La Chine intrigue, fascine ou inquiète, mais ses performances ne laissent pas indifférent. La Chine était, de très loin, le pays le plus pauvre du monde en 1950, avec un PIB par habitant égal à la moitié de celui de l’Afrique et aux deux tiers de celui de l’Inde. Elle est devenue, en 2010, la première puissance commerciale et la deuxième par le niveau du PIB, tout en étant encore un pays en développement.
La réforme chinoise a débuté en 1979 sous l’impulsion de Deng Xiaoping, avec un objectif : faire de la Chine une puissance économique moderne. Elle construit un modèle de capitalisme sui generis à partir de deux principes fondamentaux : d’une part le Parti communiste doit préserver le contrôle absolu du système politique ; d’autre part, il faut encourager une grande diversité de formes de propriété, parmi lesquelles l’État doit conserver un domaine substantiel de propriété publique.
La logique de la réforme est celle d’une transformation conjointe des structures économiques et des institutions publiques. La continuité du leadership politique garantit à la fois une vue longue sans modèle idéal à atteindre et un gradualisme qui favorise l’expérimentation pragmatique. La réforme est un processus qui se nourrit de ses propres contradictions et de ses progrès. Elle change d’une étape à l’autre, mais demeure la même dans sa visée à long terme : rattraper l’Occident et faire progresser l’enrichissement de la population dans l’harmonie sociale selon l’idéologie confucéenne.
La réforme chinoise est entrée dans sa troisième étape. Chaque étape a un moteur de croissance et engendre des déséquilibres qui conduisent à une crise. Celle-ci fait apparaître une nouvelle orientation à partir d’intenses débats politiques.
La première étape, de 1979 à 1993, a reposé sur l’apprentissage de l’autonomie de gestion et sur la réforme graduelle des prix pour éviter le choc d’une libéralisation brutale. Mais elle a buté sur la crise inflationniste de la fin des années 1980 qui a fait monter un profond mécontentement social. Celui-ci a donné à une dissidence politique l’ampleur qui a conduit aux manifestations de Tiananmen en juin 1989. Après une récession sévère, l’inflation est repartie en 1993, précipitant l’orientation vers une accumulation intensive en capital.
La deuxième étape va de 1994 à 2008. C’est celle du développement industriel et de l’ouverture aiguillonnée par la vague des investissements directs étrangers (IDE). La Chine s’est alors transformée en pays pivot de l’intégration industrielle mondiale. L’accroissement rapide de la productivité du travail dans l’industrie a éliminé l’inflation. L’État central a repris le contrôle des finances publiques ; la propriété privée du logement a créé une classe moyenne urbaine. Ce mode de croissance intensif en capital a créé ses propres contradictions dues à un développement inégal. Les contraintes budgétaires aiguës sur les collectivités locales des régions à forte composante rurale ont provoqué une fuite en avant dans l’endettement ; les inégalités de revenus se sont élargies ; les dégâts environnementaux se sont accumulés ; la crise bancaire a dû être surmontée par une consolidation de grande envergure. L’orientation à l’exportation, qui a nourri les déséquilibres globaux, a soutenu une croissance de plus en plus forte mais déséquilibrée dans les années 2002-2007, jusqu’à l’emballement inflationniste des matières premières suivi du contre-choc de la crise financière mondiale.
Cette crise a mis un terme à la deuxième étape de la réforme. Elle renforce la position de ceux qui veulent redéployer le régime de croissance face aux groupes d’intérêt régionaux et sectoriels qui ont porté le dynamisme de l’économie chinoise et se trouvent désormais confrontés à un difficile ajustement.
En indiquant les principales limites sur lesquelles le régime de croissance a buté au cours des années 2000, nous expliquerons pourquoi une nouvelle stratégie est nécessaire. Nous exposerons ensuite autour de quelles lignes de force la croissance pourra se redéployer.
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