L'impact macroéconomique de l'(il)liquidité obligataire
Tout d’abord, les perspectives de croissance : on évoque un ordre de grandeur de 3,2 % à 3,5 % sur la base du scénario suivant. La reprise post-crise continuerait sur sa lancée. Les moteurs de croissance seraient d’une part les Etats-Unis, avec un cycle mature et une amélioration confirmée du marché du travail ; d’autre part, les pays émergents « hors BRIC » (Brésil, Russie, Inde, Chine, NDLR). L’Europe et le Japon se contenteraient d’une performance positive mais modeste. Ensuite, la constellation monétaire ; 2016 sera l’année de divergences majeures de politique monétaire entre les grandes banques centrales des économies avancées : après tout, alors qu’en 2015, la zone euro et le Japon atteignaient poussivement le niveau de PIB réel de 2008, les Etats-Unis le dépassaient déjà de plus de 10 %. De quoi légitimer un cycle de resserrement monétaire outre-Atlantique pendant que la Banque centrale européenne et la Banque du Japon resteraient sur la défensive. S’ensuivrait alors une pression à la hausse inéluctable sur le dollar. Autre préoccupation à l’esprit de tous : les enjeux liés aux migrations et aux risques politiques, essentiellement en Europe, que l’on n’a fait qu’entrapercevoir jusqu’ici.
Si ce scénario central est assez bien balisé, les risques qui l’entourent le sont beaucoup moins. A quelle phase du cycle économique se situent les Etats-Unis ? Approchons-nous vraiment de la fin d’une expansion ? Si tel est le cas, la Réserve fédérale se retrouvera rapidement dans une situation critique, car non seulement elle n’aura pas resserré à temps sa politique monétaire et arrivera rapidement à cours de « poudre sèche », mais elle aura aussi sur les bras l’héritage du quantitative easing, à savoir un énorme bilan obligataire dont il faudra bien se départir, à un moment peu opportun. Les taux longs devraient en pâtir.
Deuxième risque faisant l’objet de désaccords : les pays émergents. Certes, ceux-ci seront particulièrement exposés au resserrement de la Réserve fédérale, qui devrait, par effet de parité de taux d’intérêt et d’évolution des changes, induire une forte volatilité des flux de capitaux. Mais dans l’ensemble, les émergents sont beaucoup mieux positionnés aujourd’hui pour faire face à cette volatilité. Leurs réserves de changes sont solides. Echaudés, ils sont en général moins endettés en « devises dures » que par le passé. De plus, et contrairement aux pays avancés, les flux de capitaux bruts qui entrent et qui sortent des pays émergents sont revenus aux niveaux qui prévalaient avant l’arrêt brutal (« sudden stop ») de 2008. Les pays émergents les plus exposés seront donc ceux qui lient leur devise au dollar, ainsi que les émergents d’Europe centrale, qui ont subi les contrecoups des déboires européens. Mais le socle émergent hors BRIC se diversifie, et donc se consolide.
Une fois encore, ce sont des risques de nature financière qui pourraient venir perturber de façon significative la performance macroéconomique mondiale. La liquidité de marché figure en tête de liste. Pour des raisons diverses, les marchés obligataires se sont asséchés ces dernières années. Entre 2006 et 2014, le turnover des Treasuries US s’est asséché de plus de 50 %, alors même que ce marché augmentait de près de 180 % en taille. Une atrophie similaire a pu être observée sur les marchés obligataires corporate pour des qualités de crédit variées.
Un défaut généralisé de « résilience à la liquidité » pourrait devenir critique pour le financement de l’économie mondiale, à commencer par l’investissement. Après tout, nous savons que la crise de 2008 a commencé par une crise de liquidité sur les marchés interbancaires. L’illiquidité obligataire pourrait induire, en cas de choc, des « spillovers » beaucoup plus importants sur l’économie dite réelle. Par contagion, les marchés émergents seraient affectés à leur tour.
Cette faible liquidité est le symptôme d’ajustements en profondeur dans la structure de financement mondiale. Les changements récents de régulation ou encore les restrictions imposées sur le trading de dérivés sont évoqués comme causes possibles de l’assèchement de la liquidité de marché. Mais ce sont aussi des mutations structurelles d’une autre nature qui sont à l’œuvre. Les portefeuilles obligataires sont aujourd’hui plus concentrés que jamais. Selon le Fonds monétaire international, les fonds mutuels, fonds de pension et compagnies d’assurances détiennent une part considérable des encours de dette obligataire dans le monde. Par ailleurs, la multiplication d’émissions de petite taille par de nouveaux émetteurs a certainement contribué à détériorer le « mismatch » de liquidité. Dans de telles circonstances, la « résilience de liquidité » pourrait bien conditionner la « résilience macroéconomique » en 2016.
Cet article a été publié dans L' Agefi hebdo du 15 janvier 2016.