Réorienter l’économie : une dernière chance pour sauver le climat
Les scénarios publiés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) cet été sont très inquiétants. Existe-t-il encore des voies de sortie ? La récente COP26 a-t-elle débouché sur des avancées majeures ?
Le message dirimant du dernier rapport du GIEC est effectivement que la crise climatique a atteint un seuil critique. Les scientifiques ont été surpris par l’accélération de la survenue des événements extrêmes depuis fin 2019. C’est pourquoi l’éventualité d’un retour au « normal » pré-crise apparaît comme une dangereuse illusion.
Cependant, il est encore possible d’agir pour contenir l’augmentation de la température, par rapport à ce qu’elle était en moyenne entre 1850 et 1900, à 1,5 degré à l’horizon 2050. Mais il faut agir vite, pour être en mesure de ramener les émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) à zéro en 2050.
À cet égard, la COP26 a fait des avancées, avec l’accord sur la suppression du méthane carboné, qui doit être remplacé par la production d’un méthane vert par électrolyse, et celui sur la reforestation et l’afforestation, limitant ainsi l’artificialisation des sols. Mais cela est loin d’être suffisant.
Pour tenir l’objectif d’émissions nettes de GES nulles en 2050, il faudrait parvenir à une avancée généralisée de l’électricité dans les usages de l’énergie et promouvoir l’hydrogène vert là où la décarbonation ne peut passer par l’électricité. Il faudrait également développer différentes techniques de capture et de stockage du carbone pour compenser une décarbonation incomplète.
Il s’agit donc de réorientations drastiques qui devront, en outre, être complétées par une mutation des modes de consommation vers la sobriété dans les pays riches, par des choix techniques qui ménagent l’environnement et les ressources, et par une aide financière conséquente aux pays en développement vulnérables.
Il faudrait, enfin et surtout, que l’instrument clé pour piloter la décarbonation, la hausse progressive du prix du carbone et son application à toute l’industrie, aux bâtiments et aux transports soit agréé à l’échelle planétaire. Ensuite, les recettes fiscales, que cette taxation du carbone permettrait, devront être transférées vers les populations vulnérables à l’intérieur des nations et des pays riches vers les pays pauvres au niveau international, pour éviter à ces derniers d’être piégés pour des décennies dans des structures productives à haute intensité carbone, ce qui les empêcherait de répondre à l’urgence climatique. Car le climat est, par essence, une préoccupation globale.
Est-ce que cela implique une transformation radicale de nos sociétés ?
Parvenir à un monde à 1,5 °C de réchauffement implique un coût de transition considérable, car il requiert un changement substantiel d’attitude des gouvernements à l’égard du lobby du carbone.
Un article paru dans la revue scientifique Nature en septembre 2021, évalue que 60 % des réserves de pétrole et de gaz, 90 % de celles de charbon devront être échouées d’ici 2050, c’est-à-dire qu’elles devront rester dans le sol, et pour toujours.
Cela veut dire que la production de pétrole et de gaz devra baisser chaque année de 3 % et celle de charbon de 7 % jusqu’à 2050. Or, en l’absence d’une tarification du carbone, aucun pays producteur de pétrole et de gaz n’a annoncé d’objectif de réduction de sa production.
Tant qu’une hausse substantielle et durable du prix du carbone n’aura pas été décidée, il ne sera pas possible de parvenir à une écologie politique qui consisterait à intégrer les considérations de soutenabilité dans la régulation de la finance et dans la gouvernance des entreprises, et à incorporer l’objectif climatique de zéro émission nette dans les politiques budgétaires et monétaires.
Cette transformation radicale réclame également que les gouvernements retrouvent le sens de la planification stratégique pour donner un cap de long terme aux entreprises privées de tous les secteurs et gagner la confiance des citoyens, pour qu’ils s’engagent dans la transformation des modes de vie.
