Mme Lagarde a-t-elle raison d’attribuer la reprise économique au Royaume-Uni à l’austérité budgétaire ?
Mme Lagarde s’est récemment excusée des prévisions trop pessimistes du FMI concernant le R-U. Pourtant, les résultats de ce pays tiennent moins aux bienfaits de l’austérité budgétaire qu’à une politique économique visant à doper la croissance en stimulant un boom immobilier.
Par Thomas Grjebine
« Dois-je me mettre à genoux ? », a demandé Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), à un journaliste à la BBC le 7 juin qui la pressait de reconnaitre les erreurs de prévision du FMI concernant le Royaume-Uni. Et Mme Lagarde de poursuivre : « Nous avons eu tord. Nous le reconnaissons. Clairement, la confiance qui a résulté des politiques économiques adoptées par le gouvernement a surpris beaucoup d’entre nous”. Un an auparavant, le FMI déclarait en effet que le gouvernement « jouait avec le feu » avec sa politique d’austérité. En avril 2014, le FMI a pourtant révisé ses prévisions économiques : le Royaume-Uni devrait connaitre en 2014 un taux de croissance de 2,9 %, soit le taux de croissance le plus élevé des pays du G7 !
Pourtant, faire de l’austérité budgétaire la cause du retour de la confiance et du rebond économique est peut-être un peu rapide. Parallèlement à cette austérité, le Premier ministre David Cameron a en effet placé au cœur de sa stratégie économique la croissance forte du secteur immobilier. Pour relancer le marché immobilier britannique, il a instauré en avril 2013 le programme Help-to-Buy (aider à acheter) visant à aider les particuliers à accéder à la propriété. Ce programme permet aux ménages britanniques de devenir propriétaires d’un bien immobilier grâce à un apport personnel de 5 % seulement ! Il est ainsi possible de souscrire un emprunt permettant de payer 75 % d’un futur logement, et d’emprunter au gouvernement les 20 % restants sans échéances de remboursement avant cinq ans. En mai 2014, les prix immobiliers au Royaume-Uni ont atteint un nouveau record avec une hausse annuelle de 11 %, la plus forte hausse enregistrée depuis quatre ans.
Le Premier ministre britannique s’inspire ici du modèle de Margaret Thatcher qui avait stimulé l’économie britannique (4,5 % de croissance de 1986 à 1988) en créant les conditions d'un boom immobilier. L’objectif était notamment d’encourager l’accession à la propriété selon le modèle d’une « démocratie de propriétaires ». L’une des mesures les plus spectaculaires de cette politique fut de permettre aux locataires de logements sociaux d’acheter leurs logements à des prix parfois inférieurs de près de 50 % aux prix de marché. Entre 1980 et 1987, près d’un million de logements ont été vendus ainsi, un tiers des locataires du parc social accédant à la propriété. S’appuyer sur le secteur immobilier pour tenter de relancer son économie n’est pas une spécificité britannique. La présidente de la FED, Janet Yellen, a par exemple conditionné une hausse des taux d’intérêts à une reprise durable de la construction et du marché immobilier aux Etats-Unis (mai 2014).
Pourtant si à court terme cette politique semble porter ses fruits, les risques à plus long terme sont réels comme le montrent les crises financières récentes. Face à l’envolée des prix au Royaume-Uni, l'OCDE a appelé à ce que des mesures soient prises pour "garantir le retour à un marché de l'immobilier équilibré". Elle recommande notamment un durcissement des critères d'attribution du programme "Help to Buy". Le gouverneur de la Banque d’Angleterre a pour sa part, en mai 2014, déclaré que la hausse de l’immobilier était « le plus gros risque » menaçant la stabilité financière outre-manche. Il a annoncé le 26 juin des premières mesures destinées à limiter les emprunts hypothécaires des particuliers. Avec la reprise économique qui se confirme au Royaume-Uni, et la surchauffe du marché immobilier, la Banque d’Angleterre pourrait être contrainte d’élever les taux d'intérêt directeurs de 0,5 points pour les porter à 1 % en 2015, ce qui alourdirait les remboursements des emprunts à taux variables (52 % des emprunts britanniques). Au risque de voir – si la hausse se poursuit – le nombre de propriétaires insolvables croître, le système bancaire être fragilisé et la reprise économique cassée.
