Pour une approche progressive de la mutualisation des dettes souveraines en Europe (2/3)
Pour traiter l’actuelle crise de la zone euro, de nombreuses propositions ont été faites au niveau européen : l’introduction d’euro-obligations, la création d’une union bancaire, l’acceptation d’une union de transferts. Néanmoins, ces solutions se heurtent à plusieurs problèmes.
Par Agnès Bénassy-Quéré
Billet du 8 juin 2012
>>> Pour une approche progressive de la mutualisation des dettes souveraines en Europe (1/3)
Un problème politique : en vertu du principe démocratique « pas d’imposition sans représentation », la solidarité entre Etats-membres implique une co-décision des politiques nationales. Par exemple, les partenaires européens devraient pouvoir, le cas échéant, imposer leur veto à un projet de loi de finance dans un Etat-membre. Ceci suppose donc une forme d’intégration politique.
Un problème constitutionnel : la constitution allemande interdit au Bundestag de prendre des engagements budgétaires indéfinis et potentiellement importants ; les constitutions nationales donnent aux parlements nationaux le pouvoir de décision en matière budgétaire ; le traité européen interdit le renflouement d’un Etat par un autre. Eurobonds, union bancaire et union de transferts nécessiteraient de modifier non seulement le Traité, mais aussi les constitutions nationales.
Un problème de confiance : la crise a commencé lorsque la Grèce a révélé la falsification de ses comptes ; elle s’est poursuivie avec l’incapacité du gouvernement grec à mettre en œuvre plusieurs éléments du plan d’ajustement, mais aussi avec le non-respect, par d’autres Etats-membres, de leurs engagements budgétaires, puis avec le traitement chaotique de la crise bancaire espagnole par le gouvernement de ce pays. Dans cette situation, toute solution fédérale se heurte à un manque de confiance profond entre Etats-membres. Une mutualisation des ressources pourrait renforcer encore les comportements déviants – un argument central des opposants à l’euro-obligation (voir Gros, 2011).
Ces trois obstacles conduisent de nombreux analystes à écarter des solutions de type Eurobond ou union bancaire, lesquelles ne pourraient être mises en œuvre qu’au terme d’un long processus politico-institutionnel [1]. Il est clair qu’on ne peut pas demander aux peuples du Nord de l’Europe une garantie solidaire sur l’intégralité d’une dette dont ils ne sont pas responsables et dont la gestion leur échappe. Cependant, ne rien faire sur ce terrain risque d’aboutir tout simplement à l’éclatement de la zone euro. Le Conseil des Sages allemands en a pris conscience en proposant la création d’un « fonds d’amortissement » des dettes souveraines [2]. L’idée est de mutualiser progressivement la partie des dettes souveraines jugée « excessive » (en excès par rapport à la norme de 60% du PIB). Le remboursement de ces dettes serait sécurisé par le fléchage de recettes fiscales nationales et par la mise en garantie d’actifs publics (une part des réserves de la banque centrale). Les dettes émises par le fonds pour le compte des Etats seraient alors garanties solidairement, c’est-à-dire qu’en cas de défaillance d’un Etat-membre les autres Etats se substitueraient pour servir sa part de la dette. Un tel dispositif pourrait être accepté par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en raison de son caractère « fini » (les montants seraient connus) et « temporaire » (le fond serait appelé à disparaître progressivement au fil des remboursements). S’il fonctionne, ce système pourrait contribuer à rétablir la confiance entre les Etats-membres, facilitant alors la mise en place d’une Europe fédérale. Néanmoins, outre les problèmes profilage (seuil de dette, rythme de remboursement…), la création d’un fonds de remboursement se heurte à deux difficultés de fond :
En sécurisant une partie de la dette, on rend le reste de la dette plus risqué. Face à un problème de surendettement global, découper la dette en plusieurs compartiments ne résout pas le problème de fond qui est la capacité de chaque Etat à rembourser [3].
Ce fonds d’amortissement ne résoudrait pas les problèmes de refinancement à court terme des Etats et des banques.
