Turquie : Erdogan vacille
Avec
- Deniz Unal Économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii)
- Dorothée Schmid Chercheuse, responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient de l'IFRI
- Gülçin Erdi Chargée de recherche CNRS en mobilité à l'IFEA
- Marc Pierini Ancien ambassadeur de l’Union Européenne en Turquie, de 2006 à 2011, chercheur à Carnegie Europe à Bruxelles.
- Evangelos Areteos Spécialiste de la Turquie à la Hellenic Foundation for European & Foreign Policy (ELIAMEP), la Fondation Hellénique pour la Politique Européenne et Etrangère.;
Il est au pouvoir depuis 20 ans, consolidant à son profit un régime de plus en plus autocratique et répressif, élargissant ses prébendes à diverses clientèles, jouant habilement de ses atouts géographiques et stratégiques pour faire de la Turquie une puissance régionale majeure. Cette fois pourtant, Recep Tayyip Erdogan mène un combat d’une autre nature : il s’agit tout simplement de sa survie politique. Dans huit jours, le dimanche 14 mai, les Turcs devront se prononcer à la fois sur le nom de leur prochain président et sur la composition du parlement.
Les Kurdes pourraient faire la différence dans les urnes
Contre toute attente, l’opposition au système Erdogan a réussi à se fédérer et à engranger la colère, l’indignation, la lassitude qui se sont emparées d’une bonne partie de l’opinion publique. Il y a 4 mois tout juste, le terrible tremblement de terre dans le sud-est du pays – plus de 50.000 morts, 13 millions de gens touchés – a révélé au grand jour l’incurie et la corruption du régime. Une crise économique sans fin ni fond, une inflation qui galope à plus de 50% par an, le chômage des jeunes, l’exode des cerveaux – autant de facteurs qui, au-delà des différences structurelles entre la population urbanisée et l’Anatolie agricole qui lui reste fidèle, expliquent l’affaiblissement de celui qui se voyait en sultan d’un nouvel empire ottoman.
A en croire les sondages, l’élection présidentielle se jouerait en deux tours, et le 28 mai prochain le chef de l’opposition aurait une chance de l’emporter. Kemal Kilicdaroglu, 74 ans, aussi terne et vieux jeu qu’Erdogan reste charismatique, a mené une campagne habile, jouant du contraste à son profit, bénéficiant de la popularité de ses alliés, à commencer par le maire d’Istanbul. Paradoxe dans un pays où la discrimination à leur encontre demeure et leur leader reste en prison : les Kurdes pourraient faire la différence dans les urnes. Comment fonctionne donc cette démocratie dans les limites imposée par un tel régime ? La fibre nationaliste, si bien entretenue par Erdogan, les largesses distribuées aux classes populaires suffiront-elles à lui sauver la mise ? Pour Moscou comme pour Washington, pour l’OTAN comme pour l’Union Européenne, pour Kiev, pour Athènes et pour Chypre, mais aussi pour Damas, l’issue des scrutins turcs revêt une importance majeure. Qu’attendre d’une éventuelle victoire de l’opposition ? Détente ou poursuite des mêmes objectifs ? Quelle marge de manœuvre pour redresser l’économie et répondre aux attentes de la population ? Si Erdogan l’emporte une nouvelle fois, quel impact sur le jeu d’alliances fluctuantes dont il est passé maître au moment où la guerre en Ukraine fige les lignes de front ?
Ce podcast et cet article sont à l'initiative de France Culture. Consulter le contenu original.