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À qui profitent les revenus des investissements des multinationales ?

Les flux croisés de revenus d’IDE ont connu une expansion sans précédent depuis 20 ans. Leur impact n’est pas neutre sur la création de richesse des pays. Il est positif pour les pays à hauts revenus et négatif pour les autres pays.
Par Laurence Nayman, Vincent Vicard
 Billet du 18 juin 2018


L’équilibre (ou le déséquilibre) extérieur d’une économie est souvent identifié au seul solde de ses échanges de biens et de services enregistrés dans le compte courant de sa balance des paiements. Les revenus d’investissement direct à l’étranger (IDE) représentent pourtant une part croissante des flux du compte courant en lien avec l’activité grandissante des entreprises multinationales. Au niveau mondial, ces revenus liés à l’activité des multinationales génèrent des transferts de revenus substantiels au profit des pays riches.

Les revenus d’IDE : c’est quoi ?

Les revenus d’IDE correspondent à la rémunération des activités des multinationales à l’étranger. Au niveau d’un pays, les revenus d’IDE reflètent la rémunération d’un facteur de production national – le capital investi par les entreprises résidentes afin de créer, acquérir ou développer une filiale à l’étranger – et sont donc enregistrés dans la balance courante comme des revenus primaires, dont ils constituent 44 % des flux en 2016 (contre 34 % pour les revenus d’investissement de portefeuille et 4 % pour les rémunérations). Les revenus d’IDE sont composés de dividendes, de bénéfices non distribués (sous forme de dividendes) des filiales et succursales[1], et d’intérêts sur les emprunts intragroupes. Ils sont crédités au compte du pays de l’investisseur direct au prorata de son investissement. Au niveau mondial, les dividendes sont prépondérants en moyenne des flux dans la structure des revenus d’investissement en 2016 (51 %) suivis par les bénéfices non distribués (36 %). Les intérêts versés ou reçus par les maison-mères occupent une part plus réduite mais en forte progression (13 % contre 8 % en 1995).

Les revenus d’IDE ont progressé plus vite que le commerce mondial depuis 20 ans


La progression spectaculaire des échanges internationaux depuis deux décennies – les flux internationaux ont progressé à un rythme annuel moyen de 7,3 %[2] contre 4,5 % pour le PIB mondial sur la période 1995-2016–, se caractérise cependant par une remarquable stabilité quant à la structure des principaux postes de la balance courante : les échanges de biens représentent ainsi 61 % du total en 2016 contre 65 % en 1995, ceux de services respectivement 19 % et 17 %, le total des revenus primaires passent de 14 % à 15 % et les revenus secondaires restent stables à 4 %.
Des changements importants apparaissent cependant au sein de ces grands postes. En particulier, les revenus d’IDE, enregistrés dans les revenus primaires, connaissent la croissance la plus rapide sur la période 1995-2016, à 11,3 % en moyenne annuelle (7,2 % pour l’ensemble des investissements). La part des revenus d’IDE dans les revenus primaires double ainsi sur la période, passant de 20 % des flux moyens en 1995 à 44 % en 2016, soit de 3 % à 7 % des flux du compte courant en deux décennies. Cette multiplication par près de 10 des flux de revenus d’IDE souligne le rôle croissant joué par les multinationales dans l’économie mondiale.
 
Graphique 1 : Structure par grands postes des transactions courantes mondiales, 1995-2016
(moyenne des débits et des crédits en milliards de dollars)
 

Source : FMI, balance des paiements.

 
Les pays riches en excédent mais pas les autres


Les flux permettent de caractériser les échanges de revenus mais ne disent rien sur l’importance des déficits ou des excédents des pays. Classés par groupe en adoptant les critères de la Banque mondiale selon le revenu national brut par habitant en 2015, il ressort que le groupe de pays à hauts revenus (à l’exclusion des paradis fiscaux et des pays de l’OPEP) est très largement excédentaire. Cet excédent augmente au cours du temps, passant de moins de 100 milliards de dollars à environ 400 milliards de dollars entre 1995 et 2016. Parmi les pays présentant les soldes de revenus d’IDE les plus excédentaires, on retrouve aussi bien des pays enregistrant des excédents courants (Allemagne, Japon, Suède, Danemark, Pays-Bas, Norvège, Suisse, Islande) que d’autres structurellement déficitaires (États-Unis, Royaume-Uni et France principalement).

De manière symétrique, l’ensemble des autres grandes zones affiche un solde déficitaire sur les revenus d’IDE.  En particulier, les grands pays émergents et les pays à revenus intermédiaires supérieurs accusent un déficit important des revenus d’investissement direct croissant après la crise.

Comment le solde de revenus d’IDE affecte le revenu national des pays ?

Les déséquilibres sur les postes des revenus primaires se traduisent par des transferts de revenus entre pays, et au niveau national par des différences entre revenu national brut (RNB) et PIB. Le RNB résulte de la somme du PIB (les revenus tirés de la production sur le territoire national) et des revenus primaires nets perçus du reste du monde (les revenus des agents économiques résidents à l’étranger générés par les activités productives). Un excédent est réalisé quand les revenus perçus (crédits) sont supérieurs à ceux qui sont versés (débits).

 
Graphique 2 : PIB, RNB et solde des revenus d’IDE, pays à hauts revenus et reste du monde
(1995-2016, %)

Source : FMI, balance des paiements ; Chelem-PIB. Le RNB est calculé à partir des données de PIB et de balance des paiements.
 
Au niveau mondial, les déséquilibres de solde de revenus d’IDE se traduisent par des transferts conséquents au profit des pays à haut revenus (cf. graphique 2). Pour ce groupe de pays, les activités des multinationales viennent augmenter le revenu disponible brut d’environ 1 % par rapport au PIB sur la période 2010-2016. Dans cet ensemble, trois pays, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France se détachent particulièrement. A eux trois, ils représentent 90 % de l’excédent des revenus d’IDE de l’ensemble des pays à hauts revenus sur toute la période.

Pour le reste du monde, en revanche, la détérioration de ce solde est considérable jusqu’en 2008. Depuis 2011, le solde des revenus d’IDE s’améliore sensiblement grâce à des débits en baisse mais aussi à des crédits en hausse. Cependant, les revenus d’IDE ne sont pas les seuls responsables de la dégradation du solde des revenus primaires surtout à partir de 2011, même s’ils expliquent plus des deux tiers du déficit sur la période 2010-2016. Les intérêts versés sur les obligations et sur les prêts (en particulier par les grands pays émergents) constituent le tiers restant.
 
Pour aller plus loin :
 
 

[1] Soit l’épargne nette de ces entités après versement de l’impôt sur les bénéfices et déduction des provisions pour la dépréciation du capital fixe.
[2] Mesurés dans la balance des paiements par la moyenne des crédits et des débits du compte courant en valeur.

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