L'urgence climatique
Dominique Bureau
Fin 2018, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a remis le rapport spécial demandé dans le cadre de l’accord de Paris sur les enjeux d’un réchauffement limité à 1,5 °C au-dessus des niveaux de l’ère pré-industrielle. L’impact déjà causé par les activités humaines sur la température y est estimé à 1 °C et il est jugé vraisemblable que la valeur de 1,5 °C soit atteinte entre 2030 et 2052. Ce rapport souligne par ailleurs que, en termes d’impacts sur la fréquence des événements climatiques extrêmes et le niveau des océans ou de dommages sur la biodiversité, la ressource en eau, les rendements agricoles ou la santé humaine, chaque demi-degré compte !Dominique Bureau
Les mobilisations récentes de la société civile, notamment celles de la jeunesse, intègrent ces temporalités, qui ne sont pas nouvelles pour les experts du climat, mais qui le sont davantage pour de nombreux publics ou décideurs. En effet, les politiques mises en place dans les années 1990 et 2000, à la suite de la Convention des Nations unies (CCNUCC) adoptée à Rio en 1992, ont été élaborées alors que les risques commençaient à être documentés, mais étaient encore entachés de beaucoup d’incertitudes. De plus, ceux-ci demeuraient très lointains. Aujourd’hui, le diagnostic s’appuie sur la confrontation des modélisations aux observations du changement climatique à l’œuvre et de ses impacts détectables, ce qui permet véritablement de parler d’urgence : Greta Thunberg, figure emblématique de la mobilisation de la jeunesse pour le climat, n’aura pas quarante ans lorsque le seuil des 1,5 °C sera atteint. La mobilisation pour le climat est ainsi en train de changer de nature, reflétant qu’aujourd’hui « le réchauffement climatique est la menace la plus grave pour notre planète et [que] c’est une bataille que nous ne sommes pas en train de gagner », pour reprendre une formule du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. En effet, même pour se tenir en dessous des 2 °C agréés par l’accord de Paris, il faudrait une réduction drastique des émissions dans tous les secteurs.
La principale difficulté pour répondre à cette urgence s’inscrit pleinement dans le champ de l’économie politique : quels instruments pour réorienter l’ensemble des comportements de production et de consommation, ou encore ceux des acteurs financiers pour réaliser et financer la transition écologique ?
Pour éclairer cette question, il convient d’abord de bien mesurer les efforts à réaliser et leurs enjeux pour l’économie mondiale. On commencera donc par rappeler les tendances des émissions, telles qu’elles résultent de l’accord de Paris. S’ensuivra le constat d’un écart considérable entre les engagements pris et l’objectif visé, ce qui conduira à examiner les politiques possibles pour combler ce fossé, avec notamment la question du prix du carbone. À cet égard, les obstacles à lever pour établir des écotaxes ne sont pas minces comme l’a montré, en France, le mouvement des « gilets jaunes ». Pour cela, il faut que celles-ci soient justes et non pas juste des taxes en plus [Bureau et al., 2019]. Il faut aussi apporter la preuve de l’utilité des efforts consentis au regard des effets possibles sur le pouvoir d’achat ou la compétitivité : quel sens donner à des objectifs nationaux ou européens ambitieux si les plus gros émetteurs ne suivent pas ? La construction de la coopération climatique internationale en constitue alors le nœud gordien. [...]
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