Qu’est devenu le miracle coréen ?
Le miracle coréen c’est un développement économique exceptionnel et une démocratisation réussie. Mais le pays doit désormais faire face à un certain nombre de défis.
Par Michel Fouquin
Le miracle coréen c’est un développement économique exceptionnel et une démocratisation réussie :
- La sortie du sous-développement : un des pays les plus pauvres de la planète dans les années cinquante est devenu un pays pleinement développé maîtrisant les technologies les plus avancées de la révolution numérique.
- Une dictature militaire efficace mais brutale est remplacée par une démocratie vivace depuis 1987; ce processus s’appuie sur une société civile particulièrement active, qui a notamment obtenu par d’importantes manifestations en 2017 la démission de la Présidente Park Geun-hye, coupable de corruption.
Aujourd’hui le pays doit faire face à un certain nombre de défis :
- Le ralentissement de sa croissance et le vieillissement de sa population
- Une économie fortement dualiste entre la prédominance des grands groupes industriels mondialisés et des PME peu productives
- L’insuffisance des systèmes de protection sociale et la réduction des inégalités
Le miracle coréen
La croissance coréenne est passée d’un rythme annuel moyen de 11.8 % de 1963 à 1979, à 9.0 % de 1980 à 1997, puis à 3.7 % de 1998 à 2014 et enfin à moins de 3 % ces dernières années. En termes de niveau, les progrès de la productivité globale des facteurs, qui mesure le gain d’efficacité de l’économie, ont été considérables. Elle est passée de 23 % du niveau américain en 1953 à 63 % en 2014. Même si ce rattrapage est au point mort depuis 1995 par rapport aux États-Unis, il se poursuit par rapport au Japon et aux pays européens développés, comme la France. Enfin, compte tenu de longues heures de travail et d’un chômage faible, le niveau du PIB par tête coréen est proche en 2017 de celui de l’Italie.
Graphique 1 – Productivité globale des facteurs relativement aux États-Unis
Source : PWT 2016.
Le processus de développement accéléré de la Corée s’est appuyé sur une stratégie de promotion de l’industrialisation par les exportations, sur le contrôle des importations et sur une monnaie fortement sous-évaluée, suivant en cela la voie tracée, avec le succès que l’on sait, par le Japon, et reprise plus tard par la Chine, notamment.
L’État coréen a mis en œuvre cette stratégie en concentrant ses moyens financiers sur quelques groupes industriels qui ont donné naissance aux grands conglomérats (chaebols); en guidant leur développement industriel, en définissant les priorités sectorielles, en favorisant une adaptation rapide des structures industrielles, en dessinant des cycles de spécialisation en perpétuel mouvement (cf. graphique 2). Ainsi les années soixante ont été dominées par les exportations des industries légères qui ont cessé d’être des industries importantes à l’exportation en 1991 pour la bonneterie, en 1992 pour la confection, en 1994 pour les objets en bois, en 1998 pour le cuir. Tandis que d’autres industries prenaient la relève : l’électronique grand public s’impose à partir de 1973 jusqu’en 1987 où elle est à son maximum puis décline ensuite du fait des délocalisations, les navires en 1977, à partir de 1984 l’automobile devient le moteur de l’exportation, les télécoms en 1986, l’informatique à partir de 1987, les objets en plastique en 1991, la chimie de base et les produits optiques en 2006, les composants électroniques en 2010, les fournitures électriques en 2012.
Graphique 2 – Exemples de Cycles de spécialisation : avantages comparatifs révélés
Source : CHELEM CEPII
La mondialisation des grandes entreprises industrielles coréennes commence au début des années quatre-vingt-dix. Elle se finance par des emprunts massifs sur les marchés étrangers et par des exportations directes de capitaux. La crise financière de 1997-1998 reflète l’endettement international excessif des grands groupes coréens et met en danger l’ensemble de l’économie. Depuis 2010, les sorties d’investissements directs sont deux fois plus importantes que les entrées. La stratégie des grands groupes échappe de plus en plus au contrôle gouvernemental tandis que leur poids politique dans l’économie nationale devient excessif.