La hausse des prix immobiliers s’avère d’autant plus difficile à maîtriser qu’une part significative des transactions, notamment à Londres est effectuée par des non-résidents, moins sensibles à un durcissement des conditions de prêt (en 2013, 70 % des appartements nouvellement construits à Londres ont été vendus à des étrangers, source : Savills). Pour tenter de résoudre le problème, le ministre des Finances, George Osborne, a annoncé la mise en place dès avril 2015 d’un impôt sur les plus-values pour les non-résidents. Mais il n’est pas certain que le gouvernement britannique veuille réellement freiner un secteur d’activité « au cœur de sa stratégie économique » (D. Cameron, juin 2014). Une politique risquée mais qui conditionne fortement la reprise économique britannique.
Cet article est paru dans Libération le 9 juillet 2014.
Pourtant, faire de l’austérité budgétaire la cause du retour de la confiance et du rebond économique est peut-être un peu rapide. Parallèlement à cette austérité, le Premier ministre David Cameron a en effet placé au cœur de sa stratégie économique la croissance forte du secteur immobilier. Pour relancer le marché immobilier britannique, il a instauré en avril 2013 le programme Help-to-Buy (aider à acheter) visant à aider les particuliers à accéder à la propriété. Ce programme permet aux ménages britanniques de devenir propriétaires d’un bien immobilier grâce à un apport personnel de 5 % seulement ! Il est ainsi possible de souscrire un emprunt permettant de payer 75 % d’un futur logement, et d’emprunter au gouvernement les 20 % restants sans échéances de remboursement avant cinq ans. En mai 2014, les prix immobiliers au Royaume-Uni ont atteint un nouveau record avec une hausse annuelle de 11 %, la plus forte hausse enregistrée depuis quatre ans.
Le Premier ministre britannique s’inspire ici du modèle de Margaret Thatcher qui avait stimulé l’économie britannique (4,5 % de croissance de 1986 à 1988) en créant les conditions d'un boom immobilier. L’objectif était notamment d’encourager l’accession à la propriété selon le modèle d’une « démocratie de propriétaires ». L’une des mesures les plus spectaculaires de cette politique fut de permettre aux locataires de logements sociaux d’acheter leurs logements à des prix parfois inférieurs de près de 50 % aux prix de marché. Entre 1980 et 1987, près d’un million de logements ont été vendus ainsi, un tiers des locataires du parc social accédant à la propriété. S’appuyer sur le secteur immobilier pour tenter de relancer son économie n’est pas une spécificité britannique. La présidente de la FED, Janet Yellen, a par exemple conditionné une hausse des taux d’intérêts à une reprise durable de la construction et du marché immobilier aux Etats-Unis (mai 2014).
Pourtant si à court terme cette politique semble porter ses fruits, les risques à plus long terme sont réels comme le montrent les crises financières récentes. Face à l’envolée des prix au Royaume-Uni, l'OCDE a appelé à ce que des mesures soient prises pour "garantir le retour à un marché de l'immobilier équilibré". Elle recommande notamment un durcissement des critères d'attribution du programme "Help to Buy". Le gouverneur de la Banque d’Angleterre a pour sa part, en mai 2014, déclaré que la hausse de l’immobilier était « le plus gros risque » menaçant la stabilité financière outre-manche. Il a annoncé le 26 juin des premières mesures destinées à limiter les emprunts hypothécaires des particuliers. Avec la reprise économique qui se confirme au Royaume-Uni, et la surchauffe du marché immobilier, la Banque d’Angleterre pourrait être contrainte d’élever les taux d'intérêt directeurs de 0,5 points pour les porter à 1 % en 2015, ce qui alourdirait les remboursements des emprunts à taux variables (52 % des emprunts britanniques). Au risque de voir – si la hausse se poursuit – le nombre de propriétaires insolvables croître, le système bancaire être fragilisé et la reprise économique cassée.
La hausse des prix immobiliers s’avère d’autant plus difficile à maîtriser qu’une part significative des transactions, notamment à Londres est effectuée par des non-résidents, moins sensibles à un durcissement des conditions de prêt (en 2013, 70 % des appartements nouvellement construits à Londres ont été vendus à des étrangers, source : Savills). Pour tenter de résoudre le problème, le ministre des Finances, George Osborne, a annoncé la mise en place dès avril 2015 d’un impôt sur les plus-values pour les non-résidents. Mais il n’est pas certain que le gouvernement britannique veuille réellement freiner un secteur d’activité « au cœur de sa stratégie économique » (D. Cameron, juin 2014). Une politique risquée mais qui conditionne fortement la reprise économique britannique.
Cet article est paru dans Libération le 9 juillet 2014.