Sur la scène économique internationale, l’UE ne peut pas rester spectatrice
Cet article, publié dans « Le Monde » (édition du 16 août 2018), soutient que l’Europe doit faire preuve de « fermeté » vis-à-vis des États-Unis, mais aussi s’assurer, avec la Chine, d’une concurrence équitable qui fait encore défaut.
Par Sébastien Jean
Billet du 7 septembre 2018
Ainsi nous voici redevenus amis. Quelques jours seulement après que Donald Trump avait qualifié l’Union européenne d’« ennemie » dans les relations commerciales, il annonce à grand renfort d’embrassades un retour à meilleure concorde transatlantique, à l’occasion de la visite américaine de Jean-Claude Juncker. Cet apaisement est bienvenu, mais on peut déplorer que les déclarations prononcées à cette occasion soient ambigües et manquent singulièrement de cohérence. A telle enseigne que l’on veut croire qu’il ne s’agit que d’une couverture sans substance destinée à offrir une sortie honorable à Donald Trump. Les déclarations de bonnes intentions d’un tel partenaire ne doivent pas être prises pour argent comptant et le risque d’un nouveau changement de pied du président américain n’est pas minime. Même si la menace immédiate de droits de douane sur nos exportations d’automobiles était effectivement écartée, cependant, cela ne résoudrait pas le problème de fond auquel l’Union européenne est confrontée aujourd’hui : le système commercial multilatéral, fondé sur des règles issues d’accords internationaux, vacille. Le risque est grand de voir les Etats s’affranchir les uns après les autres de leurs engagements sur les aspects les plus sensibles de leurs échanges. Un tel retour du rapport de force politique au détriment des règles serait porteur d’un arbitraire et d’une incertitude économiquement couteux pour tous ; pour l’Union européenne, qui n’a pas la cohésion politique d’un Etat, il serait aussi synonyme d’affaiblissement vis-à-vis de ses partenaires. Pour l’éviter, il faut opposer à la politique commerciale américaine menaçante une fermeté cohérente, plutôt que de donner l’impression d’être disposé à rentrer dans des arrangements « à la Trump ». Mais il faut également reconnaître que se posent des questions de fond, qui empêchent de voir dans le statu quo ante une solution durable.
Que des règles convenues pour l’essentiel il y a vingt-quatre ans ou plus nécessitent une mise à jour n’a d’ailleurs rien d’étonnant, étant donné l’ampleur des bouleversements économiques survenus depuis. Celui qui est porteur des plus grand défis est le formidable développement économique de la Chine, parce qu’il s’inscrit dans le cadre d’un système sui generis, étroitement coordonné par l’Etat et le parti communiste et incluant une politique industrielle ambitieuse. L’idée selon laquelle une convergence progressive s’opérerait vers le système d’économie de marché décentralisée des pays occidentaux est maintenant clairement démentie. Ce n’est pas un problème puisque rien n’impose que les principales économies s’organisent de façons similaires, mais cela nécessite de s’assurer que les règles régissant leurs échanges permettent une concurrence équitable. Or, cela n’a rien d’évident dans le contexte actuel. La politique industrielle chinoise cible des secteurs prioritaires qu’elle soutient de multiples manières, notamment l’accès préférentiel au capital, au foncier et à différents intrants. Les accords fondant l’OMC limitent l’utilisation de subventions susceptibles de porter préjudice aux pays partenaires, mais leurs règles ne s’appliquent pas à un soutien aussi protéiforme, qui n’avait pas été anticipé. Les pratiques des entreprises d’Etat sur les marchés concurrentiels, les transferts forcés de technologies ou le manque de réciprocité dans l’accès effectif au marché chinois sont d’autres questions épineuses dans ce contexte. C’était un problème lorsque la Chine était une économie émergente ; cela devient un défi majeur dès lors qu’elle est la première puissance industrielle mondiale, ambitionnant explicitement d’occuper une position dominante dans des secteurs stratégiques qui seront le cœur de la croissance et de la puissance de demain. Pour l’Europe, l’enjeu est par exemple de s’assurer que notre secteur automobile ne subira pas demain, à la faveur des ruptures technologiques en cours, le sort de l’industrie photovoltaïque dans les années 2000, submergée par une concurrence chinoise lourdement subventionnée. Alors que plus de trois cinquièmes des entreprises européennes en Chine considèrent que leurs concurrentes locales sont au moins aussi innovantes qu’elles, comme le rapportait récemment la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine, il y a urgence. Non pas pour entraver le succès économique éclatant de notre partenaire, dont il faut au contraire se réjouir, mais pour convenir des conditions d’une concurrence équitable.
