Non, la France ne souffre pas d’un problème d’offre de logement
Le gouvernement a annoncé le 29 août un nouveau plan de relance de la construction avec des mesures visant à libérer le foncier privé et à augmenter l’offre de logements neufs. Ce plan, comme ceux qui l’ont précédé, part du constat qu’il manquerait 1 million de logements en France. Ce constat ne va pourtant pas de soi.
Par Thomas Grjebine
La forte hausse des prix immobiliers observée en France depuis une quinzaine d’années et l’absence de krach après la crise financière récente sont souvent expliquées par l’existence d’une pénurie de logements qui affecterait en particulier Paris, et empêcherait toute baisse significative des prix immobiliers. Cette idée ne date pas d’aujourd’hui. Déjà à la fin des années 1980, cet argument était très présent. On pouvait ainsi lire dans Le Monde du 10 novembre 1989 : « Paris intra-muros semble bien constituer un marché à part, en raison des spécificités de sa situation et de son parc. Des attraits socioculturels, une offre de logements à vendre (de toutes petites unités), qui ne correspondent pas du tout aux demandes des familles, une insuffisance de construction de logements neufs (moins de 2000 par an), toutes ces données se conjuguent, selon la Chambre des notaires, pour que la hausse des prix soit « le seul élément d’arbitrage»» [1]. Et pourtant, les prix baisseront en termes réels de 46 % à Paris entre 1991 et 1997, venant infirmer la prétendue pénurie immobilière qui caractériserait la capitale.
Aujourd’hui, comme dans les années 1990, l’existence d’une telle pénurie est loin d’être évidente. Parmi tous les pays d’Europe de l’Ouest, c’est en France que le stock de logements rapporté à la population est le plus élevé (513 logements pour 1000 habitants, contre 477 en Allemagne ou 409 en Belgique, voir Jacquot, 2009 [2]). Depuis les années 1970, à l’exception de 1993 et de la période 2000-2003, le stock de logements en France a toujours plus augmenté que le nombre de ménages. De 1975 à 2010, le nombre de ménages a augmenté en moyenne de 1,23 % par an, le nombre de logements de 1,26 %. Les seules résidences principales ont augmenté de 11,3 millions d’unités entre 1968 et 2010, pendant que le nombre de ménages augmentait de 10,8 millions. Les flux de construction sont restés élevés tout au long des années 2000 et pendant cette décennie, la France a construit bien davantage de logements que le Royaume-Uni ou l’Allemagne [3]. Il est également frappant de constater qu’entre 2000 et 2011, le nombre de logements vacants a augmenté en France de 400 000, ce qui n’indique pas une forte tension sur le marché du logement (« Statistiques du logement », Insee). Même en Ile-de-France, là où les tensions sont supposées être les plus fortes, le nombre de logements a augmenté de 1,5 million d’unités entre 1968 et 2007, tandis que le nombre de ménages augmentait de 700 000 (sur Paris intra-muros, le rapprochement des deux chiffres ne serait pas significatif dans la mesure où la demande de logement peut être satisfaite par les communes avoisinantes).
D’où vient alors le chiffre de 800 000 à 1 million de logements manquants ? La fondation Abbé Pierre chiffre depuis 2006 à 800 000 le nombre des personnes « aux portes du logement ». Ce chiffre est la somme des 100 000 personnes sans domicile, des 150 000 personnes hébergées dans le cadre de dispositifs collectifs, des 150 000 à 300 000 personnes contraintes à un hébergement chez des proches, et enfin des 300 000 personnes vivant dans des conditions atypiques. Le chiffre de la fondation Abbé Pierre ne signifie pas ainsi qu’il manque 800 000 logements ! Il signale qu’il existe en France 800 000 personnes qui ne peuvent pas accéder financièrement à un logement.
L’idée persistante selon laquelle il existerait en France une pénurie de logements peut donc sembler surprenante. Elle n’est certes pas pour déplaire au secteur du bâtiment qui a tout intérêt à ce que les pouvoirs publics soient convaincus de l’existence d’une réelle pénurie et lui accordent des aides publiques toujours plus importantes. L’effort public en faveur du logement, mesuré par les avantages conférés aux producteurs et aux consommateurs de services de logement, représente 42 milliards d’euros en 2012, soit 2,1 % du produit intérieur brut, c’est-à-dire un pourcentage deux fois plus élevé que la moyenne dans la zone euro. Des aides coûteuses, en grande partie capturées par les offreurs sous la forme de hausses des prix [4]. Il n’en demeure pas moins que le contexte économique actuel n’est pas propice à une révision de ces aides. D’une part, près de la moitié de ces 42 milliards correspond à des aides aux consommateurs (46 %), c’est-à-dire essentiellement des prestations sociales liées au logement (85 % des aides aux consommateurs). D’autre part, avec le retournement du cycle immobilier actuel (les mises en chantier ont baissé de 18 % entre avril 2013 et avril 2014), diminuer les aides à la construction risquerait d’accentuer encore le marasme de ce secteur. Un marasme qui est le principal frein à la croissance en France selon l’Insee.
