Grèce
Retranscription écrite de l'émission du 1er mars "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38.
Par Agnès Bénassy-Quéré
130 milliards d’euros. Voilà la somme que les Européens viennent de consentir de nouveau à la Grèce pour l’empêcher de faire défaut et de sortir de la zone euro. En supposant que le FMI prenne en charge 15 milliards, il reste 115 milliards à financer. Nous, Français, en paierons 23. Cela nous fait donc 350 euros par personne, bébés compris. Or ce n’est pas la première fois que la Grèce tend sa sébile. En 2010, un premier plan de 110 milliards lui a été octroyé, dont 17 en provenance de France – 260 euros par personne. Tout cet argent n’est pas forcément perdu : ce sont des prêts, non des dons. Mais évidemment l’opération est risquée. Les créanciers privés ne s’apprêtent-ils pas à abandonner pour 107 milliards d’euros sur la Grèce ? Après avoir dépouillé les épargnants européens, la Grèce risque bel et bien de déplumer les contribuables.
Alors, pourquoi se saigner aux quatre veines ? Pourquoi ne pas laisser les Grecs voler de leurs propres ailes, faire franchement faillite et quitter la zone euro ? Si l’on raisonne froidement, il y a deux raisons essentielles de ne pas laisser tomber la Grèce.
La première raison, c’est que nous avons déjà énormément investi dans le sauvetage de ce pays et que renoncer aujourd’hui nous ferait perdre non seulement les sommes dont je viens de parler, mais aussi les 45 milliards de dette grecque détenus par la Banque centrale européenne. Or la BCE, c’est nous. Finalement, après le nouveau plan d’aide, chaque français – chaque bébé - aura investi 750 euros dans le sauvetage de l’Etat grec, sans parler du financement du déficit extérieur – de l’ordre de 300 euros de plus. C’est colossal mais pas forcément une raison pour continuer. Tout cet argent n’a pas encore été déboursé ; et puis même si la Grèce reste dans la zone euro, il n’est pas du tout sûr que vous et moi récupérions l’intégralité de nos 750 euros.
Le second argument, le vrai, c’est que les Européens ont une peur bleue des conséquences que pourrait avoir un défaut désordonné de la Grèce. Ils craignent un désastre moins pour la Grèce (c’est l’affaire des Grecs) que pour les autres Etats de la zone : une contamination à d’autres pays fragiles, à travers par exemple une hausse des taux d’intérêt, alourdissant encore le fardeau des dettes. Or en Europe, il y a de bons élèves qu’il faut soutenir : le Portugal, l’Irlande, l’Italie font de gros efforts, dans un environnement extrêmement difficile en termes de croissance et de taux d’intérêt. Une nouvelle défiance des marchés et ces pays risquent de basculer à leur tour. L’idée est donc de mettre de gros moyens sur le plus malade en espérant qu’il ne contaminera pas les patients fragiles mais encore valides.
Chers auditeurs, chers contribuables, sachez qu’en prêtant à la Grèce, c’est l’Italie, le Portugal, voire la France que vous soutenez. Laisser tomber la Grèce, la pousser hors de la zone euro, c’est prendre le risque de perdre les sommes investies dans son sauvetage, certes ; mais c’est surtout risquer de devoir secourir d’autres pays de la zone, notamment l’Italie dont la dette est 5 fois supérieure à la dette grecque. En tout égoïsme, il nous faut maintenir la Grèce sous perfusion au moins jusqu’à ce qu’elle cesse d’être contagieuse.