Une autre proposition, émanant elle aussi d’Allemagne [4], consiste à créer non pas des euro-obligations, mais des obligations synthétiques, sortes de paniers d’obligations publiques nationales. Un fonds serait créé avec pour mission d’acheter, sur le marché, des obligations nationales, en proportion du poids de chaque Etat-membre dans l’économie de la zone euro (ou dans le capital de la Banque centrale européenne), puis de revendre par lots ces obligations, sous la forme d’une obligation synthétique qui serait un panier de ces différentes obligations nationales. Simple intermédiaire, le Fonds n’aurait pas besoin de financements publics. En cas de défaut d’un Etat-membre, la perte serait répercutée sur l’obligation synthétique. Il n’y aurait donc aucune mutualisation du risque. Néanmoins, l’obligation synthétique serait par construction moins risquée qu’une obligation grecque ou espagnole. Ce risque faible permettrait de garantir son refinancement auprès de la BCE, laquelle pourrait de surcroît encourager son développement par un traitement favorable lors des opérations de refinancement. Le développement de cette obligation synthétique irait en effet dans l’intérêt de la BCE dans la mesure où elle permettrait de diversifier progressivement le risque souverain dans les bilans bancaires.
Peu exigeante en termes institutionnels et politiques, cette solution pourrait être mise en place rapidement. Hélas, elle non plus ne résoudrait pas le problème fondamental de surendettement des pays périphériques : si l’on souhaite respecter une clé de répartition proche du poids de chaque pays dans l’économie (et non dans la dette agrégée) de la zone euro lors de la constitution des paniers de dettes, il y aurait trop de titres irlandais et pas assez de titres allemands, de sorte que nombre d’obligations d’Etats périphériques demeureraient « orphelines » et risqueraient d’être rejetées par les marchés.
>>> Pour une approche progressive de la mutualisation des dettes souveraines en Europe (3/3)
Un problème politique : en vertu du principe démocratique « pas d’imposition sans représentation », la solidarité entre Etats-membres implique une co-décision des politiques nationales. Par exemple, les partenaires européens devraient pouvoir, le cas échéant, imposer leur veto à un projet de loi de finance dans un Etat-membre. Ceci suppose donc une forme d’intégration politique.
Un problème constitutionnel : la constitution allemande interdit au Bundestag de prendre des engagements budgétaires indéfinis et potentiellement importants ; les constitutions nationales donnent aux parlements nationaux le pouvoir de décision en matière budgétaire ; le traité européen interdit le renflouement d’un Etat par un autre. Eurobonds, union bancaire et union de transferts nécessiteraient de modifier non seulement le Traité, mais aussi les constitutions nationales.
Un problème de confiance : la crise a commencé lorsque la Grèce a révélé la falsification de ses comptes ; elle s’est poursuivie avec l’incapacité du gouvernement grec à mettre en œuvre plusieurs éléments du plan d’ajustement, mais aussi avec le non-respect, par d’autres Etats-membres, de leurs engagements budgétaires, puis avec le traitement chaotique de la crise bancaire espagnole par le gouvernement de ce pays. Dans cette situation, toute solution fédérale se heurte à un manque de confiance profond entre Etats-membres. Une mutualisation des ressources pourrait renforcer encore les comportements déviants – un argument central des opposants à l’euro-obligation (voir Gros, 2011).