Aujourd’hui, comme dans les années 1990, l’existence d’une telle pénurie est loin d’être évidente. Parmi tous les pays d’Europe de l’Ouest, c’est en France que le stock de logements rapporté à la population est le plus élevé (513 logements pour 1000 habitants, contre 477 en Allemagne ou 409 en Belgique, voir Jacquot, 2009 [2]). Depuis les années 1970, à l’exception de 1993 et de la période 2000-2003, le stock de logements en France a toujours plus augmenté que le nombre de ménages. De 1975 à 2010, le nombre de ménages a augmenté en moyenne de 1,23 % par an, le nombre de logements de 1,26 %. Les seules résidences principales ont augmenté de 11,3 millions d’unités entre 1968 et 2010, pendant que le nombre de ménages augmentait de 10,8 millions. Les flux de construction sont restés élevés tout au long des années 2000 et pendant cette décennie, la France a construit bien davantage de logements que le Royaume-Uni ou l’Allemagne [3]. Il est également frappant de constater qu’entre 2000 et 2011, le nombre de logements vacants a augmenté en France de 400 000, ce qui n’indique pas une forte tension sur le marché du logement (« Statistiques du logement », Insee). Même en Ile-de-France, là où les tensions sont supposées être les plus fortes, le nombre de logements a augmenté de 1,5 million d’unités entre 1968 et 2007, tandis que le nombre de ménages augmentait de 700 000 (sur Paris intra-muros, le rapprochement des deux chiffres ne serait pas significatif dans la mesure où la demande de logement peut être satisfaite par les communes avoisinantes).
D’où vient alors le chiffre de 800 000 à 1 million de logements manquants ? La fondation Abbé Pierre chiffre depuis 2006 à 800 000 le nombre des personnes « aux portes du logement ». Ce chiffre est la somme des 100 000 personnes sans domicile, des 150 000 personnes hébergées dans le cadre de dispositifs collectifs, des 150 000 à 300 000 personnes contraintes à un hébergement chez des proches, et enfin des 300 000 personnes vivant dans des conditions atypiques. Le chiffre de la fondation Abbé Pierre ne signifie pas ainsi qu’il manque 800 000 logements ! Il signale qu’il existe en France 800 000 personnes qui ne peuvent pas accéder financièrement à un logement.
L’idée persistante selon laquelle il existerait en France une pénurie de logements peut donc sembler surprenante. Elle n’est certes pas pour déplaire au secteur du bâtiment qui a tout intérêt à ce que les pouvoirs publics soient convaincus de l’existence d’une réelle pénurie et lui accordent des aides publiques toujours plus importantes. L’effort public en faveur du logement, mesuré par les avantages conférés aux producteurs et aux consommateurs de services de logement, représente 42 milliards d’euros en 2012, soit 2,1 % du produit intérieur brut, c’est-à-dire un pourcentage deux fois plus élevé que la moyenne dans la zone euro. Des aides coûteuses, en grande partie capturées par les offreurs sous la forme de hausses des prix [4]. Il n’en demeure pas moins que le contexte économique actuel n’est pas propice à une révision de ces aides. D’une part, près de la moitié de ces 42 milliards correspond à des aides aux consommateurs (46 %), c’est-à-dire essentiellement des prestations sociales liées au logement (85 % des aides aux consommateurs). D’autre part, avec le retournement du cycle immobilier actuel (les mises en chantier ont baissé de 18 % entre avril 2013 et avril 2014), diminuer les aides à la construction risquerait d’accentuer encore le marasme de ce secteur. Un marasme qui est le principal frein à la croissance en France selon l’Insee.
[1] Josée Doyère, « Le prix des logements selon les notaires parisiens. Paris brûle toujours », Le Monde, 10 novembre 1989.
[2] Alain Jacquot, « Doit-on et peut-on produire davantage de logements », Regards Croisés sur l’économie, Mai 2009.
[3] Par exemple, 448 000 logements ont été achevés en France en 2009 contre 159 000 en Allemagne et 147 000 au Royaume-Uni. Les flux de construction sont très élevés tout au long de cette décennie : 420 000, 434 000 et 433 000 logements ont été mis en chantier en 2005, 2006 et 2007 respectivement. Il faut remonter au début des années 1980 pour observer des niveaux de construction aussi élevés (Jacquot, 2009).
[4] Le raisonnement s'appuie sur une analyse classique d'incidence : tout dispositif d'aide à destination des demandeurs peut être en partie capturé par les offreurs (constructeurs et bailleurs). Ce type d’aide permet en effet de susciter une hausse de la demande et donc une hausse du prix d’équilibre, et ce d’autant plus que l’offre est relativement rigide à court terme. Le fait que les aides au logement puissent être perçues directement par le bailleur accentue les phénomènes de capture : le bailleur peut réajuster le loyer à la hausse à mesure que l’aide augmente.
Cet article est paru sur LeMonde.fr le 29 octobre 2014.