Faut-il craindre l’incertitude du Brexit ?
FMI versus Krugman
Le FMI vient de réviser à la baisse ses prévisions de croissance, suivant le pessimisme largement exprimé après le référendum sur le Brexit. Paul Krugman s’est distingué quant à lui en ne voyant aucune raison majeure de s’inquiéter dans l’immédiat. Cette opposition traduit deux visons des conséquences à court terme de l’incertitude.
Par Stéphane Lhuissier, Fabien Tripier
Le 19 juillet, le FMI a diminué de 0,1 point de pourcentage ses prévisions de croissance pour 2016 et 2017 par rapport à celles publiées en avril. Cette révision fait suite au Brexit et se situe dans le scénario correspondant le plus favorable considéré par l’institution – le plus sévère conduirait à une réduction supplémentaire de 0,3 point de pourcentage en 2016 et 0,6 en 2017. Face à ces perspectives négatives, le FMI rejoint les nombreux appels déjà lancés pour tout mettre en œuvre afin de clarifier les suites politiques du référendum sur le Brexit.
Cette position du FMI s’inscrit dans un consensus qui s’est largement exprimé chez la plupart des économistes et responsables politiques : le Brexit est d’abord une source d’incertitude néfaste pour l’économie[1]. Face à ce consensus, une voix dissonante s’est fait entendre, celle de Paul Krugman, « prix Nobel » d’économie, mais aussi éditorialiste très suivi au New York Times. Selon lui, le Brexit aura des conséquences négatives sur l’économie, mais seulement à long terme, lorsqu’il sera effectif et qu’il aura réellement modifié l’organisation des échanges entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Paul Krugman est, en revanche, sceptique quant aux effets récessifs que le Brexit pourrait entraîner à court terme[2]. Il avance deux arguments.
Son premier argument est que, selon la théorie économique, une hausse de l’incertitude peut aussi bien s’accompagner d’une baisse de l’investissement (les entreprises reportant leur projet d’investissement en attendant d’y voir plus clair) que d’une hausse (les entreprises constituent des capacités de production pour faire face aux différentes évolutions possibles de l’environnement économique).
Cette ambigüité théorique a néanmoins été tranchée par de nombreuses études empiriques, même si les effets macroéconomiques de l’incertitude se révèlent complexes. Les recherches récentes montrent que ces effets existent mais qu’ils varient au cours du temps, selon le contexte économique et financier. Dans un contexte initialement favorable, une hausse de l’incertitude n’aura pas d’effets macroéconomiques notables. Cela fut le cas notamment, durant les années 2000, avant la grande récession, selon notre étude publiée par le CEPII[3]. En revanche, durant les récessions et les périodes de tensions financières, une hausse de l’incertitude aura des effets récessifs plus importants. Or l’état de l’économie européenne et mondiale à la veille du référendum au Royaume-Uni était suffisamment inquiétant pour penser, contrairement à Paul Krugman, que l’incertitude créée par le Brexit aura bien des effets récessifs.
Le second argument de Paul Krugman est sémantique. Selon lui l’incertitude est invoquée à tort dans les débats pour exprimer le risque croissant qu’une mauvaise décision, extrême, soit prise (ici, la restriction au commerce international intra-européen) alors que l’incertitude signifie une probabilité plus élevée de décisions extrêmes, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Paul Krugman a incontestablement raison sur la terminologie.
Néanmoins sur le plan des effets macroéconomiques de court terme, la hausse de la probabilité d’une dégradation de l’environnement économique modifie bien la situation de l’économie, même si cette dégradation n’est pas effective. C’est ce que nous montrons dans l’étude du CEPII, en considérant le risque de dégradation des conditions financières. Même si les conditions financières sont saines (c’est-à-dire que les faillites des débiteurs entraîneront des pertes limitées pour les créditeurs), l’économie sera d’autant plus sensible à une hausse de l’incertitude que le risque de dégradation des conditions financières est élevé. Dans ce contexte, le risque de dégradation des conditions économiques en Europe accroît l’exposition de l’économie européenne à l’incertitude créée par le Brexit et se révèle donc susceptible d’amplifier les effets récessifs à court terme.