Ces trois obstacles conduisent de nombreux analystes à écarter des solutions de type Eurobond ou union bancaire, lesquelles ne pourraient être mises en œuvre qu’au terme d’un long processus politico-institutionnel [1]. Il est clair qu’on ne peut pas demander aux peuples du Nord de l’Europe une garantie solidaire sur l’intégralité d’une dette dont ils ne sont pas responsables et dont la gestion leur échappe. Cependant, ne rien faire sur ce terrain risque d’aboutir tout simplement à l’éclatement de la zone euro. Le Conseil des Sages allemands en a pris conscience en proposant la création d’un « fonds d’amortissement » des dettes souveraines [2]. L’idée est de mutualiser progressivement la partie des dettes souveraines jugée « excessive » (en excès par rapport à la norme de 60% du PIB). Le remboursement de ces dettes serait sécurisé par le fléchage de recettes fiscales nationales et par la mise en garantie d’actifs publics (une part des réserves de la banque centrale). Les dettes émises par le fonds pour le compte des Etats seraient alors garanties solidairement, c’est-à-dire qu’en cas de défaillance d’un Etat-membre les autres Etats se substitueraient pour servir sa part de la dette. Un tel dispositif pourrait être accepté par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en raison de son caractère « fini » (les montants seraient connus) et « temporaire » (le fond serait appelé à disparaître progressivement au fil des remboursements). S’il fonctionne, ce système pourrait contribuer à rétablir la confiance entre les Etats-membres, facilitant alors la mise en place d’une Europe fédérale. Néanmoins, outre les problèmes profilage (seuil de dette, rythme de remboursement…), la création d’un fonds de remboursement se heurte à deux difficultés de fond :
En sécurisant une partie de la dette, on rend le reste de la dette plus risqué. Face à un problème de surendettement global, découper la dette en plusieurs compartiments ne résout pas le problème de fond qui est la capacité de chaque Etat à rembourser [3].
Ce fonds d’amortissement ne résoudrait pas les problèmes de refinancement à court terme des Etats et des banques.
Une autre proposition, émanant elle aussi d’Allemagne [4], consiste à créer non pas des euro-obligations, mais des obligations synthétiques, sortes de paniers d’obligations publiques nationales. Un fonds serait créé avec pour mission d’acheter, sur le marché, des obligations nationales, en proportion du poids de chaque Etat-membre dans l’économie de la zone euro (ou dans le capital de la Banque centrale européenne), puis de revendre par lots ces obligations, sous la forme d’une obligation synthétique qui serait un panier de ces différentes obligations nationales. Simple intermédiaire, le Fonds n’aurait pas besoin de financements publics. En cas de défaut d’un Etat-membre, la perte serait répercutée sur l’obligation synthétique. Il n’y aurait donc aucune mutualisation du risque. Néanmoins, l’obligation synthétique serait par construction moins risquée qu’une obligation grecque ou espagnole. Ce risque faible permettrait de garantir son refinancement auprès de la BCE, laquelle pourrait de surcroît encourager son développement par un traitement favorable lors des opérations de refinancement. Le développement de cette obligation synthétique irait en effet dans l’intérêt de la BCE dans la mesure où elle permettrait de diversifier progressivement le risque souverain dans les bilans bancaires.
Peu exigeante en termes institutionnels et politiques, cette solution pourrait être mise en place rapidement. Hélas, elle non plus ne résoudrait pas le problème fondamental de surendettement des pays périphériques : si l’on souhaite respecter une clé de répartition proche du poids de chaque pays dans l’économie (et non dans la dette agrégée) de la zone euro lors de la constitution des paniers de dettes, il y aurait trop de titres irlandais et pas assez de titres allemands, de sorte que nombre d’obligations d’Etats périphériques demeureraient « orphelines » et risqueraient d’être rejetées par les marchés.
>>> Pour une approche progressive de la mutualisation des dettes souveraines en Europe (3/3)
[1] L’union bancaire est moins exigeante que l’Eurobond en termes de solidarité budgétaire, notamment si les restructurations bancaires sont financées par des contributions des grands établissements bancaires européens. A court et moyen termes, cependant, il est illusoire de penser qu’un fonds de restructuration pourra être financé entièrement par le secteur lui-même (voir Schoenmaker et Gros, 2012). Le Fonds européen de restructuration bancaire devra alors être financé, en cas de besoin, par emprunt solidaire des Etats-membres.
[2] Voir German Council of Economic Experts (2011).
[3] Le même problème se pose pour les propositions de Delpla et von Weizsäcker (2011), Hellwig et Philippon (2011) ou Brunnermeier et al. (2011).
[4] Beck, Uhlig et Wagner (2011).
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