Hausses et baisses d’impôts : quels effets sur la croissance ?
À l’approche de l’élection présidentielle, les candidats rivalisent de propositions fiscales. Mais sait-on en évaluer les conséquences économiques ?
Savoir si les baisses d’impôts stimulent l’économie ou si les hausses cassent les reprises reste un sujet débattu. Pour les économistes keynésiens, une baisse d’impôt provoque une augmentation du PIB plus que proportionnelle – on parle de multiplicateur fiscal. Il s’agit d’un cercle vertueux où la baisse d’impôt, en engendrant une hausse du revenu disponible, entraîne une augmentation de la consommation, qui se traduit par des revenus supplémentaires pour les vendeurs, et donc des rentrées fiscales en plus, etc. Cette baisse d’impôt aura un impact positif d’autant plus important que les ménages ont une forte propension à consommer, c’est-à-dire consomment une part importante de leurs revenus, et que le pays est peu ouvert au commerce international – l’argent n’est pas utilisé pour acheter des produits importés. Cependant, baisser les impôts sans baisser de façon équivalente les dépenses publiques peut n’avoir aucun effet si les ménages, anticipant une hausse future des impôts pour rembourser la dette publique, choisissent d’épargner plutôt que de consommer ces ressources supplémentaires – on parle alors d’équivalence ricardienne.Le sujet a-t-il fait l’objet d’études permettant de trancher le débat ?
Sur le terrain empirique aussi, pendant longtemps, le débat a été vif. En grande partie parce qu’il était difficile d’évaluer correctement les effets des politiques fiscales et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, différents facteurs peuvent influencer en même temps l’activité et les recettes fiscales, du coup si ces facteurs ne sont pas isolés l’évaluation qui est faite n’est pas celle de la fiscalité sur l’activité, mais aussi celle de l’ensemble de ces facteurs. Ensuite, parce que l’activité économique influence les recettes fiscales autant que ces dernières influencent l’activité. Aussi, pour isoler l’effet allant de la fiscalité vers l’activité économique en éliminant l’effet inverse (de l’activité vers la fiscalité) il faut retenir, parmi les principaux changements fiscaux, ceux ayant été pris indépendamment du contexte économique (exogènes) et en mesurer l’impact. Une approche récente, dite narrative, procède de la sorte : l’étude publiée en 2010 par les économistes américains Romer et Romer, recensant les principaux changements fiscaux exogènes intervenus aux États-Unis depuis 1945, est emblématique de cette démarche. Il en ressort des effets larges et persistants sur le PIB. Suite à une baisse d’impôt d’un point de pourcentage du PIB, au bout de 3 ans le PIB augmente d’environ 3 %.Ces résultats sont-ils spécifiques aux Etats-Unis ?
Non, un travail similaire, mené sur le Royaume-Uni, aboutit à des résultats très proches : une baisse d’impôts d’un point de pourcentage du PIB conduit à une hausse du PIB de 2,5 % au bout de 3 ans. Une autre étude, menée sur les changements fiscaux intervenus en Allemagne, aboutit à une hausse du PIB jusqu’à 2,4 % au bout de 3 ans également. Une étude très récente portant sur 14 pays industrialisés – dont la France – aboutit aussi à des résultats comparables en s’intéressant cette fois plus spécifiquement à l’effet de la TVA : une hausse de la TVA de 1 point de pourcentage du PIB conduit à une baisse du PIB de 3,7 % au bout d’un an. Augmenter la TVA a en particulier un impact très négatif sur la consommation, ce qui peut être très dommageable dans les pays où cette dernière est le principal moteur de la croissance. C’est le cas de la France !Il n’existe pas, en revanche, d’évaluation portant spécifiquement sur la France à partir de cette approche narrative. Les études disponibles utilisent des méthodologies différentes et donnent des résultats contrastés, avec un multiplicateur fiscal à long terme variant généralement de 1 à 2.
À ce stade en tout cas, on peut dire que le multiplicateur fiscal existe, et qu’il est probablement plus élevé qu’on ne le pensait jusque là !
Keynes l’emporte donc sur Ricardo ! Du coup quels ménages faut-il cibler pour que l’impact soit maximal ?
Il ressort de ces études que le multiplicateur fiscal est d’autant plus fort que les ménages sont endettés ou contraints financièrement car les baisses d’impôts, en relâchant la contrainte financière, accroissent le revenu disponible et ce faisant stimulent la consommation. En France, près de la moitié des ménages sont endettés. Et ce ne sont pas forcément les ménages les plus modestes. Suite à un crédit immobilier, on peut être à la fois riche du bien immobilier acquis et contraint financièrement. Aux États-Unis, 30 à 40 % des ménages consomment à la fin du mois l’ensemble de leur revenu disponible. Deux tiers de ces ménages sont des ménages riches mais qui vivent au jour le jour. Un ménage avec peu de richesse « liquide » sera très sensible à un choc fiscal même si son patrimoine est important et il y réagira de la même manière qu’un ménage plus modeste. Une mesure fiscale visant à stimuler la consommation gagne ainsi à cibler, au-delà des ménages les plus modestes, les classes moyennes endettées.Au final, tout cela permet aussi de mieux comprendre les effets récessifs des hausses d’impôts dans le cadre des politiques d’austérité menées à partir de 2011 dans les pays européens suite à la crise des dettes souveraines. Dans la situation actuelle de reprise fragile, de nouvelles hausses d’impôts auraient, à n’en pas douter, de nouveaux effets récessifs. D’ailleurs, rares sont les candidats qui en envisagent.
Propos recueillis par Isabelle Bensidoun & Jézabel Couppey-Soubeyran
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