Cette mondialisation accélérée accentue le divorce entre les grands groupes qui jouent à plein la carte de la décomposition des chaînes de valeur ajoutée et les PME coréennes qui, parce qu’elles sont moins productives, en sont écartées. Ainsi le contenu en produits domestiques des exportations coréennes a-t-il diminué de 76 % en 1995 à 60 % en 2009[1].
L’écart de productivité entre les chaebols et les PME est particulièrement marqué en comparaison des autres pays développés et tend à s’accroître : le ratio de la valeur ajoutée par travailleur dans les PME par rapport aux grandes entreprises, qui était de 39 % en 2002-2006, est tombé à 35 % de 2007 à 2010. De ce fait le contenu en emplois des exportations diminue fortement : d’une part les nouveaux produits sont plus intenses en capital qu’en travail peu qualifié, d’autre part les segments délocalisés de la production sont ceux qui sont les plus intenses en main-d’œuvre peu qualifiée.
Les défis : passer d’une croissance tirée par l’exportation à une croissance tirée par la croissance des revenus et des emplois
La nouvelle politique économique menée par le Président Moon Jae-in met en avant une politique de croissance tirée par les revenus et non plus par les seules exportations. La Corée du Sud est aujourd’hui un des rares pays développés à mettre la priorité sur la croissance des revenus (« income-led growth »). Tout d’abord, il décide une forte hausse du salaire minimum (plus de 16 % dès le premier janvier 2018, qui sera suivie d’autres hausses). Puis il accroît les transferts sociaux. La Corée est de fait très en retard dans ce domaine par rapport aux autres pays de l’OCDE, où la moyenne des dépenses sociales nettes s’élève à 21 % du PIB. Celle-ci atteint seulement 12 % en Corée. Ce retard est particulièrement flagrant pour les retraités dont la moitié vit en dessous du seuil de pauvreté. De plus la Corée est un pays qui va connaître le vieillissement le plus élevé parmi les pays développés. Pour gérer ces dépenses nouvelles, le gouvernement prévoit de créer un nombre important d’emplois publics. Enfin, il a décidé d’annuler une partie de la dette des ménages les plus modestes, gagnant moins de 910$ par mois. Un million six cent mille personnes seraient concernées (chômeurs, auto-entrepreneurs, jeunes, retraités). Cette politique paraît soutenable globalement dans la mesure où la dette publique est faible (38 % du PIB en 2017) et le budget en équilibre[2].
Alors que le modèle coréen repose sur des entreprises mondialisées leaders, ces entreprises ne profitent pas à l’emploi local. En résulte un taux de chômage élevé de la main-d’œuvre très qualifiée. En effet, la Corée du Sud a massivement investi dans l’éducation et dépasse largement le niveau de la moyenne des pays de l’OCDE et notamment des États-Unis en termes de connaissances de base (mathématique, littéraire et scientifique), comme le montrent les indicateurs PISA. Ce qui, à l’époque de la révolution numérique, est un avantage compétitif à long terme. La Corée de fait est un leader dans l’utilisation de ces outils. Le paradoxe c’est que malgré un chômage global faible (moins de 4 %), celui des jeunes de niveau universitaire est anormalement élevé (plus de 11 %), alors que celui des jeunes moins éduqués est dans la moyenne, contrairement à ce que l’on constate dans tous les pays de l’OCDE. Une des raisons est liée au fort développement de l’emploi peu qualifié dans le secteur des services à faible productivité. En revanche, les emplois très qualifiés se trouvent dans les grandes firmes exportatrices mondialisées[3]. Celles–ci se développent à l’international mais embauchent peu en Corée du Sud. Les politiques destinées à réduire cette fracture ont une longue histoire d’inefficacité : d’une part les chaebols mondialisés échappent largement au contrôle public, d’autre part les programmes d’aide aux PME restent insuffisants.
[1] Whang, Unjung and Lee, Sooyoung and Kim, Hyuk-Hwang and Kang, Youngho. 2018. The Effects of Exports on Employment in Korean Manufacturing: An Industry-Level Analysis. KIEP Research Paper, World Economy Brief 18-08. Policy Analyses 17-18
[2] En revanche la dette des ménages les plus riches trop élevée, alimentée par une bulle immobilière, pourrait poser problème.
[3] Kyungsoo Choi. 2017. Why Korea’s Youth Unemployment Rate Rises? Korean Development Institute FOCUS No. 88.