Le blog du CEPII

L’industrie automobile européenne au point mort

Au premier trimestre 2013, les immatriculations de véhicules automobiles en Europe ont reculé de 10 % par rapport à la même période de 2012. Tous les constructeurs généralistes font face à des chutes d’immatriculation qui vont de 13 % (Volkswagen) à 20 % (Ford).
Par Michel Fouquin
 Billet du 14 mai 2013


Jusque-là, producteurs haut de gamme comme low cost semblaient à l’abri de la crise ; mais le mois dernier, le haut de gamme a reculé (Audi -9 %, BMW -5 %) et, parmi les low cost, Dacia (+16 %) est pratiquement le seul à résister.

L’industrie automobile est fortement cyclique et chaque crise est l’occasion de voir se modifier le paysage : les derniers constructeurs européens à disparaître ont été rachetés par des Chinois (Volvo) ou ont disparu (Saab). La forte récession de 2008-2009 avait déjà fragilisé le secteur. La situation macroéconomique de l’Europe ne paraissant pas devoir s’améliorer avant quelques années, les constructeurs automobiles ne peuvent guère compter sur une reprise de la demande pour les sortir de leurs difficultés. La question de la survie des groupes européens – Opel, Ford Europe, Peugeot, FIAT, Renault – se pose donc à nouveau. Les ajustements de capacité de production, retardés par de coûteux plans de prime à la casse et de bonus malus, apparaissent aujourd’hui incontournables.

C’est leur présence hors d’Europe qui a permis aux constructeurs de limiter la casse. Ford, GM et FIAT-Chrysler ont réalisé des profits considérables grâce à la forte reprise du marché américain (+25 % en 2012) [1] et aux mesures de restructuration imposées par le gouvernement Obama à GM et Chrysler pour les sauver de la faillite. C’est en Chine que les constructeurs allemands et GM ont réalisé leurs meilleurs résultats ces dernières années, sans parler des autres marchés émergents comme le Brésil ou la Russie. La mondialisation de la production automobile est très avancée pour les constructeurs généralistes qui, en moyenne, ne fabriquent pas plus de 30 % de leur production sur leur territoire d’origine et qui en exportent une part importante. Seuls les constructeurs haut de gamme – BMW (y compris la Mini) et Daimler Benz – maintiennent plus de 60 % de leur production sur leur territoire d’origine [2].

La mondialisation des constructeurs automobiles est donc doublement vitale : la croissance s’annonce faible en Europe pour plusieurs années tandis que la demande des pays émergents est en pleine croissance, même si elle peut s’avérer assez instable à court terme (Russie, Brésil ou Inde). La Chine est apparue comme le véritable eldorado de l’industrie automobile mondiale, attirant tous les grands constructeurs qui investissent massivement sur ce marché. En quelques années, le pays est ainsi devenu le premier producteur mondial d’automobiles. Mais l’avenir peut devenir plus incertain : la volonté de créer une industrie nationale est un objectif majeur du gouvernement chinois qui use déjà de différents moyens pour tenter de la protéger. Les Japonais en ont eu un avant-goût amer en 2012, tandis que les Allemands ont dû faire face à une série de critiques sévères sur la qualité de leurs véhicules qui les a contraints  à des rappels massifs. 

Que s’est-il passé en France et en Allemagne ?
Une très forte divergence est apparue entre la France et l’Allemagne à partir de 2004. L’excédent automobile français a disparu pour faire place à un déficit croissant. La position allemande qui avait décliné, jusqu'au début des années 2000, enregistre des gains importants, notamment sur le marché européen.

L’industrie automobile allemande, comme tous les autres producteurs du secteur [3], connaît des périodes fastes et des périodes noires. Dans les années 1990, l’industrie automobile allemande allait mal, c’était le cas en particulier de Volkswagen dont les pertes mondiales atteignaient 1,9 milliard de DM en 1993. La décision est prise notamment avec l’assentiment du premier ministre de Basse Saxe, Gerhard Schröder, de faire venir un « tueur de coûts » (cost killer) pour réduire les frais en amont de la filière automobile et un négociateur, Peter Hartz, pour obtenir une réforme de la gestion du travail au sein du Groupe. L’accord sur le temps de travail prévoyait en contrepartie du maintien de l’emploi une durée minimale de 28,8 heures par semaine de quatre jours et une grande flexibilité. Les mêmes acteurs se retrouveront pour signer les accords Hartz négociés entre 2002 et 2005 applicables à l’ensemble de l’économie allemande. La progression des salaires horaires dans le secteur manufacturier a ainsi été quasi nulle en Allemagne au cours de la première décennie 2000, alors qu’ils augmentaient de 20 % en France. L’emploi manufacturier en général, et dans le secteur automobile en particulier, a été maintenu pratiquement constant en Allemagne alors qu’il baissait de 20 % en France.  Les choix de développement de montée en gamme et en qualité ont fait le reste.

L’industrie automobile est-elle destinée à connaître le même sort que l’industrie textile ?
Les expériences japonaise et allemande (et peut-être aussi celle plus inattendue des Iles britanniques) semblent démontrer qu’il n’en est rien. Tout d’abord l’automobile est une industrie de haute technologie, comme le sont la pharmacie ou l’aérospatiale (l’OCDE ne la classe pas parmi les industries de haute technologie du fait que le ratio R&D/chiffre d’affaires y est plus faible qu’ailleurs). Le volume global des dépenses en R&D du secteur automobile est, de loin, le plus important de l’industrie, en Allemagne comme en France. Ces dépenses assurent de nombreuses créations d’emplois hautement qualifiés et permettent aux constructeurs de maintenir leur compétitivité.

L’Allemagne et le Japon ont été capables de maintenir leur compétitivité dont on a dit qu’elle était à la fois un problème de prix et un problème de qualité et d’innovation. En conservant une base industrielle forte et des laboratoires de recherche en pointe, ces économies sont en mesure de soutenir l’internationalisation de leur production dans les sites les plus favorables. Ce redéploiement passe aussi par la montée en gamme des productions nationales en plus des accords de compétitivité.
 
Valeur ajoutée à prix constants de l’industrie automobile (indice 2000=100)
 

Source : OCDE.
Avantages comparatifs révélés, véhicules pour particuliers, France-Allemagne (1990-2011)


Source : CHELEM.
 

[1] Reprise qui a aussi été très bénéfique à Toyota et à Nissan, très présents en Amérique du Nord.
 
[2] Le ratio production nationale sur mondiale est de 23 % pour le groupe Renault, 24 % pour Nissan et Honda, 28 % pour GM, 31 % pour VW, 33 % pour FIAT , 38 % pour PSA,  43 % pour Toyota, 44 % pour Ford et 48 % pour Hyundai. 
 
[3] Plus près de nous dans le temps, les constructeurs américains GM et Chrysler ont été déclarés en faillite en 2008 et ont dû accepter un plan de restructuration drastique imposé par Barak Obama pour les secourir. Quatre ans plus tard, grâce à la reprise du marché américain et aux performances en Chine, GM est de nouveau rentable mais sa filiale européenne reste déficitaire. Chrysler a été repris par FIAT, ce qui présente un sérieux défi pour le constructeur transalpin.

Commerce & Mondialisation 
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