Le blog du CEPII

La France est-elle un grand pays d’immigration ?

Par Anthony Edo
 Billet du 2 novembre 2021



Quelle est l’ampleur du flux migratoire en France par rapport à nos voisins européens ?

Avec environ 277 000 entrées d’immigrés permanents en 2018 pour 67 millions d’habitants, le taux d’immigration en France s’établit à 0,4 %. Proportionnellement à sa population, la France accueille ainsi deux fois moins d’immigrés que l’Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas, et trois fois moins que la Suède ou l’Autriche. Elle se trouve donc au bas du classement des pays d’Europe occidentale, au même niveau que l’Italie et le Royaume-Uni.
 


Concernant les demandes d’asile, depuis la crise des réfugiés en 2015 et jusqu’en 2019, la France a enregistré en moyenne 1?650 demandes pour 1 million d’habitants chaque année, soit un taux de demandes d’asile équivalent à 0,17 % de sa population. Ce qui la place en deçà de la Belgique, et surtout loin derrière l’Allemagne et la Suède dont les demandes d’asile ont été respectivement deux à trois fois plus élevées, mais devant d’autres pays d’Europe de l’Ouest comme l’Espagne ou le Royaume-Uni.

Pour autant, les entrées d’immigrés augmentent. À quel rythme ?

En effet, d’après l’Insee, la France accueillait 211?000 immigrés (définis comme des personnes nées étrangères à l’étranger) en 2010 ; elle en accueille 272?000 en 2019, soit une croissance annuelle de 3 % en moyenne sur la dernière décennie.

Mais pour porter un regard objectif sur la situation migratoire française et retrouver le sens des proportions, il est important de tenir compte des immigrés qui décident de quitter le territoire chaque année. En France, le solde migratoire (entrées – sorties des immigrés) est passé de 142?000 en 2010 à 198?000 en 2017, ce qui correspond à un taux d’immigration net de 0,22 % en 2010 et de 0,30 % en 2017. Une augmentation qu’il faut évidemment constater, mais qui reste pour le moins modeste.
 


Cette augmentation est-elle tirée par l’accueil d’un plus grand nombre de réfugiés depuis la crise des migrants de 2015 ?

En partie seulement, puisque le nombre de premiers titres de séjours délivrés pour motif humanitaire, qui a doublé depuis 2010 pour s’établir à près de 40?000 en 2019, a suivi exactement la même progression que ceux accordés pour raisons économiques. La hausse des entrées d’immigrés extra-communautaires en France est donc aussi liée à la montée de l’immigration économique.
 


Mais ce sont surtout les titres de séjour accordés aux étudiants étrangers ressortissants de pays extra-communautaires qui ont contribué à la croissance des nouvelles admissions au séjour délivrées depuis 2010. Cette progression porte même le nombre de titres « étudiants » délivrés en 2019 à 90?500, soit à hauteur de celui des titres pour motif « familial »qui représente historiquement la plus grande part des flux d’entrées d’étrangers extra-communautaires.

Le principal motif d’immigration est donc lié au regroupement familial ?

Non, car il ne faut pas confondre immigration pour motif familial et regroupement familial. La différence entre ces deux termes fait constamment l’objet de confusions dans le débat public. Le regroupement familial n’est qu’une composante de l’immigration pour motif familial : il permet à un ressortissant étranger d’un pays extra-communautaire régulièrement installé en France d’être rejoint, sous réserve de remplir certaines conditions (de logement et de ressources), par les membres de sa famille (son conjoint et ses enfants mineurs).

Les chiffres du regroupement familial ne comptabilisent donc pas les titres de séjour délivrés à des membres de famille de Français ou de ressortissants de l’Union européenne.

D’ailleurs sur les 90?068 nouveaux titres de séjour délivrés en 2019 au titre de l’immigration familiale, le regroupement familial n’en constitue qu’une part très limitée : un peu plus de 12?000 personnes, soit 13 % du total des titres « familiaux » (et 4 % du total des premiers titres de séjour).

C’est bien l’entrée des familles de Français sur le territoire national qui demeure le flux le plus important de l’immigration familiale représentant plus de la moitié des admissions au séjour pour motif familial.

Tout ce qui vient d’être évoqué concerne les flux d’immigrés. Qu’en est-il en matière de présence immigrée ? Comment se situe la France par rapport aux autres pays européens ?

En 2020, l’Insee a recensé 6,8 millions d’immigrés en France, soit 10,2 % de la population totale. Ces chiffres sont les plus élevés que la France ait connus depuis le recensement de la population française de 1911. Parmi eux, 4,3 millions sont de nationalité étrangère et 2,5 millions, soit 36 % des immigrés, ont acquis la nationalité française à la suite de leur naturalisation.

Pour mener des comparaisons en matière migratoire, les instituts internationaux comme l’OCDE adoptent une définition légèrement différente de celle de l’Insee : ils définissent les immigrés comme des individus nés à l’étranger (incluant ainsi les enfants d’expatriés nés français à l’étranger). Selon cette définition, la part des immigrés dans la population française est de 11,7 % en 2017, ce qui place la France au niveau de l’Espagne et des Pays-Bas, mais derrière l’Allemagne (16,1 %), la Belgique (14,0 %) ou la Suède (20,5 %).


 

Comparée à ses voisins européens, la France se caractérise donc par des flux d’immigrés modérés et une part d’immigrés dans sa population relativement modeste.

La France étant un vieux pays d’immigration, quelle en est l’incidence sur l’origine de sa population ?

Parce que la France est un vieux pays d’immigration et que son immigration familiale s’est développée depuis le milieu des années 1970, elle a la particularité d’être l’un des pays d’Europe avec la plus forte proportion d’enfants d’immigrés. Même un apport migratoire modéré peut donc, comme c’est le cas en France depuis 45 ans, conduire sur plusieurs décennies à modifier les origines de la population du pays d’accueil.

Ainsi, en 2017, 15,1 % de la population française est composée de personnes nées en France d’un ou deux parents nés à l’étranger ; une proportion plus forte qu’en Belgique (11,4 %) ou en Suède (10,1 %) et deux fois plus élevée qu’en Allemagne (7,7 %).
 


La France est même l’un des rares pays de l’OCDE (avec Israël et quelques pays d’Europe de l’Est ayant appartenu au bloc soviétique) dont la part des personnes nées sur place d’au moins un parent né à l’étranger est supérieure à celle des personnes nées à l’étranger. Au total, plus d’un quart de la population française est ainsi immigré ou descendant direct d’immigré.

Dans ce contexte, l’un des enjeux majeurs de la campagne présidentielle sera de s’interroger sur les politiques publiques à mettre en œuvre pour atteindre un haut niveau d’intégration économique et sociale, une condition indispensable à la cohésion nationale.

Propos recueillis par Isabelle Bensidoun
 

Pour en savoir plus :

Edo Anthony (2016), L'économie mondiale 2017, Migrations et mouvements de réfugiés : état des lieux et conséquences économiques, Éditions La Découverte, coll. Repères, Paris

Héran François (2017), Avec l'immigration: Mesurer, débattre, agir, Éditions La Découverte.

 


Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne », un partenariat CEPII – The Conversation.The Conversation

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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