Politique monétaire en zone euro : une nouvelle opération de LTRO ne paraît guère utile
Dans une intervention récente, Mario Draghi, constatant que la reprise économique en Europe était encore très modeste, et se demandant comment la BCE pouvait contribuer à la renforcer, évoquait une nouvelle action de LTRO. La garantie de liquidités à long terme accordée aux banques serait une incitation à distribuer des crédits. Une incitation qui n’a guère fonctionné jusqu’à maintenant.
Par Jean-Pierre Patat
Billet du 4 octobre 2013
Il faut évidemment être en France pour entendre cela. le 25 septembre, un ministre, et pas des moindres, déclare, pour le déplorer : « partout dans le monde, États-Unis, Royaume-Uni, Japon, la Banque centrale fait marcher la planche à billets, partout sauf en zone euro ». Dans une précédente chronique, j’avais traité cette question de planche à billets que l’on ne peut « faire marcher » que si la Banque centrale achète directement, à l’émission, des titres de dette publique, ce qu’aucune ne fait, ces titres étant rachetés sur le marché secondaire. J’avais également souligné que, vu l’étendue du marché financier américain, certains rachats de titres par la Fed pouvaient bénéficier à des agents non bancaires, ce qui provoquait une création monétaire. De fait, la progression de l’agrégat monétaire large M3 américain, à 6-6,5 %, est supérieure à celle qui est observée dans les autres pays : Japon, 3 % ; Royaume Uni, 1,8 % ; zone euro, 2,5 %. On mesure, au vu de ces chiffres, l’ampleur de l’effet « planche à billets » que le ministre croit déceler et appelle de ses vœux en zone euro.
On le sait, en zone euro, les mesures « non conventionnelles » prises par la BCE ont été différentes de celles pratiquées par les autres banques centrales. Elle a peu racheté de titres de dette publique : un peu moins de 300 milliards d’euros de titres de dette d’États en difficulté, acquis d’ailleurs sous le mandat du prédécesseur de Mario Draghi, alors que les autres banques centrales en rachètent des centaines de milliards (80 milliards par mois par la FED). La raison en est simple, même si beaucoup ne veulent pas la comprendre : le but de ces opérations est de faire baisser les taux d’intérêt, pas de prendre le risque de pertes : la Fed, la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon rachètent des titres de la dette de l’État, central ou fédéral, parfaitement fongibles et sûrs, et pas des titres de collectivités publiques locales : la FED ne rachètera jamais des titres de dette de l’État californien. C’est précisément ce que certains demandent à la BCE, qui n’a pas en face d’elle un État fédéral émetteur de titres (il est certain que si les fameux « euro bonds » existaient, elle en aurait rachetés), et qui ne peut que se borner à des opérations exceptionnelles et limitées. Le mode opératoire privilégié a été d’accorder massivement des concours en monnaie banque centrale à long terme aux banques (LTRO, Long Terme Refinancement Operations). Ces apports, dont l’encours dépasse 1500 milliards d’euros, ont pour objet de donner au système bancaire une garantie de liquidité qui, à l’origine, devait suppléer un fonctionnement déficient du marché interbancaire sur lequel la méfiance était telle que les concours interbancaires se raréfiaient.
Dans une intervention récente, Mario Draghi, constatant que la reprise économique en Europe était encore très modeste, et se demandant comment la BCE pouvait contribuer à la renforcer, évoquait une nouvelle action de LTRO. Autrement dit, la garantie de liquidités à long terme accordée aux banques serait une incitation à distribuer des crédits. Une incitation qui n’a guère fonctionné jusqu’à maintenant puisque, en dépit d’un apport de 1500 milliards de LTRO, la progression des crédits en zone euro demeure très faible (moins de 2 %). C’est que les choses ne fonctionnent pas dans le sens : constitution d’une réserve de liquidités en monnaie banque centrale, puis distribution de crédits que la réserve de liquidités permettrait ensuite de refinancer en cas de besoin (comme cela demeure encore décrit dans certains manuels d’économie anglo-saxons), mais dans le sens inverse ; si la demande de crédit est là, et si les opérations leur paraissent économiquement justifiées, les banques n’auront aucune difficulté à accorder des crédits, même si elles n’ont à leur compte pas un euro de monnaie banque centrale, car elles sont sûres de pouvoir en cas de besoin obtenir ces liquidités auprès de la banque centrale. Autrement dit, c’est la demande qui commande tout, évidemment. Que les banques ne soient pas actuellement très allantes pour prendre des risques auprès du secteur privé, alors qu’elles peuvent acquérir massivement des titres d’État, est un fait. Mais ce qu’elles craignent, ce n’est pas le manque de liquidités, mais le risque de pertes, ce dont aucune LTRO ne pourrait les protéger. Le facteur essentiel, c’est que la demande de crédits, tant des ménages que des entreprises, est faible, dans un climat de confiance encore très dégradé, et là encore, aucune LTRO ne pourra y remédier. « On ne peut faire boire un âne qui n‘a pas soif », rappelle judicieusement un économiste.
