L’indépendance des banques centrales à l’épreuve
L’univers du « central banking » connaît des remous depuis quelque temps, du fait de tentatives avérées – et plutôt réussies pour l’instant – du pouvoir politique dans plusieurs pays pour porter atteinte à l’indépendance de la Banque centrale.
Par Jean-Pierre Patat
Billet du 3 avril 2013
En Russie, c’est véniel et peut-être imaginaire. Le président vient de nommer une de ses conseillères parmi les plus proches au poste de présidente de la Banque nationale de Russie, une institution très respectée au plan international. Si personne ne doute des compétences de la nouvelle présidente et si cette nomination ne s’accompagne d’aucune mesure ni pression sur l’institution, elle n’en est pas moins interprétée, peut-être à tort, comme reflétant le souhait du pouvoir exécutif d’avoir en face de lui un interlocuteur plus souple que l’ancien président qui jouissait d’une grande considération à l’étranger. Avec une inflation proche de 7 %, ce qui est beaucoup dans le monde globalisé d’aujourd’hui, la banque centrale maintient ses taux d’intérêt à 8,25 % et c’est bien ce qui contrarie le gouvernement. Mais en Russie, la cherté du crédit est due autant, sinon plus, aux marges considérables prises par les banques qu’au niveau du taux directeur de la banque centrale.
Au Japon c’est déjà plus sérieux. Le nouveau Premier ministre, après avoir rendu la vie impossible au gouverneur de la banque centrale théoriquement indépendante, en a nommé un nouveau qui a promis de renouer avec les politiques de rachats massifs de titres publics (qui n’avaient pourtant donné aucun résultat !) et a pris l’engagement plutôt ubuesque de porter le taux d’inflation à 2 %, comme si l’inflation se fabriquait !
En Hongrie, la contestation d’autonomie de la banque centrale prend un tour encore plus radical : le Premier ministre accule le gouverneur à la démission, le fait passer en justice pour divulgation de données confidentielles… au FMI (!), fait augmenter le nombre des membres du conseil de politique monétaire pour y nommer des personnes dévouées, tandis que le nouveau gouverneur se livre, dans l’institution dont il vient de prendre la tête, à une chasse aux économistes jugés trop indépendants d’esprit.
Insidieusement ou brutalement remise en cause dans certains pays, l’indépendance de la banque centrale est par ailleurs rognée dans les faits dans des pays parfaitement démocratiques et a priori parfaitement respectueux du principe d’indépendance. Mais lorsque le président de la Fed s’engage à maintenir des taux proches de zéro tant que le taux de chômage dépassera un certain seuil, n’introduit-il pas lui-même, sans pression apparente du pouvoir politique, une limite à l’indépendance de décision de l’institution qu’il dirige ? De même, lorsque la banque d’Angleterre fait savoir qu’elle continuera de racheter massivement des titres publics, à tel point que les opérateurs de marché, toujours friands d’une bonne blague, établissent des questionnaires pour désigner, de la banque du Japon ou de la Banque d’Angleterre, la plus « dovish » (colombe).
En dehors des exemples d’agression, les évolutions actuelles sont dans la ligne de pratiques et de périodes d’où il ressort que l’indépendance totale et constante de la banque centrale est un mythe et que certaines circonstances peuvent sérieusement la malmener. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la Fed mène, pendant des années, une politique agressive sur le marché de la dette publique pour permettre au Trésor de se refinancer à bas coût. En Allemagne même, la toute puissante Bundesbank avale des couleuvres avec le chancelier L. Erhard, et son opposition, lors de la réunification, à la parité DM /Ost mark ne fait pas reculer le gouvernement, mais se termine par la démission de son président.
Seule semble préserver son indépendance, sans aucune atteinte, la BCE, non qu’elle s’arc-boute pour résister victorieusement à des attaques, mais parce qu’elle n’a aucun interlocuteur valable en face d’elle, même si elle est soumise à des critiques plus ou moins virulentes de certain ministre français et… de responsables allemands. Son ancien président a souvent déploré l’absence d’un gouvernement de la zone, plaidant pour la création d’un ministre des Finances de la zone. Dans le passé, les gouvernements allemands combattaient cette idée non pas pour le principe, mais parce qu’ils craignaient que ce gouvernement économique ne soit noyauté par des pays laxistes. Aujourd’hui qu’ils savent sur quelles bases un tel gouvernement fonctionnerait, ils sont pour mais, maintenant, ce sont les Français qui sont contre.
Mais il est possible que désormais, et irrésistiblement, l’assise de l’indépendance des banques centrales se réduise, au moins quelques temps.
Le principe de l’indépendance a été introduit et admis pour rassurer les investisseurs et les marchés sur la volonté du pays de lutter efficacement contre l’inflation. Non qu’un gouvernement élu en soit incapable mais les gouvernements élus, par nature… changent.
Aujourd’hui, et en dépit des cris d’alarme des Allemands, l’inflation n’est pas la première des priorités. Il est possible qu’à terme, les énormes quantités de liquidités déversées par les banques centrales (mais il faut toujours avoir en mémoire que ce sont des liquidités « banque centrale » et non de la monnaie et que les instituts d’émission ont toujours les moyens de les stériliser à tout moment), allant de pair avec une demande de crédit en forte reprise (c’est la condition essentielle), provoquent des tensions sur les prix. Le moins que l’on puisse dire est que les banques centrales auront de la réserve pour augmenter les taux.
