Le blog du CEPII

Quand les statisticiens du commerce international se rencontrent

Les difficultés de mesure, la confidentialité de certaines données et l’évolution des pratiques économiques nécessitent un ajustement permanent et une coopération constante.
Par Alix de Saint Vaulry
 Faits & Chiffres du 19 mai 2014


Le commerce international de marchandises représente actuellement un quart du PIB mondial, contre un dixième seulement en 1970. Le mesurer le mieux possible est un enjeu essentiel. Les statistiques sont plutôt de bonne qualité, mais des zones de flou subsistent, liées notamment à l’insuffisante ventilation géographique et sectorielle des échanges et aux asymétries entre les déclarations des exportateurs et des importateurs. Les statisticiens du monde entier s'attachent cependant à continûment améliorer ces statistiques et élargissent la vision qu'on peut avoir de la mondialisation.

Chaque année depuis 1999, l'OCDE organise une rencontre entre experts du commerce international [1], qu'ils soient producteurs de statistiques nationales, compilateurs de bases de données internationales ou chercheurs. Ils viennent des pays de l'OCDE, d'autres pays (Brésil, Chine, Colombie, Costa Rica, Russie...) et d'organisations internationales (Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), Organisation des Nations Unies (ONU), Organisation Mondiale du Commerce (OMC), Fonds Monétaire International (FMI), Eurostat...). La dernière édition en date s’est tenue à Paris du 24 au 26 mars derniers.

Le but de ces rencontres ? Ajuster et affiner les outils de mesure de la mondialisation, à l'aide des statistiques les plus complètes possibles, de la meilleure qualité possible et comparables entre pays.

Relier les statistiques de différents domaines
Pour comprendre comment la mondialisation fonctionne, les chercheurs se sont d'abord focalisés sur les données d'échanges de biens entre les pays. Pour les marchandises déjà, les statistiques douanières, celles des balances des paiements et les comptes nationaux n'ont pas les mêmes concepts et définitions. Alors que les administrations des douanes s'attachent aux mouvements des marchandises traversant les frontières, les banques centrales s’intéressent aux changements de propriétaires (résidents ou non).

Les services ont pris une place croissante dans les échanges internationaux... et les statistiques, devenues de plus en plus détaillées. Des secteurs de services jouent désormais un rôle de première importance dans les échanges courants de nombre de pays. Par exemple, le solde des biens et services du Royaume-Uni serait nettement plus déficitaire sans les services financiers, dont l’excédent commercial représente 2 % du PIB anglais depuis 2007.

Enfin, les flux de capitaux, notamment les investissements directs à l'étranger (0,4 % du PIB mondial en 1970, 4 % actuellement), complètent le tableau de la mondialisation.

Les pays ne sont pas les seuls acteurs, les entreprises multinationales modèlent largement les échanges mondiaux avec leurs filiales locales et à l'étranger. Les statistiques suivent, à l'aide d'enquêtes notamment. Il est difficile de relier les données macroéconomiques (exportations et importations globales relevées par les douanes, les banques centrales...) et microéconomiques (données individuelles d'entreprises : emploi, valeur ajoutée...). Suivant les pays, les entreprises ont ou non un code d'identification unique dans les différentes bases de données. Pour respecter la confidentialité des données stratégiques des entreprises, leurs données ne sont disponibles qu'au niveau agrégé et selon des procédures spéciales. Au niveau macroéconomique, les exportations de certains postes, comme l'or non monétaire pour l'Afrique du Sud ou les navires et les avions pour certains pays européens, ne sont pas ventilées par pays partenaire, sont très partiellement ventilées (la destination de plus de 90 % des exportations russes de gaz naturel n'est pas reportée par la Russie), voire pas déclarées du tout comme parfois le pétrole pour certains pays de l'OPEP. Ces données sont considérées comme stratégiques, surtout si la presque-totalité des exportations correspondantes émane d’une seule entreprise.

Un champ de recherches prometteur concerne les "chaînes de valeur mondiales". De la conception à la commercialisation, de nombreuses tâches sont nécessaires pour produire un jean, un ordinateur ou un avion, transformé et assemblé à partir de pièces venant de différents pays. De plus en plus, ces tâches sont fragmentées dans des pays différents, à chaque fois avec plus ou moins de valeur ajoutée. Si on considère la valeur ajoutée dans un pays et non la valeur totale du bien au passage de la frontière, on observe une physionomie différente des excédents et déficits commerciaux bilatéraux. Par exemple, l'excédent commercial de la Chine sur les Etats-Unis était en 2009 de 60 milliards de dollars, soit un tiers moins élevé en termes de valeur ajoutée qu’en termes de production, notamment car ses exportations vers les Etats-Unis contiennent un tiers d'intrants produits ailleurs.

