Mario Draghi met les gouvernements au pied du mur
Billet du 17 septembre 2012
Avec un grand sens théâtral, Mario Draghi a annoncé le 6 septembre un programme d’achats conditionnels d’obligations souveraines de maturités 1 à 3 ans sur les marchés secondaires, appelé OMT (Outright Monetary Transactions). Ce programme est bien nommé. Il ne s’agit en aucun cas d’aider directement les finances publiques de pays en difficulté, mais de rétablir l’unité et l’efficacité de la politique monétaire. En ce sens ce programme poursuit la même logique que les deux opérations dites LTRO (Long Term Refinancing Operations) de fin décembre 2011 et de fin février 2012 en faveur des banques (refinancement par prêts à trois ans pour plus de 1 000 milliards d’euros).
Si ce programme atteint son objectif, Mario Draghi jouira peut-être de (ou subira) la même idolâtrie qu’Alan Greenspan il y a 10 ans. En tous cas l’habileté de communication est grande parce qu’elle repose sur des indices objectifs. Il s’agit bien de préserver l’intégrité de l’espace financier de l’euro menacé de désintégration. La disparité des taux d’emprunts n’est pas seulement l’affaire des titres publics ; elle affecte aussi les entreprises, c’est-à-dire toute l’activité économique des pays. En effet, en juillet 2012, des PME de même taille dans le même secteur d’activité qui cherchaient à lever 1 million d’euros payaient 6,5% d’intérêts en Espagne contre moins de 4% en Allemagne. Le slogan selon lequel il est justifié de mener une politique monétaire unique pour la zone euro, parce que les canaux de transmission sont homogènes dans tous les pays (« one size fits all »), était devenu une mauvaise plaisanterie.
C’est un danger mortel pour l’existence même de l’euro parce que l’avantage commun qu’il est censé apporter est celui d’une allocation du capital déterminée par les caractéristiques des emprunteurs indépendamment des pays dans lesquels ils résident. Le retour de risques pays différenciés qui frappent tous les emprunteurs dans ces pays (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne, Italie), indique un processus de fragmentation de la zone euro. La BCE a pu constater que la fragmentation était en train de prendre de plus en plus d’ampleur. Selon les données rassemblées par la BRI auprès des banques qui rapportent leurs avoirs et leurs engagements internationaux, sur les quatre années allant du premier trimestre 2008 au premier trimestre 2012, les banques françaises ont réduit leur exposition sur les cinq pays fragiles de 204 milliards d’euros et les banques allemandes de 302 milliards d’euros. Lorsqu’on sait que les banques de la zone euro sont très insuffisamment capitalisées et que le FMI a estimé à 2 000 milliards d’euros la contraction de bilan nécessaire pour l’ensemble du système bancaire dans les deux ans qui viennent, on comprend mieux l’inquiétude de la BCE. Fragmentation financière et marasme économique prolongé vont de pair.
La BCE est donc parfaitement dans son rôle en instaurant le programme d’achats illimités de titres, sous condition d’un programme de prévention demandé par les pays et validé par le nouveau mécanisme européen de stabilité (MES), mécanisme qui a par ailleurs reçu l’onction de la cours constitutionnelle allemande. Il ne s’agit en aucun cas d’un financement monétaire illégal des dettes publiques. Toutefois le programme OMT peut s’avérer être un piège si les gouvernements continuent à étaler leurs divergences sur les moyens de résolution de la crise ; ce qui les a conduit depuis près de trente mois à faire trop souvent trop peu trop tard.
Le paradoxe de la situation est, en effet, que la BCE soit contrainte à mener des actions différenciées pour que la politique monétaire puisse être unique. On pourrait le justifier en interprétant le programme comme participant du rôle de prêteur en dernier ressort qui est le propre des banques centrales et les distingue de tous les autres agents économiques. Mais le prêteur en dernier ressort intervient en situation de risque systémique de manière discrétionnaire et inconditionnelle. Or les achats de titres dans le programme OMT présupposent la demande d’aide des gouvernements nationaux et l’accord du MES sur un programme de redressement budgétaire sur lequel le gouvernement est engagé.
Martin Wolf a bien vu la contradiction dans son article du Financial Times du 12 septembre. Comme cela s’est produit ces dernières années avec les programmes dits de redressement de la Grèce ou avec les annonces faites unilatéralement par le gouvernement espagnol, les forces dépressives qui entraînent la zone euro dans la récession sont amplifiées dans les pays fragiles. Elles empêchent que les engagements soient tenus. Que fera la BCE si elle est en train d’acheter les titres d’un pays qui ne peut pas tenir ses engagements ? Elle ne pourra pas arrêter le programme car cela serait auto détruire ce pourquoi les programme est fait. Les taux d’intérêt flamberaient dans le pays et dans tous ceux susceptibles d’être placés sous un tel programme. La fragmentation de la zone euro reprendrait avec une force accrue. La BCE serait donc conduite à poursuivre ses achats en dernier ressort. Cela envenimerait les relations politiques parce que les dirigeants allemands, poussés par leur opinion publique, dénonceraient probablement « l’irresponsabilité » du mécanisme. Pourtant ce serait leur refus de soutenir la demande agrégée de la zone euro et donc le niveau de l’activité économique dans les pays fragiles qui aurait provoqué l’échec.
La bonne interprétation est donc que Mario Draghi a fait une soudure d’urgence pour que l’espace financier de l’euro tienne encore ensemble. La BCE est en effet la seule à pouvoir, à court terme, maintenir une structure de taux d’intérêt qui soit compatible avec un processus ordonné de consolidation des dettes publiques. Mais elle ne peut remplacer ce processus. La composante principale est la coopération budgétaire. Toutefois parce que ce processus implique aussi un désendettement du secteur privé et surtout des banques, la BCE doit être dotée des moyens de supervision indispensables pour mener une politique macro prudentielle. En ce sens, ses compétences doivent être élargies au-delà de la politique monétaire.
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