Que des règles convenues pour l’essentiel il y a vingt-quatre ans ou plus nécessitent une mise à jour n’a d’ailleurs rien d’étonnant, étant donné l’ampleur des bouleversements économiques survenus depuis. Celui qui est porteur des plus grand défis est le formidable développement économique de la Chine, parce qu’il s’inscrit dans le cadre d’un système sui generis, étroitement coordonné par l’Etat et le parti communiste et incluant une politique industrielle ambitieuse. L’idée selon laquelle une convergence progressive s’opérerait vers le système d’économie de marché décentralisée des pays occidentaux est maintenant clairement démentie. Ce n’est pas un problème puisque rien n’impose que les principales économies s’organisent de façons similaires, mais cela nécessite de s’assurer que les règles régissant leurs échanges permettent une concurrence équitable. Or, cela n’a rien d’évident dans le contexte actuel. La politique industrielle chinoise cible des secteurs prioritaires qu’elle soutient de multiples manières, notamment l’accès préférentiel au capital, au foncier et à différents intrants. Les accords fondant l’OMC limitent l’utilisation de subventions susceptibles de porter préjudice aux pays partenaires, mais leurs règles ne s’appliquent pas à un soutien aussi protéiforme, qui n’avait pas été anticipé. Les pratiques des entreprises d’Etat sur les marchés concurrentiels, les transferts forcés de technologies ou le manque de réciprocité dans l’accès effectif au marché chinois sont d’autres questions épineuses dans ce contexte. C’était un problème lorsque la Chine était une économie émergente ; cela devient un défi majeur dès lors qu’elle est la première puissance industrielle mondiale, ambitionnant explicitement d’occuper une position dominante dans des secteurs stratégiques qui seront le cœur de la croissance et de la puissance de demain. Pour l’Europe, l’enjeu est par exemple de s’assurer que notre secteur automobile ne subira pas demain, à la faveur des ruptures technologiques en cours, le sort de l’industrie photovoltaïque dans les années 2000, submergée par une concurrence chinoise lourdement subventionnée. Alors que plus de trois cinquièmes des entreprises européennes en Chine considèrent que leurs concurrentes locales sont au moins aussi innovantes qu’elles, comme le rapportait récemment la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine, il y a urgence. Non pas pour entraver le succès économique éclatant de notre partenaire, dont il faut au contraire se réjouir, mais pour convenir des conditions d’une concurrence équitable.
Entre les coups de boutoirs de l’administration Trump et l’urgence d’une réforme des règles, la voie est étroite pour sauvegarder le multilatéralisme commercial. Alors que chaque jour ou presque apporte son lot de surenchère dans le conflit commercial imposé par les Etats-Unis à la Chine, l’Union européenne ne peut pas rester spectatrice. Elle doit refuser une logique de confrontation qui menace de nous entraîner tous dans un affrontement chaotique, mais également œuvrer à une réforme de règles commerciales qui ne seront plus tenables longtemps. La défense pragmatique de nos intérêts est le premier pas dans ce sens, en opposant des réponses fermes et cohérentes à l’arbitraire américain, tout en nous défendant vigoureusement contre toute concurrence déloyale, par exemple en renforçant nos instruments de défense commerciale et la surveillance des investissements étrangers directs sur notre sol. Pour aller au-delà, les déclarations d’amitiés et de bonnes intentions ne suffiront pas, une négociation sans tabous entre grandes puissances est indispensable : il ne s’agit pas de modifier des procédures obscures, mais de discuter des conditions susceptibles de permettre une concurrence internationale ordonnée. Face aux défis communs de sécurité et de lutte contre le changement climatique, il serait tragique que notre interdépendance tourne à la confrontation.
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