement réalisé en pratique et que de multiples détails font que  les frontières comptent encore. Les barrières non-tarifaires sont ainsi mesurées avec la base de données créée par Kee et al (2009) pour les biens et Fontagné et al (2011) pour les services.

Ces scénarios sont évalués avec le modèle MIRAGE. Naturellement, le premier effet de l’accord de libre-échange sera de favoriser les échanges commerciaux : les exportations augmentent davantage pour les Etats-Unis que pour l’UE et la France, les importations aussi. L’effet net sur le commerce et au final sur le Produit Intérieur Brut (PIB) tourne finalement à l’avantage de l’UE et de la France.

Plus intéressant, pour l’UE comme pour la France l’ampleur des gains dépend d’abord de l’ambition de la négociation en matière de barrières non tarifaires, c’est-à-dire d’obstacles réglementaires. Une simple libéralisation tarifaire n’entrainerait que de très faibles gains : il convient de négocier sur les barrières aux échanges « après la frontière ». C’est la condition de gains européens et français dans l’agriculture. Dans l’industrie ainsi que dans les services une levée modérée des mesures non tarifaires suffirait à obtenir des gains conséquents pour l’UE et la France.

Tel est l’enseignement principal de cette réflexion sur les négociations à venir : c’est bien un accord portant sur la protection « après la frontière » dont il s’agit. La baisse des droits de douane n’est que la partie émergée de l’iceberg des obstacles aux échanges. Mais parce que l’on touche aux réglementations, tout en souhaitant préserver la sécurité alimentaire, la qualité des services, en un mot la protection du consommateur, la négociation s’avère difficile.

Les gains à attendre sont substantiels, mais il faudra beaucoup d’ambition pour réduire les obstacles aux échanges de façon comparable à la pose du premier câble télégraphique transatlantique entre Brest et Cape Cod il y a 134 ans.
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