Quelques enseignements de l’évolution de la dette publique sous la Vème République
Alors que la Vème République débute avec une situation financière saine, la dette publique a été multipliée par plus de vingt 55 ans après. Elle est ainsi passée de 20 % à près de 100 % du PIB.
Par Jean-Pierre Patat
Billet du 12 mars 2015
La Vème République débute, en 1959, avec une situation financière restaurée grâce à l’application des mesures de redressement contenues dans le plan « Rueff–Goetz » et des perspectives de croissance brillantes. 55 ans après, la dette publique a, en valeur, été multipliée par plus de 20. Elle est passée, en % du PIB, de 20 % à près de 100 %.
L’effondrement de la croissance, cause structurelle des déficits et de l’endettement
En regard d’une progression notable des dépenses publiques passées en % du PIB de 40 % à 56 % sur la période, les recettes fiscales ont été amoindries avec la chute du taux de croissance du PIB : en moyenne 6 % par an entre 1960 et 1970, 3,4 % de 1971 à 1980, 1,9 % de 1981 à 1990, 1,5 % de 1991 à 2000, à peine plus de 1 % depuis 2001. Les augmentations d’impôts pratiquées pour suppléer ces déficits de recettes n’ont pas permis d’éviter l’envolée des déficits budgétaires, en même temps qu’elles contribuaient à anémier l’activité.
Ce « rabougrissement » de la capacité de croissance de l’économie française a son point de départ en 1975. La première crise pétrolière, avec le quadruplement du prix du pétrole, provoque une récession cette année-là, mais ensuite, après une reprise artificielle et coûteuse en importations en 1976, le taux de croissance est d’abord divisé par deux par rapport à celui de la période antérieure, puis va en s’amoindrissant de plus en plus en dépit de quelques brèves périodes plus actives (1987-1988, 1997-1999). L’industrie française s’était, jusqu’au milieu des années 70, fortement développée, en particulier durant la présidence de Georges Pompidou, mais massivement dans des secteurs où la concurrence des pays que l’on appelait alors du « tiers monde » allait se développer. Ce handicap sera aggravé par de mauvaises réponses à la crise pétrolière que l’on croyait passagère, et qui consistèrent à faire payer par les entreprises plutôt que par les ménages, le prélèvement sur l’économie que représentait l’alourdissement du prix des importations énergétiques. Le système productif français va, dès lors, être de moins en moins capable de répondre à une demande et une concurrence qui ne sont plus limitées à l’hexagone ni même à l’Europe, ces déficiences finissant même par affecter des secteurs, tel le nucléaire, qui étaient de brillantes exceptions. En même temps qu’une modération significative des dépenses publiques, retrouver un bon rythme de croissance est donc la clé d’une diminution des déficits et de la dette.
Le recours incontournable à l’épargne de l’extérieure
En 1986/1987 est mise en œuvre une révolution copernicienne des modalités d’endettement de l’État. Jusqu’alors, ce dernier empruntait majoritairement à court terme et selon des modalités très diverses dont on a peine à imaginer aujourd’hui l’existence : dépôts des Comptes Chèques Postaux et des comptes dits « de fonds particuliers » ; avances de la Banque de France ; apport du réseau de « correspondants du Trésor » (le plus important est la Caisse des Dépôts et Consignations), qui mettent à sa disposition leur trésorerie inemployée ; souscriptions de bons dits « en compte courant » par les banques, souscriptions en partie contraintes pour respecter la règle du « plancher d’effets publics », instaurée après la guerre avec l’objectif officiel de sécuriser la gestion des banques et le but officieux de procurer un apport de fonds permanent à l’État ; souscriptions de « bons du Trésor sur formules » par le public. Dans ces conditions, le recours à l’épargne à long terme est limité et contracté sous formes d’emprunts ponctuels et solennels (les « emprunts Pinay » de 1952 et 1958, « l’emprunt Giscard » indexé sur l’or de 1973) toujours assortis d’avantages divers qui exonèrent le Trésor des conditions du marché ; enfin l’État empruntait très rarement à l’étranger.
