Le blog du CEPII

Le système monétaire international a besoin de l’euro

Alors que se joue depuis quelques mois la survie de la monnaie unique européenne, alors que la présidence française du G20 est close et que le Mexique n’a pas retenu la réforme du système monétaire international parmi ses priorités de sa propre présidence du G20, il peut sembler incongru de prôner un rôle accru de l’euro sur la scène internationale.
Par Agnès Bénassy-Quéré
 Billet du 12 janvier 2012


Pourtant, les inconvénients d’un système monétaire international toujours centré sur le dollar sont patents. Surtout, ils vont s’amplifier avec le basculement de la croissance mondiale des pays avancés vers les pays émergents. En particulier, si les bons du trésor américains continuent d’être considérés par les investisseurs du monde entier comme les seuls actifs réellement liquides et sans risque, alors la demande mondiale pour ces actifs sera structurellement excédentaire, maintenant les taux d’intérêt américains à un niveau bas. Ce bas niveau du taux d’intérêt aux Etats-Unis aura deux conséquences. D’abord, il ralentira le mouvement de désendettement des ménages, des entreprises et de l’Etat. Or moins d’épargne, c’est plus de déficit extérieur et donc une poursuite de l’endettement des Etats-Unis vis-à-vis du reste du monde. Ensuite, le bas niveau du taux d’intérêt aux Etats-Unis contaminera la politique monétaire de tous les pays qui surveillent leur taux de change – qui sont une majorité dans les économies émergentes. Or ces pays ont de bonnes perspectives de croissance, mais aussi un bon potentiel d’inflation et de bulles spéculatives.
 
Par ailleurs, si le dollar demeure la clé de voûte du système financier international, il faudra que la Réserve fédérale continue de jouer son rôle de prêteur en dernier ressort international comme elle l’a fait durant cette crise en prêtant aux banques centrales étrangères les dollars qui leur manquent pour aider leurs propres banques. Pas sûr que les Etats-Unis soient désireux de continuer à jouer ce rôle s’ils ne sont plus en même temps la clé de voûte de l’économie mondiale. Pas sûr non plus qu’ils ne mêlent des considérations politiques à leur intervention nécessairement discrétionnaire. La Fed s’est bien comportée pendant la crise ; elle a contribué à contrer la crise de liquidité et le système monétaire international ne s’est pas écroulé. Mais rien ne dit que cette situation se reproduise lors des crises futures.
 
La Chine a, depuis deux ans, pris des mesures encore modestes mais significatives pour internationaliser sa monnaie. Même si la croissance des échanges commerciaux en renminbi est impressionnante, la Chine part de très loin et il lui reste des étapes essentielles à franchir, comme la libéralisation des flux de capitaux entrants et sortants ou le renforcement de l’état de droit, avant que sa monnaie ne puisse véritablement rivaliser avec le dollar. Ces étapes prendront du temps, dix ans peut-être, ou même davantage. Dans l’intervalle, la seule monnaie crédible comme complément au dollar pour les fonctions de monnaie internationale restera l’euro, s’il survit. L’euro remplit déjà en partie les fonctions d’une monnaie internationale – commerce international, libellé des prêts bancaires internationaux et des actifs financiers, transactions sur le marché des changes. Il a pour lui la place de la zone euro dans les échanges mondiaux mais contre lui la fragmentation politique qui se manifeste aujourd’hui dans une crise des dettes souveraines. L’intégration politique serait un moyen ambitieux mais efficace de traiter cette crise qui nous ronge depuis deux ans. Si les Européens sautent le pas, ce sera pour des raisons internes. Mais ils rendront aussi un service à la communauté internationale en offrant une seconde monnaie internationale aux côtés du dollar. Il ne s’agit pas de remplacer la monnaie américaine comme monnaie-clé du système mais seulement de proposer une source de diversification pour les réserves des investisseurs publics (banques centrales) et privés. L’émulation qui en résulterait entre les deux zones pourrait être stabilisante en limitant le risque que l’une ou l’autre ne s’engage dans une dynamique d’endettement non-soutenable à long terme.
 
Ainsi, si les grands pays émergents venaient à contribuer financièrement à la résolution de la crise européenne, ce ne serait pas par philanthropie. Outre que personne n’a intérêt à voir s’effondrer le marché européen, la zone euro porte en elle un début de solution aux problèmes lancinants du système monétaire international.
 
Cet article a été publié dans Les Echos du 12 janvier 2012
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