Préparer l'avenir
Adapter les outils statistiques de mesure à une réalité économique perpétuellement changeante nécessite des efforts constants. Ils passent notamment par une coopération (et une coordination) accrue entre pays, bilatérale sur des points particuliers, des groupes formels ou informels réunissant organisations internationales et pays, statisticiens collecteurs, compilateurs et diffuseurs de statistiques, chercheurs et autres utilisateurs, entreprises, décideurs politiques...

Dans un contexte de réductions budgétaires, le but est d'utiliser de manière optimale les statistiques, sans alourdir la charge statistique des entreprises, pour mieux connaître et analyser la réalité de la mondialisation. Comment ? En explorant la "frontière" de nouveaux champs de recherches comme le commerce par caractéristique d’entreprise, le commerce en valeur ajoutée, et en améliorant la quantité des statistiques (services plus détaillés sur longue période par exemple) et leur qualité, en cherchant à réduire les asymétries entre déclarations des exportateurs et des importateurs (dues notamment au coût du fret, d'environ 5 % de la valeur des importations actuellement, mais pouvant atteindre bien plus de 50 % pour certains flux bilatéraux, à la façon de déclarer les réexportations -marchandises réexportées en l'état, qui pour Hong Kong représentent plus de 90 % des exportations- et à la confidentialité). Des rencontres bilatérales permettent de cerner les raisons de ces asymétries et de les réduire. Une solution radicale a été appliquée par les Etats-Unis et le Canada, qui ont signé en 1987 un mémorandum d'entente (memorandum of understanding) pour leur commerce bilatéral : ils utilisent depuis 1990 les statistiques d'importations du partenaire pour comptabiliser leurs propres exportations. Mais les déclarations des partenaires sont encore trop souvent trop différentes pour que cette solution soit acceptable par les pays.
La connaissance de l'économie mondiale passe aussi par la mondialisation des statistiques.

 

Comparer les statistiques entre les pays

Les statistiques des différents pays sont-elles comparables ? Les chercheurs butent contre des concepts différents, des produits inclus ou exclus des statistiques de commerce, une valorisation différente, des nomenclatures variées. Aussi les organisations internationales cherchent à harmoniser tout cela, dans un dialogue avec les statisticiens, utilisateurs et décideurs des différents pays. Il s'agit d'abord de connaître ces différences, puis de proposer des références, voire des normes, et d'échanger les "meilleures pratiques" d'informatisation de la fourniture des données sources, d'estimation, de rétropolation, de calcul de désaisonnalisation, de valeur unitaire... Ainsi des manuels, des guides sont régulièrement élaborés sur le commerce de marchandises, la balance des paiements, le commerce des services... pour améliorer la qualité et la comparabilité des statistiques rassemblées dans des bases de données mondiales. L'accent est mis aussi sur la diffusion de ces statistiques et leur documentation à l'aide de "métadonnées".


 
Pour en savoir plus :
 
Base de données AMNE (Activity of Multinational Enterprises) de l'OCDE : http://www.oecd.org/industry/ind/amne.htm

Site internet consacré aux statistiques par caractéristiques des entreprises (TEC) de l’OCDE : http://oe.cd/tec

Projet conjoint OCDE-OMC "Commerce en valeur ajoutée" (TiVA, Trade in Value Added) : http://www.oecd.org/industry/ind/measuringtradeinvalue-addedanoecd-wtojointinitiative.htm

Manuel sur les statistiques du commerce international de marchandises : http://unstats.un.org/unsd/trade/EG-IMTS/IMTS%202010%20(French).pdf

Manuel sur la balance des paiements et les positions de l’investissement international (6ème édition) http://www.imf.org/external/pubs/ft/bop/2007/bopman6.htm

Manuel sur les statistiques du commerce international de services : http://www.oecd.org/fr/echanges/stats-echanges/manueldesstatistiquesducommerceinternationaldesservices.htm
 

[1] Groupe de travail sur les statistiques du commerce de biens et services, en anglais WPTGS : Working Party on International Trade in Goods and Services Statistics.

Commerce & Mondialisation 
< Retour