Acier et aluminium : le défi de Donald Trump
La décision du Président Trump sur les importations d’acier et d’aluminium, prise au nom d’une prétendue « sécurité nationale », représente un défi pour l’OMC. Elle souligne aussi la relativité des engagements internationaux des États-Unis, y compris en matière de défense.
Par Jean-François Boittin
La décision prise par le Président Trump d’imposer des droits de douane de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur les importations d’aluminium aux États-Unis à l’exception des produits en provenance du Canada et du Mexique pour des raisons de sécurité nationale est un OVNI dans l’univers du commerce international.
Conscients que le recours à une clause de sauvegarde traditionnelle serait fragile au regard des précédents au sein de l’OMC, les responsables américains ont choisi de recourir à un outil rarement utilisé de l’arsenal protectionniste américain : la section 232 du Trade Expansion Act de 1962 (on remarquera l’ironie du titre : il aurait fallu l’intituler Trade Restriction Act). L’article XXI du GATT de 1947, qui codifie les règles concernant l’exception de « sécurité nationale », donne une grande latitude aux pays membres pour décider des motifs de son invocation.
Les mesures annoncées sont particulièrement exorbitantes :
Conscients que le recours à une clause de sauvegarde traditionnelle serait fragile au regard des précédents au sein de l’OMC, les responsables américains ont choisi de recourir à un outil rarement utilisé de l’arsenal protectionniste américain : la section 232 du Trade Expansion Act de 1962 (on remarquera l’ironie du titre : il aurait fallu l’intituler Trade Restriction Act). L’article XXI du GATT de 1947, qui codifie les règles concernant l’exception de « sécurité nationale », donne une grande latitude aux pays membres pour décider des motifs de son invocation.
Les mesures annoncées sont particulièrement exorbitantes :
- Au regard de l’OMC, c’est pratiquement la première fois que l’article XXI justifierait le recours à une mesure ponctuelle de restriction des importations. Il n’a été utilisé jusqu’à maintenant que pour justifier des mesures générales d’embargo dans un contexte de conflits (États-Unis contre le Guatemala, Union Européenne contre l’Argentine au moment de la guerre des Falkland ou contre la Yougoslavie). La seule exception concerne l’invocation par la Suède de l’article XXI pour imposer en novembre 1975 des quotas sur l’importation de chaussures, levés en juillet 1977
- Le relèvement de droits est illimité dans le temps, à la différence d’une clause de sauvegarde classique, qui est limitée à une période de 4 ans et doit être dégressive (baisse des droits ou augmentation des quotas). Il constitue donc une déconsolidation des droits de douane américains, qui ouvre le droit à des demandes de compensations aux pays membres de l’OMC
- Les droits pourraient ne pas être appliqués à un certain nombre de pays en fonction de critères vagues : le Président se réserverait le droit de relever ou d’abaisser les droits sur tel ou tel pays, en particulier si des exceptions multiples devaient être mises en place
En réalité, le Président et son entourage ont tout fait pour vider de son sens l’argument de sécurité nationale qu’ils invoquent :
- Le Département de la Défense a déclaré officiellement n’avoir aucune inquiétude sur l’approvisionnement en acier et aluminium de des fournisseurs : « Le Département de la Défense ne croit pas que les faits établis dans les deux rapports réduisent de quelque façon que ce soit la capacité des industriels qui gèrent les programmes du Département d’acquérir l’acier ou l’aluminium nécessaires pour satisfaire les besoins de la défense nationale ». Aucun officiel du Pentagone n’a d’ailleurs participé à la cérémonie de signature de la décision présidentielle.
- La rhétorique déployée par le Président reprenait essentiellement son discours inaugural sur les « ravages » infligés à l’économie américaine par les importations et les délocalisations, qualifié par George W. Bush de « tas de conneries » (« weird shit » dans le texte).
