Le blog du CEPII

« Tariffs are coming » : menace de taxes douanières et rapports de force sous Trump II

La seconde présidence de Trump vit à l’heure de Game of Thrones. Un vent froid d’hiver souffle, chargé de tarifs douaniers, de menaces et de chantage. La stratégie : fermeture du marché intérieur pour obtenir des concessions. Sans doute une victoire à court terme. À long terme, un risque que l’Union européenne et la Chine s’en détournent pour naviguer vers d’autres eaux.
Par Antoine Bouët, Houssein Guimbard, Yu Zheng
 Billet du 10 février 2025


Juste après son investiture, Donald Trump a promis l’application de droits de douane de 25 % sur toutes les importations en provenance du Canada (pétrole et produits énergétiques exceptés) et du Mexique, mais aussi une augmentation de 10 points de pourcentage des taxes à l’importation sur les produits chinois. Donald Trump reprochait en particulier à ses deux voisins nord-américains une immigration trop forte vers les États-Unis et un trafic massif de fentanyl – un opioïde hautement addictif et létal, devenu une cause majeure de mortalité. Quant à la Chine, elle est, pour de multiples raisons, un adversaire désormais traditionnel des États-Unis.

Ces droits de douane supplémentaires ont été ensuite confirmés, mais le 4 février 2025 les gouvernements canadiens et mexicains ont négocié un délai d’un mois pour leur application. En retour, les deux gouvernements ont mis en place des mesures allant dans le sens des demandes américaines : ils ont concédé le positionnement de 10 000 militaires à leurs frontières et le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a ajouté un financement pour lutter contre le crime organisé et le trafic de fentanyl de 138 millions de dollars.

Fin du libre-échange nord-américain

Les implications économiques de ces droits de douane auraient été très dommageables aux trois économies nord-américaines, avec un impact particulièrement fort sur le Canada et le Mexique, dont la majeure partie des exportations de marchandises (73 % et 76 % en 2022) sont à destination de leur voisin américain.

C’est ce que des simulations réalisées avec le modèle MIRAGE du CEPII confirment. En 2030, soit lorsque ces décisions auraient porté tous leurs effets, les pertes de PIB en termes réels auraient atteint 3 % au Canada et 7,2 % au Mexique. Encore plus, respectivement 4,6 % et 9,3 %, si ces pays avaient pris des mesures de représailles, en appliquant des droits de douane de même ampleur aux importations en provenance des États-Unis. Dans ces deux pays, les pertes d’activité auraient été massives dans les secteurs automobiles et équipements automobiles, machines et produits électriques, électronique et produits optiques, textiles : entre 15 et 50 % de baisse de la valeur ajoutée en termes réel selon les pays et les scénarios. De tels impacts sont évidemment à relier à l’effondrement du volume de leurs exportations : entre 35 % et 46 % pour le Mexique, 27 et 39 % pour le Canada. Ces deux économies sont relativement ouvertes. Le poids des échanges dans le PIB canadien s’élève à 32 %, 40 % dans celui du Mexique en 2022. En conséquence, les exportations sont pour elles une activité cruciale.

L’impact aurait été aussi dommageable, mais dans une moindre mesure, pour l’économie américaine avec une baisse de 0,4 % de son PIB en volume et de 0,9 % en cas de représailles. Avec le développement des chaînes globales de valeur, les droits de douane sont en effet devenus un instrument moins intéressant pour relancer la production locale. Les constructeurs nord-américains d’automobiles ont ainsi développé des « écosystèmes » qui s’appuient sur des échanges intensifs de biens intermédiaires et biens finis entre les trois pays de l’accord de libre-échange nord-américain. Mais ces chaînes de valeur ne sont efficientes que lorsque les échanges entre les trois pays sont libres de toutes taxes douanières. En plus de pénaliser le pouvoir d’achat des ménages américains par des hausses de prix à la consommation, les droits de douane auraient un impact négatif direct sur la compétitivité des entreprises installées aux États-Unis.
 

L’Union européenne, grande gagnante ?

En revanche les pays qui ne sont pas soumis à ces nouvelles mesures protectionnistes et qui se voient dès lors bénéficier de barrières commerciales relativement moins élevées sur le marché américain, gagnent des parts de marché et voient leur PIB en termes réel augmenter.

C’est le cas notamment de la France – 0,2 % dans le scénario avec représailles –, de l’Allemagne – 0,3 % – et du reste de l’Union européenne – 0,2 %. Les exportations françaises de biens vers les États-Unis augmentent de 15 %, car leurs concurrents canadiens, mexicains ou chinois sont pénalisés dans leur accès au marché américain.