Les recherches actuelles confortent donc les prédictions du FMI. Reste à savoir si, pour une fois, elles seront justes.
Cette position du FMI s’inscrit dans un consensus qui s’est largement exprimé chez la plupart des économistes et responsables politiques : le Brexit est d’abord une source d’incertitude néfaste pour l’économie[1]. Face à ce consensus, une voix dissonante s’est fait entendre, celle de Paul Krugman, « prix Nobel » d’économie, mais aussi éditorialiste très suivi au New York Times. Selon lui, le Brexit aura des conséquences négatives sur l’économie, mais seulement à long terme, lorsqu’il sera effectif et qu’il aura réellement modifié l’organisation des échanges entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Paul Krugman est, en revanche, sceptique quant aux effets récessifs que le Brexit pourrait entraîner à court terme[2]. Il avance deux arguments.
Son premier argument est que, selon la théorie économique, une hausse de l’incertitude peut aussi bien s’accompagner d’une baisse de l’investissement (les entreprises reportant leur projet d’investissement en attendant d’y voir plus clair) que d’une hausse (les entreprises constituent des capacités de production pour faire face aux différentes évolutions possibles de l’environnement économique).
Cette ambigüité théorique a néanmoins été tranchée par de nombreuses études empiriques, même si les effets macroéconomiques de l’incertitude se révèlent complexes. Les recherches récentes montrent que ces effets existent mais qu’ils varient au cours du temps, selon le contexte économique et financier. Dans un contexte initialement favorable, une hausse de l’incertitude n’aura pas d’effets macroéconomiques notables. Cela fut le cas notamment, durant les années 2000, avant la grande récession, selon notre étude publiée par le CEPII[3]. En revanche, durant les récessions et les périodes de tensions financières, une hausse de l’incertitude aura des effets récessifs plus importants. Or l’état de l’économie européenne et mondiale à la veille du référendum au Royaume-Uni était suffisamment inquiétant pour penser, contrairement à Paul Krugman, que l’incertitude créée par le Brexit aura bien des effets récessifs.
Le second argument de Paul Krugman est sémantique. Selon lui l’incertitude est invoquée à tort dans les débats pour exprimer le risque croissant qu’une mauvaise décision, extrême, soit prise (ici, la restriction au commerce international intra-européen) alors que l’incertitude signifie une probabilité plus élevée de décisions extrêmes, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Paul Krugman a incontestablement raison sur la terminologie.
Néanmoins sur le plan des effets macroéconomiques de court terme, la hausse de la probabilité d’une dégradation de l’environnement économique modifie bien la situation de l’économie, même si cette dégradation n’est pas effective. C’est ce que nous montrons dans l’étude du CEPII, en considérant le risque de dégradation des conditions financières. Même si les conditions financières sont saines (c’est-à-dire que les faillites des débiteurs entraîneront des pertes limitées pour les créditeurs), l’économie sera d’autant plus sensible à une hausse de l’incertitude que le risque de dégradation des conditions financières est élevé. Dans ce contexte, le risque de dégradation des conditions économiques en Europe accroît l’exposition de l’économie européenne à l’incertitude créée par le Brexit et se révèle donc susceptible d’amplifier les effets récessifs à court terme.
Les recherches actuelles confortent donc les prédictions du FMI. Reste à savoir si, pour une fois, elles seront justes.
[1] Voir par exemple le billet de Blog du 28 juin 2016 du CEPII « L’incertitude sur la politique économique : premier effet du Brexit ».
[2] Voir ses billets de Blog sur le sujet du 12 juillet 2016 « Still Confused About Brexit Macroeconomics » du 30 juin 2016 « The Macroeconomics of Brexit: Motivated Reasoning? »