Est-ce que vous observez une prise de conscience politique face à cette urgence climatique ? L’Europe semble avoir une longueur d’avance…
Les pays européens, France en tête, ont porté l’Accord de Paris de 2015 et sont engagés vers la neutralité carbone en 2050. Mais leur inertie dans la mise en œuvre des intentions formulées dans cet Accord est malheureusement restée très forte.
C’est pourquoi la Commission européenne a pris les devants. Elle a présenté un plan ambitieux le 14 juillet dernier, « Fit for 55 », qui définit les actions requises d’ici 2030 pour respecter l’Accord de Paris. Il s’agit de réduire les émissions de GES de 55 % d’ici 2030 par rapport à 1990, soit une baisse de 40 % par rapport à 2005, pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Ces objectifs ne sont pas seulement des ambitions, mais des obligations qui seront inscrites dans la première loi climat européenne, que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, devrait faire promulguer en mars 2022.
Grâce au choix du nucléaire, la France est un pays bien plus décarboné que ses voisins. Il lui est donc possible d’atteindre la neutralité carbone par un mix énergétique nucléaire/renouvelables, à condition de prolonger les centrales existantes et de construire des centrales de 3e génération EPR2 pour remplacer progressivement les centrales en fin de vie. C’est la stratégie annoncée par le président français Emmanuel Macron.
Cependant, cette transition écologique risque d’avoir un coût social très important. Cette dimension est-elle suffisamment prise en compte ?
Pour que la transition soit équitable, la solidarité doit être un impératif catégorique, que ce soit au niveau des États ou du Green Deal européen.
C’est pourquoi la Commission prévoit un nouveau fonds social pour le climat, afin de soutenir financièrement les citoyens les plus affectés par la hausse transitoire des coûts de l’énergie et de la mobilité.
Ce fonds sera alimenté par la hausse de recettes fiscales attendues de l’extension du système d’échange de quotas d’émissions aux bâtiments et aux transports, complété par une partie des recettes de la taxe carbone aux frontières. Il devrait ainsi disposer de 72,2 milliards d’euros aux prix actuels pour la période 2025-2032.
La transition énergétique nécessite aussi de coordonner les actions entre pays européens et de soutenir, grâce au fonds de modernisation, les pays qui ont un niveau de vie plus faible, une plus grande part d’énergies fossiles et une intensité énergétique plus élevée.
Peut-on concilier transition écologique et croissance économique ? Ne faut-il pas privilégier plutôt la décroissance ?
Non, la décroissance serait catastrophique pour l’adhésion indispensable des populations. Au contraire, décarbonation et croissance doivent aller de pair. Pour ce faire, un fonds d’innovation, pour décarboner les secteurs couverts par le mécanisme d’ajustement aux frontières, sera mis en place pour financer des investissements des petites et moyennes entreprises (PME) en énergies propres et usages de ces énergies. La Commission vise ainsi à susciter 260 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an dans les énergies propres pour le chauffage des bâtiments, par la construction de pompes à chaleur éliminant le chauffage au fioul, ou en aidant à financer la transition dans les transports terrestres (qui font 25 % des émissions de GES en Europe et qui sont la principale cause de pollution atmosphérique).
Il faudrait également investir massivement pour transformer le mix énergétique et baisser l’intensité énergétique, car les usages de l’énergie représentent 75 % des émissions en Europe. À cette fin, l’objectif prévu par la directive européenne pour l’énergie renouvelable est de porter la part des renouvelables dans le mix énergétique de 20 % en 2019 à 40 % en 2030.
La transition verte ne saurait oublier que les crises du climat et de la biodiversité doivent être résolues ensemble pour respecter les limites planétaires. Restaurer la biodiversité, c’est améliorer le fonctionnement des écosystèmes, donc la productivité du capital naturel et accroître la capacité de capture des puits de carbone. C’est pourquoi une stratégie pour la forêt et une initiative pour l’agriculture sont nécessaires pour y parvenir.
Propos recueillis par Isabelle Bensidoun
Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne », un partenariat CEPII–The Conversation.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.