C’est une illustration de ce que les économistes appellent la « résistance multilatérale » : les exportations françaises vers les États-Unis dépendent non seulement des barrières commerciales entre ces deux pays, mais aussi de celles que les États-Unis appliquent aux concurrents de la France. Et lorsque ces derniers sont plus lourdement taxés, les exportations françaises vers les États-Unis augmentent. Aussi, plus le Canada taxe les produits américains en représailles, plus les ménages canadiens achètent des produits en provenance de pays concurrents des États-Unis, en particulier de France. Les secteurs qui en auraient profité particulièrement en France et en Allemagne sont l’automobile et l’équipement automobile, les machines et produits électriques, la métallurgie et produits associés.

Le point essentiel de cet épisode protectionniste est le rapport de force que l’administration américaine a imposé à ses deux voisins, tout comme elle l’a fait fin janvier 2025 avec le gouvernement colombien lorsqu’il a refusé l’atterrissage d’avions militaires américains transportant des immigrés expulsés des États-Unis. L’administration américaine avait réagi en menaçant d’un droit de douane de 25 % sur toutes les importations colombiennes, droit qui aurait été porté à 50 % une semaine plus tard si une solution n’avait pas été trouvée. Elle l’a été rapidement et les transports d’immigrés ont depuis repris.

Représailles de la Chine et de l’Union européenne

Ainsi, nous sortons de fait du cadre commercial multilatéral mis en place après la Seconde Guerre mondiale et concrétisé en 1995 par la création de l’Organisation mondiale du commerce, institution internationale en charge notamment de régler les litiges commerciaux. Les États-Unis ont la volonté manifeste d’imposer des rapports de force et d’obtenir des concessions de leurs partenaires en brandissant la menace de taxes douanières. Ces menaces protectionnistes pourraient se multiplier dans les prochaines semaines et, avec elles, au-delà de l’impact direct sur les échanges et l’activité économique, pèserait le coût d’une incertitude accrue.


Les États-Unis gagneront-ils à répéter ce type de chantage avec d’autres pays ? Tout d’abord la position américaine sera beaucoup plus difficile lorsque l’administration américaine s’attaquera à des pays de taille similaire. La Chine a annoncé des représailles sous la forme de droits de douane sur les produits américains, de contrôle des exportations (minerais critiques par exemple), et de dépréciation du renminbi : une capacité de représailles qui pourrait être dissuasive.

L’Union européenne aussi a annoncé qu’elle réagirait « avec fermeté » et a préparé, semble-t-il, une liste de produits américains qui pourraient être bientôt taxés lors de leur entrée sur le sol européen. Des représailles de ces deux économies devraient infliger des torts substantiels à l’économie américaine.

Fiabilité et infidélité

À utiliser de manière répétée des menaces de droits de douane, les États-Unis perdent la réputation d’un partenaire commercial fiable, avec pour conséquence le risque que leurs partenaires cherchent à diversifier la source de leurs importations et la destination de leurs exportations. La volonté de l’Union européenne de multiplier les accords de libre-échange – avec le Mercosur, avec le Mexique, avec l’Inde, avec l’Indonésie –, explicitement inscrite dans le « Competitiveness Compass » ou « Boussole de l’Union européenne pour la compétitivité », publié fin janvier 2025, en est un exemple.

« (Elle) trace le chemin que l’Europe doit suivre pour devenir à la fois la région où les futurs technologies, services et produits propres seront inventés, fabriqués et mis sur le marché, et le premier continent à atteindre la neutralité climatique. »

Il existe aussi la possibilité pour les entreprises de contourner les droits de douane américains par des stratégies d’investissement direct à l’étranger. Ce que les entreprises chinoises ont fait en multipliant les délocalisations au Vietnam et au Mexique. Avec des droits de douane américains de 25 % sur les produits mexicains et canadiens, et augmentés de 10 points de pourcentage sur les produits chinois, elles pourraient le faire dans d’autres pays, au Moyen-Orient par exemple.

Les États-Unis se lancent dans une nouvelle stratégie commerciale : utiliser leur force économique et le chantage d’une fermeture de leur marché intérieur pour obtenir des concessions. Mais cette stratégie aura aussi clairement un coût significatif pour eux. Des victoires, dans le cadre de relations avec des pays de plus petite taille, pourraient être à court terme remportées. En revanche, avec l’Union européenne et la Chine, ce devrait être différent. Et la réputation des États-Unis comme partenaire commercial devrait souffrir.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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