Dans ces conditions, une nouvelle opération de LTRO ne paraît guère utile. Il n’est même pas certain que ce nouveau gonflement du bilan de la banque centrale serait accueilli dans l’enthousiasme par les marchés. Il ne serait en tout cas certainement pas de nature à ranimer la confiance. Quant aux banques, déjà lourdement endettées au titre de la première LTRO, qu’elles doivent rembourser, est-on sûr qu’elles se rueraient pour bénéficier d’une nouvelle opération de ce type ?
Dans le climat actuel, est-il opportun de faire croire aux agents économiques et aux marchés que la Banque centrale peut tout ? À l’évidence, elle ne peut que contribuer au bonheur des peuples dans la limite de ses possibilités et de ses moyens, même lorsque ces derniers sont « non conventionnels ».
On le sait, en zone euro, les mesures « non conventionnelles » prises par la BCE ont été différentes de celles pratiquées par les autres banques centrales. Elle a peu racheté de titres de dette publique : un peu moins de 300 milliards d’euros de titres de dette d’États en difficulté, acquis d’ailleurs sous le mandat du prédécesseur de Mario Draghi, alors que les autres banques centrales en rachètent des centaines de milliards (80 milliards par mois par la FED). La raison en est simple, même si beaucoup ne veulent pas la comprendre : le but de ces opérations est de faire baisser les taux d’intérêt, pas de prendre le risque de pertes : la Fed, la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon rachètent des titres de la dette de l’État, central ou fédéral, parfaitement fongibles et sûrs, et pas des titres de collectivités publiques locales : la FED ne rachètera jamais des titres de dette de l’État californien. C’est précisément ce que certains demandent à la BCE, qui n’a pas en face d’elle un État fédéral émetteur de titres (il est certain que si les fameux « euro bonds » existaient, elle en aurait rachetés), et qui ne peut que se borner à des opérations exceptionnelles et limitées. Le mode opératoire privilégié a été d’accorder massivement des concours en monnaie banque centrale à long terme aux banques (LTRO, Long Terme Refinancement Operations). Ces apports, dont l’encours dépasse 1500 milliards d’euros, ont pour objet de donner au système bancaire une garantie de liquidité qui, à l’origine, devait suppléer un fonctionnement déficient du marché interbancaire sur lequel la méfiance était telle que les concours interbancaires se raréfiaient.
Dans une intervention récente, Mario Draghi, constatant que la reprise économique en Europe était encore très modeste, et se demandant comment la BCE pouvait contribuer à la renforcer, évoquait une nouvelle action de LTRO. Autrement dit, la garantie de liquidités à long terme accordée aux banques serait une incitation à distribuer des crédits. Une incitation qui n’a guère fonctionné jusqu’à maintenant puisque, en dépit d’un apport de 1500 milliards de LTRO, la progression des crédits en zone euro demeure très faible (moins de 2 %). C’est que les choses ne fonctionnent pas dans le sens : constitution d’une réserve de liquidités en monnaie banque centrale, puis distribution de crédits que la réserve de liquidités permettrait ensuite de refinancer en cas de besoin (comme cela demeure encore décrit dans certains manuels d’économie anglo-saxons), mais dans le sens inverse ; si la demande de crédit est là, et si les opérations leur paraissent économiquement justifiées, les banques n’auront aucune difficulté à accorder des crédits, même si elles n’ont à leur compte pas un euro de monnaie banque centrale, car elles sont sûres de pouvoir en cas de besoin obtenir ces liquidités auprès de la banque centrale. Autrement dit, c’est la demande qui commande tout, évidemment. Que les banques ne soient pas actuellement très allantes pour prendre des risques auprès du secteur privé, alors qu’elles peuvent acquérir massivement des titres d’État, est un fait. Mais ce qu’elles craignent, ce n’est pas le manque de liquidités, mais le risque de pertes, ce dont aucune LTRO ne pourrait les protéger. Le facteur essentiel, c’est que la demande de crédits, tant des ménages que des entreprises, est faible, dans un climat de confiance encore très dégradé, et là encore, aucune LTRO ne pourra y remédier. « On ne peut faire boire un âne qui n‘a pas soif », rappelle judicieusement un économiste.
Dans ces conditions, une nouvelle opération de LTRO ne paraît guère utile. Il n’est même pas certain que ce nouveau gonflement du bilan de la banque centrale serait accueilli dans l’enthousiasme par les marchés. Il ne serait en tout cas certainement pas de nature à ranimer la confiance. Quant aux banques, déjà lourdement endettées au titre de la première LTRO, qu’elles doivent rembourser, est-on sûr qu’elles se rueraient pour bénéficier d’une nouvelle opération de ce type ?
Dans le climat actuel, est-il opportun de faire croire aux agents économiques et aux marchés que la Banque centrale peut tout ? À l’évidence, elle ne peut que contribuer au bonheur des peuples dans la limite de ses possibilités et de ses moyens, même lorsque ces derniers sont « non conventionnels ».
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