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Les Abenomics : un an après...

Le Premier ministre Shinzo Abe s’est fixé pour objectif prioritaire la lutte contre la déflation. L’efficacité de sa politique économique repose sur le tir simultané de trois flèches (politique monétaire, budgétaire et structurelle). Un an après, où en sont ces trois flèches ?
Par Evelyne Dourille-Feer
 Billet du 23 janvier 2014


Deux flèches proches du centre de la cible

La première flèche de Shinzo Abe est celle de la politique monétaire ultra-expansive ciblant un niveau de 2 % d’inflation en deux ans. Décochée par le nouveau gouverneur de la Banque du Japon, Haruhiko Kuroda, cette flèche consiste à doubler la base monétaire de la Banque du Japon par l’achat massif d’obligations d’État (50 trillions de yen par an, d’une maturité moyenne étendue à 7 ans [1]) et, marginalement, par l’achat d’actifs risqués tout en maintenant le taux directeur entre 0 et 0,1 %.

Les résultats obtenus fin 2013 sont très positifs sans être conformes à toutes les attentes des autorités. Tout d’abord, les taux d’intérêts réels des JGB (obligations d’État) à 10 ans sont passés de + 1,5 % à - 0,99 % entre avril et novembre 2013. Dans ce contexte favorable aux placements boursiers, l’indice Nikkei a enregistré ses plus forts gains depuis plus 40 ans en 2013 : + 57 % ! Mais ce sont essentiellement les capitaux étrangers qui ont été au rendez-vous, ce qui a limité l’impact de l’« effet richesse » sur l’économie domestique. Ensuite, malgré un accès de plus en plus facile aux crédits bancaires, les investissements des entreprises ont tardé à monter en puissance, le secteur manufacturier ne révisant nettement à la hausse ses plans d’investissements qu’en fin d’année. Enfin, la baisse du yen (- 18 % en 2013 par rapport au dollar) ne s’est pas traduite par une rapide embellie des exportations à cause de la faible demande des émergents et de l’Europe, d’une perte de compétitivité des firmes souvent trop diversifiées et d’importantes délocalisations industrielles. Comme le yen faible a renchéri les importations, la balance commerciale a poursuivi sa dégradation. Les anticipations d’inflation ont, par contre, progressé chez tous les acteurs, notamment au sein des ménages. En dépit d’une stagnation des salaires, la consommation des ménages a été relativement ferme grâce aux achats anticipés avant la hausse de la TVA en avril 2014.

Ces différents facteurs ont concouru au retournement de l’indice des prix à la consommation (IPC) durant la seconde partie de 2013, les deux IPC (hors produits frais, hors énergie et alimentation) étant nettement positifs en fin d’année. Mais cette hausse repose en grande partie sur de l’inflation importée, via les matières premières énergétiques renchéries par un yen faible (graphique 1). Au total, l’IPC hors produits frais devrait redevenir positif en 2013 (+ 0,4 %), l’IPC hors alimentation et énergie demeurant légèrement négatif (- 0,2 %) [2].
 

Graphique 1 : Évolution de l’indice des prix à la consommation
Source : MIC, décembre 2013.
 
La deuxième flèche (politique budgétaire) a été tirée rapidement avec l’adoption d’un budget 2013 sur 15 mois, combinant un plan de relance massif de 10,3 trillions de yen (87 milliards d’euros), voté dès janvier, et un budget initial  en augmentation de 2,5 % par rapport à 2012. Des retombées rapides sur l’économie étaient attendues de la forte composante « travaux publics ». Elles ont été au rendez-vous dès le second trimestre. Le moteur des investissements publics a, de surcroît, joué un rôle déterminant de soutien à la croissance au troisième trimestre alors que la consommation des ménages était faible et l’investissement des entreprises en panne (graphique 2). Cette deuxième flèche a donc bien rempli sa fonction.
 

Graphique 2 : Contribution à la croissance du PIB par poste
 

Source : ESRI, SNA, décembre 2013.
 
La troisième flèche de la stratégie de croissance sort du carquois

La flèche de la stratégie de croissance comprenait un volet règlementaire (secteurs de l’agriculture, de la santé, de l’innovation, de l’énergie, du marché du travail…), une réforme fiscale, l’accélération de la participation du Japon à différents accords de libre-échange, mais également un volet sociétal (promotion du travail des femmes, démographie, politique d’immigration…).

La libéralisation des échanges, déjà engagée, s’est accélérée avec le lancement des négociations UE- Japon en mars suivi par celui du partenariat transpacifique en juillet. Au cours des négociations, les pressions externes peuvent être utilisées par le gouvernement japonais afin de résister aux lobbies domestiques et faire progresser les dérèglementations sectorielles, notamment dans l’agriculture.

Le Parti libéral démocrate a attendu sa victoire aux sénatoriales de juillet 2013 pour soumettre d’importants projets de lois, base des réformes structurelles. Lors de la session parlementaire de fin d’année [3], le volet règlementaire a progressé rapidement : loi sur le renforcement de la compétitivité industrielle, établissement de zones stratégiques spéciales dérèglementées, loi sur le remembrement des terres agricoles, révision des lois sur la pharmacie et sur l’électricité, fixation d’un cadre légal de réforme de la sécurité sociale... Si le contenu de certaines de ces lois doit encore être précisé, ces dernières ouvrent des perspectives de restructuration d’ensemble de l’économie que ce soit au niveau de l’agriculture, de l’industrie ou des services. De grandes manœuvres rappelant celles des années 1960… à condition que ces réformes puissent être menées à bien.

L’année 2013 s’achève sur une croissance du PIB réel comprise entre 1,6 % à 2 %, un retour de la confiance des acteurs, un yen faible favorable aux profits des exportateurs et la mise sur orbite de nombreux dossiers. La sortie de la déflation fin 2013 demeure fragile car 2014 n’est pas seulement placée sous le signe de l’utilisation des deux flèches monétaire (renforcement possible de la politique d’assouplissement monétaire) et budgétaire (budget sur 15 mois, plan de soutien à l’économie de 5,5 trillions de yen, soit 39 milliards d’euros, et augmentation de 3,6 % du budget) mais également sous le signe de l’assainissement budgétaire avec le passage de la TVA de 5 % à 8 % en avril 2014 [4], soit la première hausse depuis 17 ans. Le rôle d’amortisseur du plan de relance, l’activation de la flèche de croissance et l’accélération du commerce mondial devraient aider l’économie japonaise à absorber ce choc. Toutefois, sans augmentation des salaires, la dynamique insufflée par les Abenomics pourrait bien s’essouffler. L’accroissement de la dette publique deviendrait alors encore plus difficile à gérer.

[1] Précédemment, maturité inférieure à trois ans.
[2] Source : Crédit Suisse, janvier 2014.
[3] Première session après les sénatoriales : mi-octobre à début décembre 2013.
[4] Passage de la TVA à 10 % en octobre 2015.

Politique économique 
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