Le blog du CEPII

Trump dans le magasin de porcelaine des relations commerciales internationales

Trump a fait du protectionnisme l’un de ses principaux arguments de campagne. Que peut-il faire dans ce domaine ? Que va-t-il faire en pratique ? Quelles pourraient être les conséquences ?
Par Sébastien Jean
 Billet du 11 novembre 2016


La victoire de Donald Trump est un coup de tonnerre, lourd de menaces et d’interrogations, aux Etats-Unis et bien au-delà. A défaut d’être le plus important des domaines concernés, les relations commerciales internationales sont parmi les plus directement impactés potentiellement, tant le protectionnisme commercial a été l’un des arguments emblématiques du candidat Trump, et tant les équilibres sont fragiles en la matière.

Morceaux choisis : « Nous ne pouvons plus continuer de laisser la Chine violer notre pays. C'est ce qu'il est en train de faire. C'est le plus grand vol de l'histoire du monde » (Fort Wayne, Indiana, mai 2016). « Ces accords sont un désastre. (…) L’OMC est un désastre » (Meet the Press, NBC, juillet 2016). Autant dire que, sur ce sujet peut-être plus encore que sur la plupart des autres, Donald Trump n’a pas fait dans la dentelle au cours de sa campagne, menaçant d’imposer des droits de douane punitifs aux importations en provenance de Chine (45 %) et du Mexique (35 %), de « déchirer » les accords de libre-échange existants, à commencer par l’ALENA, et de retirer son pays de l’OMC. Cet inventaire, apocalyptique pour quiconque est attaché à une organisation stable et pacifiée des relations commerciales internationales, pose plusieurs questions : que peut faire le Président Trump ? Que va-t-il faire en pratique ? Quelles pourraient en être les conséquences ?

La conduite des politiques relatives au commerce extérieur étant une prérogative du Congrès, on pourrait être tenté de croire que le Président a relativement peu de pouvoir en la matière et ne serait pas en mesure de mettre ces menaces à exécution. Ce n’est pas le cas en pratique, essentiellement parce que le Président a la charge de la conduite de la politique étrangère, et qu’il peut s’en prévaloir pour prendre différentes mesures en arguant de la sécurité nationale, de l’urgence ou d’une menace. Ces actions seraient probablement contestées, mais le Président peut agir vite et fort, tandis que les remises en cause de ses actions seraient nécessairement incertaines et lentes. Le dommage commercial et politique sera largement consommé avant qu’une procédure légale interne n’aboutisse. En outre, sortir d’un accord commercial n’est pas du tout aussi compliqué que sortir de l’Union européenne, pour mentionner un sujet tout autant d’actualité. Pour l’essentiel, les accords commerciaux, y compris ceux du GATT puis ceux ayant donné naissance à l’OMC, sont des échanges d’engagements entre les pays partenaires : je m’abstiens d’avoir recours à des politiques protectionnistes, en échange de ton engagement à faire de même. Révoquer ces engagements n’a rien d’insurmontable, et les accords de libre-échange incluent généralement des clauses de révocation. En somme, on aurait tort de penser que le Président Trump aura les mains liées en matières commerciales pour des raisons institutionnelles ou légales.

Faut-il pour autant en conclure que ses menaces seront mises à exécution ? Cela reste plus qu’incertain, d’abord parce que les déclarations de campagne sont une chose, la pratique du pouvoir en est une autre. Donald Trump n’en est pas à une contradiction près, un revirement est donc tout à fait possible. On peut d’ailleurs relever d’une part que ses écrits sont nettement moins tonitruants que ses déclarations, d’autre part que le ton de son premier discours de Président était plutôt apaisant. A vrai dire, la mise en pratique des déclarations de campagnes décrites ci-dessus infligeraient un tel coût à l’économie américaine qu’il est très improbable qu’elles soient appliquées telles quelles, d’autant que les milieux d’affaires, très influents auprès des républicains, exerceront de très fortes pressions pour le modérer.