- Les critères d’exemption sont particulièrement flous : l’Australie bénéficierait d’une exception parce que c’est un allié militaire, mais aussi parce qu’elle a un déficit commercial bilatéral avec les États-Unis (et un golfeur d’exception, Greg Norman, qui a joué le rôle de lobbyiste auprès du Président américain, grand amateur de golf)
- La mesure est aussi présentée comme un outil de chantage pour des négociations bilatérales comme celles de l’ALENA (elles s’appliqueraient aussi au Canada et au Mexique si la renégociation échouait), ou à l’égard de l’Union Européenne : le Secrétaire à l’Agriculture a suggéré que la levée des mesures à l’égard de l’Europe pourrait être échangée contre des concessions agricoles de la part de Bruxelles.
La décision répond essentiellement à des motivations de politique interne. Elle met en œuvre une promesse faite dans la campagne électorale, et est intervenue quelques jours avant un meeting électoral en faveur d’un candidat républicain en Pennsylvanie dans une circonscription proche de Pittsburgh, capitale historique de la sidérurgie américaine. Elle sert surtout à assurer la mainmise du Président sur les États pivots (« swing states ») de l’élection présidentielle américaine, Pennsylvanie précisément mais aussi États du Midwest (Ohio, Michigan) qui ont désertés à quelques dizaines de milliers de voix le camp démocrate. Le Président a d’ailleurs réaffirmé devant les ouvriers sidérurgistes convoqués à la Maison Blanche pour la cérémonie de signature que l’affichage de ses positions protectionnistes avait été décisif pour son élection.
Mais la décision traduit également les convictions protectionnistes du Président, affichées depuis longtemps (il a d’ailleurs souligné pendant la même cérémonie qu’il ne pensait pas avoir l’occasion de pouvoir un jour passer à l’acte). Il a évoqué de nouveau un thème qui lui est cher, celui de la réciprocité des échanges, non pas sur une base d’ensemble comme c’est la norme à l’OMC, mais sur une base spécifique produit par produit : si la Chine impose un droit de douane de 25 % aux automobiles importées des États-Unis, et l’Inde de 75 %, leurs exportations automobiles seraient frappées d’un droit de 25 % et 75 % respectivement (et celles de l’UE de 10 %). La mise en œuvre de ce schéma n’est pas évidente : si les pouvoirs de l’exécutif sont vastes, ils ne sont pas illimités. Mais la direction visée est claire.
C’est essentiellement dans cette optique que la réponse des pays tiers visés par la mesure doit être ferme. Il faut éviter que ce précédent fasse école, d’abord aux États-Unis – le Département du commerce annonce réfléchir à d’autres invocations possibles de la section 232 –, mais aussi dans le reste du monde.
La décision prise sur l’acier et l’aluminium et le discours présidentiel qui l’accompagne remettent fondamentalement en cause le positionnement des États-Unis par rapport au monde, mais pas seulement dans le domaine des échanges internationaux. Ils signifient clairement que les engagements pris par les États-Unis à l’égard des pays tiers ont une valeur purement relative, et peuvent être remis en cause à tout moment.
Aux engagements contraignants pris à l’OMC par le pays, et ratifiés par le Congrès, se substitue le fait du Prince. Mais il en va de même des engagements pris dans le cadre de l’OTAN. Le Département de la Défense proposait de retenir l’une des trois solutions proposées par le Département du Commerce pour les importations d’acier et d’aluminium, qui exemptait les pays alliés des États-Unis. Cette proposition a été ignorée par le Président qui a donné, en creux, ses motivations. Il est revenu à deux reprises sur le sujet dans son intervention à la Maison Blanche. Il a d’abord évoqué, à propos des exemptions possibles, « les pays qui nous traitent correctement du point de vue militaire, ceux qui payent la note et ceux qui ne la paient pas, pas la totalité de leur note, pas même la moitié », puis : « beaucoup des pays qui nous traitent le plus mal en matière d’échanges commerciaux, ou de budgets militaires, sont nos « alliés », du moins c’est ce qu’ils prétendent ». Le message ne pourrait pas être plus clair : c’est celui d’une remise en cause fondamentale des engagements pris par les États-Unis.
