Les économistes accusés de pensée unique
Retranscription écrite de l'émission du 19 avril "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38
Par Agnès Bénassy-Quéré
Audio du 18 avril 2012
Un des nombreux reproches qui pleuvent sur les économistes est leur manque de diversité : les économistes seraient au garde à vous, le doigt sur la couture de la pensée unique dictée par Londres, Bruxelles et Francfort. Que dit cette pensée unique à trois voix ? Radio Londres : les marchés financiers sont efficaces, de sorte qu’ils restent la meilleure manière d’allouer notre épargne aux besoins des entreprises. Pour que les marchés continuent à remplir ce rôle, il faut éviter de trop les réguler. Radio Bruxelles : les Etats se sont endettés de manière inconsidérée ; le temps est maintenant venu de l’ajustement budgétaire. Qu’il pleuve, vente ou neige, le mot d’ordre est la baisse des dépenses et la hausse des impôts. Sortez les vaches maigres, dérégulez l’étable et ne nous parlez pas de protectionnisme ou de politique industrielle. Radio Francfort, enfin : le rôle de la Banque centrale européenne est de maintenir l’inflation à un niveau faible en Europe, pas de financer les Etats. La BCE peut prêter aux banques pour que celles-ci prêtent aux Etats, en empochant un bénéfice au passage, mais en aucun cas la BCE ne peut financer directement les Etats. Ils n’ont qu’à se débrouiller avec les marchés.
En réalité, les économistes écoutent aussi d’autres radios et, qui sait ? peut-être même France Culture. Leur immense majorité ne croit pas, et depuis longtemps, que les marchés financiers soient efficaces. Asymétries d’information, collusion, myopie, bulles spéculatives, voilà de quoi il est question dans les colloques de finance. Quant à la régulation financière, les avis sont partagés mais une majorité de la profession soutient les efforts de re-régulation. Déplaçons-nous maintenant à Bruxelles. Que constatons-nous ? La plupart des économistes pensent en effet que la spirale d’endettement doit être enrayée. Mais la stratégie à adopter fait l’objet de débats enflammés entre ceux qui privilégient la thérapie de choc et ceux qui s’inquiètent avant tout des perspectives de croissance. La majorité des économistes ne soutient pas d’éventuelles mesures protectionnistes, mais le débat sur les taxes financières est largement ouvert et il n’y a pas de consensus sur le sujet. Francfort, enfin. Le lien entre création monétaire et inflation fait l’objet de discussions houleuses, de même que la stratégie de la BCE dans la crise actuelle. Pas de consensus là non plus.
Au fond, l’accusation de pensée unique vient d’une uniformisation des cadres de pensée plus que des prescriptions. Durant les vingt dernières années, les économistes français ont fait un effort considérable pour adopter le langage couramment utilisé par la profession au niveau international. Mais parler le même langage ne signifie pas qu’on dit la même chose. Aux Etats-Unis, Joe Stiglitz utilise le même langage que Martin Feldstein. Cela n’empêche pas le premier de pourfendre la confiance excessive des politiques dans les vertus du marché et le second de pourfendre l’excessive confiance des politiques en eux-mêmes. C’est pareil en France mais je ne donnerai pas de noms.
Selon les circonstances, on accuse les économistes de ne pas être d’accord entre eux, ou bien au contraire de penser tous pareil. Un mouvement de balancier très humain. On aime la diversité, mais pas la complication ni l’indécision. Il faut avoir les idées claires, mais pas trop.
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