Mais le système ainsi résumé ne pouvait exister que parce que le pays était financièrement très peu ouvert sur l’extérieur et parce que l’État était sommes toutes relativement peu endetté. Au milieu des années 80, la taille, devenue considérable, de la dette, l’importance de sa charge et de son service, le démantèlement des barrières financières au niveau international (fin des contrôles des changes) ne permettent plus de recourir à ces ingénieux expédients. Plusieurs textes de lois mettent fin aux cloisonnements des circuits et des instruments financiers et instaurent un unique marché de la dette sur lequel tous les agents économiques peuvent emprunter et prêter au travers d’instruments à toutes échéances. En ce qui concerne l’État en particulier, la réforme crée un vaste marché de titres publics, d’échéances de trois mois à 30 ans, fongibles et tous émis aux conditions du marché. Le symbole de cette nouvelle politique est l’Obligation Assimilable du Trésor, OAT, émise par adjudications, donc aux conditions du marché, avec le concours de la Banque de France (des modalités d’endettement en usage en Angleterre depuis... 3 siècles), destinée à devenir un instrument de placement international de référence, au même titre que les Bons du Trésor et Bills américains ou que le Bund allemand. De ce point de vue c’est un succès puisque la part des non-résidents dans la détention de la dette française va bientôt dépasser 60 %. Un succès qui fait grincer des dents à plus d’un. L’État se serait mis dans les mains de la finance internationale, apatride, et subirait les caprices d’agences de notations aussi incompétentes que partiales, alors que – et l’on entend souvent affirmer cela - « l’épargne est abondante en France ». En fait il n’y a que deux moyens pour un État d’échapper à la « finance internationale » : être peu endetté ou pouvoir financer entièrement sa dette grâce à l’épargne nationale. L’État japonais, colossalement endetté (plus de 200 % du PIB), se finance presque intégralement grâce à l’épargne des Japonais et se moque comme d’une guigne des multiples dégradations de sa note que lui infligent les agences de notation. Nous ne sommes dans aucune de ces situations en France : l’endettement public est important et l’épargne intérieure est insuffisante. Certes, l’épargne des ménages est abondante – et cela est sans doute la source de la confusion que font les critiques de l’endettement international – mais l’épargne totale de la Nation ne couvre pas ses besoins globaux de financement, ainsi qu’en témoignent les déficits récurrents de la balance des paiements courants. Dans ces conditions, il faut bien trouver des fonds ailleurs. Ces fonds auraient pu majoritairement couvrir les besoins de financement de l’autre secteur déficitaire, les entreprises ; ce n’est pas le cas. Ce sont les administrations qui portent l’essentiel de l’endettement international de la France. À en juger par les lamentations qui accueillent les prises de contrôle de grandes entreprises françaises par les capitaux étrangers, c’est un choix qui fait sens.
L’effondrement de la croissance, cause structurelle des déficits et de l’endettement
En regard d’une progression notable des dépenses publiques passées en % du PIB de 40 % à 56 % sur la période, les recettes fiscales ont été amoindries avec la chute du taux de croissance du PIB : en moyenne 6 % par an entre 1960 et 1970, 3,4 % de 1971 à 1980, 1,9 % de 1981 à 1990, 1,5 % de 1991 à 2000, à peine plus de 1 % depuis 2001. Les augmentations d’impôts pratiquées pour suppléer ces déficits de recettes n’ont pas permis d’éviter l’envolée des déficits budgétaires, en même temps qu’elles contribuaient à anémier l’activité.
Ce « rabougrissement » de la capacité de croissance de l’économie française a son point de départ en 1975. La première crise pétrolière, avec le quadruplement du prix du pétrole, provoque une récession cette année-là, mais ensuite, après une reprise artificielle et coûteuse en importations en 1976, le taux de croissance est d’abord divisé par deux par rapport à celui de la période antérieure, puis va en s’amoindrissant de plus en plus en dépit de quelques brèves périodes plus actives (1987-1988, 1997-1999). L’industrie française s’était, jusqu’au milieu des années 70, fortement développée, en particulier durant la présidence de Georges Pompidou, mais massivement dans des secteurs où la concurrence des pays que l’on appelait alors du « tiers monde » allait se développer. Ce handicap sera aggravé par de mauvaises réponses à la crise pétrolière que l’on croyait passagère, et qui consistèrent à faire payer par les entreprises plutôt que par les ménages, le prélèvement sur l’économie que représentait l’alourdissement du prix des importations énergétiques. Le système productif français va, dès lors, être de moins en moins capable de répondre à une demande et une concurrence qui ne sont plus limitées à l’hexagone ni même à l’Europe, ces déficiences finissant même par affecter des secteurs, tel le nucléaire, qui étaient de brillantes exceptions. En même temps qu’une modération significative des dépenses publiques, retrouver un bon rythme de croissance est donc la clé d’une diminution des déficits et de la dette.