Dans le programme de politique commerciale qu’il a récemment publié, l’USTR cite la fameuse Adresse Finale de George Washington, dans laquelle le Président, au moment de quitter ses fonctions, incite ses compatriotes à rester à l’écart des conflits européens, et de la guerre entre l’Angleterre et la France, en rappelant que les relations entre nations ne peuvent être fondées que sur l’égoïsme. Il ajoute néanmoins que la parole donnée est sacrée : « lorsque nous nous sommes engagés, remplissons nos engagements avec une parfaite bonne foi ». Cette partie du prêche du fondateur de la République américaine n’a, à l’évidence, plus cours.
Mais la décision traduit également les convictions protectionnistes du Président, affichées depuis longtemps (il a d’ailleurs souligné pendant la même cérémonie qu’il ne pensait pas avoir l’occasion de pouvoir un jour passer à l’acte). Il a évoqué de nouveau un thème qui lui est cher, celui de la réciprocité des échanges, non pas sur une base d’ensemble comme c’est la norme à l’OMC, mais sur une base spécifique produit par produit : si la Chine impose un droit de douane de 25 % aux automobiles importées des États-Unis, et l’Inde de 75 %, leurs exportations automobiles seraient frappées d’un droit de 25 % et 75 % respectivement (et celles de l’UE de 10 %). La mise en œuvre de ce schéma n’est pas évidente : si les pouvoirs de l’exécutif sont vastes, ils ne sont pas illimités. Mais la direction visée est claire.
C’est essentiellement dans cette optique que la réponse des pays tiers visés par la mesure doit être ferme. Il faut éviter que ce précédent fasse école, d’abord aux États-Unis – le Département du commerce annonce réfléchir à d’autres invocations possibles de la section 232 –, mais aussi dans le reste du monde.
La décision prise sur l’acier et l’aluminium et le discours présidentiel qui l’accompagne remettent fondamentalement en cause le positionnement des États-Unis par rapport au monde, mais pas seulement dans le domaine des échanges internationaux. Ils signifient clairement que les engagements pris par les États-Unis à l’égard des pays tiers ont une valeur purement relative, et peuvent être remis en cause à tout moment.
Aux engagements contraignants pris à l’OMC par le pays, et ratifiés par le Congrès, se substitue le fait du Prince. Mais il en va de même des engagements pris dans le cadre de l’OTAN. Le Département de la Défense proposait de retenir l’une des trois solutions proposées par le Département du Commerce pour les importations d’acier et d’aluminium, qui exemptait les pays alliés des États-Unis. Cette proposition a été ignorée par le Président qui a donné, en creux, ses motivations. Il est revenu à deux reprises sur le sujet dans son intervention à la Maison Blanche. Il a d’abord évoqué, à propos des exemptions possibles, « les pays qui nous traitent correctement du point de vue militaire, ceux qui payent la note et ceux qui ne la paient pas, pas la totalité de leur note, pas même la moitié », puis : « beaucoup des pays qui nous traitent le plus mal en matière d’échanges commerciaux, ou de budgets militaires, sont nos « alliés », du moins c’est ce qu’ils prétendent ». Le message ne pourrait pas être plus clair : c’est celui d’une remise en cause fondamentale des engagements pris par les États-Unis.
Dans le programme de politique commerciale qu’il a récemment publié, l’USTR cite la fameuse Adresse Finale de George Washington, dans laquelle le Président, au moment de quitter ses fonctions, incite ses compatriotes à rester à l’écart des conflits européens, et de la guerre entre l’Angleterre et la France, en rappelant que les relations entre nations ne peuvent être fondées que sur l’égoïsme. Il ajoute néanmoins que la parole donnée est sacrée : « lorsque nous nous sommes engagés, remplissons nos engagements avec une parfaite bonne foi ». Cette partie du prêche du fondateur de la République américaine n’a, à l’évidence, plus cours.