Pour autant, aussi incohérent que soit Donald Trump, il y a fort à parier que son discours protectionniste se traduise d’une façon ou d’une autre. La première victime désignée est le Partenariat Transpacifique (TPP). La violence des attaques de Trump à son encontre pendant la campagne laisse peu de doutes sur le fait que cet accord, bien que déjà conclu politiquement, ne sera jamais ratifié et rejoindra aux oubliettes de l’histoire commerciale un certain nombre de ses prédécesseurs (l’accord anti-contrefaçon ACTA et l’Organisation Internationale du Commerce, OIC, étant parmi les plus célèbres). La négociation du Partenariat Transatlantique (TTIP) peut également être considérée comme abandonnée : s’il n’a pas été possible d’avancer substantiellement dans la période récente, que peut-on attendre d’une négociation entre une Europe en proie à la paralysie institutionnelle et des Etats-Unis agressivement protectionnistes ?

Mais la question importante n’est pas tant l’abandon de ces accords potentiellement en devenir, elle est de savoir quel dommage la politique de Trump est susceptible de porter aux institutions existantes et à la croissance. Même si l’ALENA et en particulier le Mexique ont été la cible de nombreuses attaques de Trump lors de sa campagne, c’est par rapport à la Chine que ses prises de position ont été le plus agressives. Ses menaces sont sans doute proférées avec l’intention de mettre ses partenaires sous pression plutôt que d’être appliquées. Ainsi, l’application d’un droit de douane de 45 % contre les produits chinois est assortie d’un « s’ils ne se comportent pas bien » (if they don’t behave). Et Trump a dit qu’il entamerait dès son premier jour de fonction une procédure contre la Chine pour sanctionner la manipulation supposée de son taux de change (une accusation qui n’a d’ailleurs plus grand sens aujourd’hui), ce qui laisse supposer qu’il espère ainsi obtenir des concessions sur la gestion de leur monnaie. Mais s’engager dans une telle logique est un pari risqué. Les Etats-Unis ne sont plus tout-puissants dans la concurrence économique, loin s’en faut, et des menaces pourraient tout aussi bien attirer des représailles que des concessions. Le passé a montré le coût des guerres commerciales, et il serait encore beaucoup plus élevé dans le contexte présent, où près de 40 % des exportations américaines s’inscrivent dans des chaînes de valeurs internationales, soit parce qu’elles sont composées de pièces et composants importés, soit parce qu’elles sont des pièces et composants qui sont ensuite intégrés dans les exportations d’autres pays. Son coût potentiellement prohibitif est peut-être le meilleur garde-fou contre un conflit commercial de grande ampleur, mais l’enchaînement des représailles s’enclenche facilement.

Peut-il aller jusqu’à sortir de l’OMC ? C’est tout à fait crédible. Les Etats-Unis n’ont jamais brillé par leur empressement à respecter leurs engagements au sein de l’organisation, dont l’existence même a d’ailleurs été quasiment absente des débats de la campagne, en dehors de la foucade de Trump mentionnée plus haut. Et même s’ils n’en sortaient pas, le fait de se mettre en contradiction flagrante avec leurs engagements, venant de la première puissance économique mondiale, risquerait de porter à l’OMC un coup dont elle ne se relèverait pas. Le risque serait alors que l’organisation des relations commerciales soit soumise à une logique plus fortement empreinte de rapports de force politiques, sous la coupe des différentes puissances régionales. La gestion des relations commerciales entre Etats souverains par des règles élaborées d’un commun accord est une porcelaine fine, reposant sur des arrangements complexes et le plus souvent fragiles. Trump demeure largement imprévisible dans ce domaine comme dans d’autres, mais ses gesticulations souvent irrationnelles augurent mal de sa capacité à s’y mouvoir sans casse, avec des dommages collatéraux potentiellement irréparables.
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