Mais les préoccupations, désormais prioritaires, concernant la stabilité financières engagent les banques centrales dans des domaines où elles ne peuvent être totalement seules à jouer. Ce sera en particulier le cas avec la nouvelle mission de supervision des banques de la zone confiée à la BCE, et qui ne peut être exercée en toute indépendance des États. Les Allemands ne s’y sont pas trompés qui ont déjà protesté contre ce qu’ils appellent une atteinte à l’indépendance. Aux prises avec 17 États, bientôt 18, plus ou moins coopératifs, la BCE n’aura pas la tâche facile. L’union bancaire apparaît bien dans ces conditions comme une nécessité absolue, mais la création d’un poste de ministre des Finances de la zone serait encore mieux.
Au Japon c’est déjà plus sérieux. Le nouveau Premier ministre, après avoir rendu la vie impossible au gouverneur de la banque centrale théoriquement indépendante, en a nommé un nouveau qui a promis de renouer avec les politiques de rachats massifs de titres publics (qui n’avaient pourtant donné aucun résultat !) et a pris l’engagement plutôt ubuesque de porter le taux d’inflation à 2 %, comme si l’inflation se fabriquait !
En Hongrie, la contestation d’autonomie de la banque centrale prend un tour encore plus radical : le Premier ministre accule le gouverneur à la démission, le fait passer en justice pour divulgation de données confidentielles… au FMI (!), fait augmenter le nombre des membres du conseil de politique monétaire pour y nommer des personnes dévouées, tandis que le nouveau gouverneur se livre, dans l’institution dont il vient de prendre la tête, à une chasse aux économistes jugés trop indépendants d’esprit.
Insidieusement ou brutalement remise en cause dans certains pays, l’indépendance de la banque centrale est par ailleurs rognée dans les faits dans des pays parfaitement démocratiques et a priori parfaitement respectueux du principe d’indépendance. Mais lorsque le président de la Fed s’engage à maintenir des taux proches de zéro tant que le taux de chômage dépassera un certain seuil, n’introduit-il pas lui-même, sans pression apparente du pouvoir politique, une limite à l’indépendance de décision de l’institution qu’il dirige ? De même, lorsque la banque d’Angleterre fait savoir qu’elle continuera de racheter massivement des titres publics, à tel point que les opérateurs de marché, toujours friands d’une bonne blague, établissent des questionnaires pour désigner, de la banque du Japon ou de la Banque d’Angleterre, la plus « dovish » (colombe).
En dehors des exemples d’agression, les évolutions actuelles sont dans la ligne de pratiques et de périodes d’où il ressort que l’indépendance totale et constante de la banque centrale est un mythe et que certaines circonstances peuvent sérieusement la malmener. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la Fed mène, pendant des années, une politique agressive sur le marché de la dette publique pour permettre au Trésor de se refinancer à bas coût. En Allemagne même, la toute puissante Bundesbank avale des couleuvres avec le chancelier L. Erhard, et son opposition, lors de la réunification, à la parité DM /Ost mark ne fait pas reculer le gouvernement, mais se termine par la démission de son président.
Seule semble préserver son indépendance, sans aucune atteinte, la BCE, non qu’elle s’arc-boute pour résister victorieusement à des attaques, mais parce qu’elle n’a aucun interlocuteur valable en face d’elle, même si elle est soumise à des critiques plus ou moins virulentes de certain ministre français et… de responsables allemands. Son ancien président a souvent déploré l’absence d’un gouvernement de la zone, plaidant pour la création d’un ministre des Finances de la zone. Dans le passé, les gouvernements allemands combattaient cette idée non pas pour le principe, mais parce qu’ils craignaient que ce gouvernement économique ne soit noyauté par des pays laxistes. Aujourd’hui qu’ils savent sur quelles bases un tel gouvernement fonctionnerait, ils sont pour mais, maintenant, ce sont les Français qui sont contre.
Mais il est possible que désormais, et irrésistiblement, l’assise de l’indépendance des banques centrales se réduise, au moins quelques temps.
Le principe de l’indépendance a été introduit et admis pour rassurer les investisseurs et les marchés sur la volonté du pays de lutter efficacement contre l’inflation. Non qu’un gouvernement élu en soit incapable mais les gouvernements élus, par nature… changent.
Aujourd’hui, et en dépit des cris d’alarme des Allemands, l’inflation n’est pas la première des priorités. Il est possible qu’à terme, les énormes quantités de liquidités déversées par les banques centrales (mais il faut toujours avoir en mémoire que ce sont des liquidités « banque centrale » et non de la monnaie et que les instituts d’émission ont toujours les moyens de les stériliser à tout moment), allant de pair avec une demande de crédit en forte reprise (c’est la condition essentielle), provoquent des tensions sur les prix. Le moins que l’on puisse dire est que les banques centrales auront de la réserve pour augmenter les taux.
Mais les préoccupations, désormais prioritaires, concernant la stabilité financières engagent les banques centrales dans des domaines où elles ne peuvent être totalement seules à jouer. Ce sera en particulier le cas avec la nouvelle mission de supervision des banques de la zone confiée à la BCE, et qui ne peut être exercée en toute indépendance des États. Les Allemands ne s’y sont pas trompés qui ont déjà protesté contre ce qu’ils appellent une atteinte à l’indépendance. Aux prises avec 17 États, bientôt 18, plus ou moins coopératifs, la BCE n’aura pas la tâche facile. L’union bancaire apparaît bien dans ces conditions comme une nécessité absolue, mais la création d’un poste de ministre des Finances de la zone serait encore mieux.
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