Le recours incontournable à l’épargne de l’extérieure
En 1986/1987 est mise en œuvre une révolution copernicienne des modalités d’endettement de l’État. Jusqu’alors, ce dernier empruntait majoritairement à court terme et selon des modalités très diverses dont on a peine à imaginer aujourd’hui l’existence : dépôts des Comptes Chèques Postaux et des comptes dits « de fonds particuliers » ; avances de la Banque de France ; apport du réseau de « correspondants du Trésor » (le plus important est la Caisse des Dépôts et Consignations), qui mettent à sa disposition leur trésorerie inemployée ; souscriptions de bons dits « en compte courant » par les banques, souscriptions en partie contraintes pour respecter la règle du « plancher d’effets publics », instaurée après la guerre avec l’objectif officiel de sécuriser la gestion des banques et le but officieux de procurer un apport de fonds permanent à l’État ; souscriptions de « bons du Trésor sur formules » par le public. Dans ces conditions, le recours à l’épargne à long terme est limité et contracté sous formes d’emprunts ponctuels et solennels (les « emprunts Pinay » de 1952 et 1958, « l’emprunt Giscard » indexé sur l’or de 1973) toujours assortis d’avantages divers qui exonèrent le Trésor des conditions du marché ; enfin l’État empruntait très rarement à l’étranger.
Mais le système ainsi résumé ne pouvait exister que parce que le pays était financièrement très peu ouvert sur l’extérieur et parce que l’État était sommes toutes relativement peu endetté. Au milieu des années 80, la taille, devenue considérable, de la dette, l’importance de sa charge et de son service, le démantèlement des barrières financières au niveau international (fin des contrôles des changes) ne permettent plus de recourir à ces ingénieux expédients. Plusieurs textes de lois mettent fin aux cloisonnements des circuits et des instruments financiers et instaurent un unique marché de la dette sur lequel tous les agents économiques peuvent emprunter et prêter au travers d’instruments à toutes échéances. En ce qui concerne l’État en particulier, la réforme crée un vaste marché de titres publics, d’échéances de trois mois à 30 ans, fongibles et tous émis aux conditions du marché. Le symbole de cette nouvelle politique est l’Obligation Assimilable du Trésor, OAT, émise par adjudications, donc aux conditions du marché, avec le concours de la Banque de France (des modalités d’endettement en usage en Angleterre depuis... 3 siècles), destinée à devenir un instrument de placement international de référence, au même titre que les Bons du Trésor et Bills américains ou que le Bund allemand. De ce point de vue c’est un succès puisque la part des non-résidents dans la détention de la dette française va bientôt dépasser 60 %. Un succès qui fait grincer des dents à plus d’un. L’État se serait mis dans les mains de la finance internationale, apatride, et subirait les caprices d’agences de notations aussi incompétentes que partiales, alors que – et l’on entend souvent affirmer cela - « l’épargne est abondante en France ». En fait il n’y a que deux moyens pour un État d’échapper à la « finance internationale » : être peu endetté ou pouvoir financer entièrement sa dette grâce à l’épargne nationale. L’État japonais, colossalement endetté (plus de 200 % du PIB), se finance presque intégralement grâce à l’épargne des Japonais et se moque comme d’une guigne des multiples dégradations de sa note que lui infligent les agences de notation. Nous ne sommes dans aucune de ces situations en France : l’endettement public est important et l’épargne intérieure est insuffisante. Certes, l’épargne des ménages est abondante – et cela est sans doute la source de la confusion que font les critiques de l’endettement international – mais l’épargne totale de la Nation ne couvre pas ses besoins globaux de financement, ainsi qu’en témoignent les déficits récurrents de la balance des paiements courants. Dans ces conditions, il faut bien trouver des fonds ailleurs. Ces fonds auraient pu majoritairement couvrir les besoins de financement de l’autre secteur déficitaire, les entreprises ; ce n’est pas le cas. Ce sont les administrations qui portent l’essentiel de l’endettement international de la France. À en juger par les lamentations qui accueillent les prises de contrôle de grandes entreprises françaises par les capitaux étrangers, c’est un choix qui fait sens.
Retrouvez plus d'information sur le blog du CEPII. © CEPII, Reproduction strictement interdite. Le blog du CEPII, ISSN: 2270-2571 |
|||
|