Sortie de la Grèce : quel coût pour la zone euro ?
Quelle est l’exposition de la zone euro et en particulier de la France à un défaut grec ? Il est difficile de répondre à cette question car seuls les coûts directs peuvent être évalués et ils ne sont pas tous de même nature.
Par Agnès Bénassy-Quéré, Yves-Emmanuel Bara
Faits & Chiffres du 12 juin 2012
Interrogé en mai dernier sur l’éventualité d’une sortie de la Grèce de la zone euro, le Ministre des finances François Baroin évoquait un coût de 50 milliards d’euros pour la France. Depuis, de nombreuses estimations ont été avancées du coût direct, pour les partenaires de la zone euro, d’une sortie de la Grèce. Elles prennent pour point de départ une évaluation des actifs grecs détenus par le secteur public (Etats membres, Fonds Européen de Stabilisation Financière – FESF, Eurosystème) et le secteur privé (principalement les banques de la zone euro). Si la Grèce venait à réintroduire une monnaie nationale, cette monnaie se déprécierait fortement à court terme (de l’ordre de 50 à 80%). Libellée en euro, la dette extérieure de la Grèce deviendrait encore plus difficile à honorer et on peut s’attendre à un défaut de l’ordre de 50 à 100% du montant dû aux créanciers étrangers.
Depuis le début de la crise, l’exposition de la zone euro au risque grec s’est largement déplacée du secteur privé vers le secteur public, à travers : (1) les deux plans successifs d’aide des Etats-membres (prêts bilatéraux et via le FESF) : environ 160 milliards d’euros ; (2) le programme d’échange de titres (Private Sector Involvement) réalisé en mars 2012, qui a effacé environ 100 milliards de dette détenue par le secteur privé ; et (3) l’exposition croissante de l’Eurosystème, à travers le programme d’achat de titres de la BCE (Securities Markets Programme-SMP) et le système de paiement de la zone euro, lequel s’est substitué aux capitaux privés pour financer le déficit extérieur de la Grèce (environ 100 milliards d’euros de créances). Le Tableau 1 détaille l’exposition du secteur public de la zone euro envers la Grèce, en juin 2012 – environ 300 milliards d’euros, soit 4% du PIB de la zone. Le chiffre est de 63 milliards d’euros pour la France. En supposant une perte de 50% sur ces créances, le coût direct d’une sortie de la Grèce de la zone s’élèverait à 32 milliards d’euros pour la France.
Toutefois, on ne peut en conclure qu’en cas de défection de la Grèce, les contribuables français auraient à débourser 63 milliards d’euros (plus de 1000 euros par habitant). En effet, un tiers de l’exposition publique relève de l’Eurosystème [1]. Il s’agit de créances accumulées par l’Eurosystème sur la Banque de Grèce en contrepartie des paiements réalisés par cette dernière via le système de paiement TARGET2. En temps normal, les paiements sont compensés par des financements privés, via le marché interbancaire. En l’absence de financements interbancaires, la Banque de Grèce accumule une dette dite « TARGET2 » en contrepartie des paiements de gros qu’elle réalise pour le compte des banques commerciales du pays. En cas de défaut grec, il est probable que la banque de Grèce ne rembourserait pas l’intégralité de cette dette auprès de l’Eurosystème. Consolidées au niveau de l’Eurosystème, ces pertes pourraient engloutir tout le capital de la BCE (80 milliards d’euros) ou même davantage. La BCE pourrait alors demander une recapitalisation par les Etats-membres, ce qui répercuterait la perte sur les contribuables européens. Une deuxième solution est de vendre certains actifs de la BCE (en particulier l’or) qui se sont revalorisés durant la crise. Une troisième solution, enfin, serait de fonctionner temporairement avec un capital négatif et de recapitaliser progressivement l’Eurosystème en cessant, pendant quelques années, de reverser aux Etats-membres le profit réalisé par l’Eurosystème. Cette dernière solution revient à répartir le coût budgétaire dans le temps. Elle suppose qu’en cas de besoin, la BCE émette des titres pour financer un éventuel retrait massif, par les banques commerciales, de la liquidité déposée à la banque centrale ; donc qu’elle accepte les conséquences éventuellement inflationnistes d’une création monétaire en phase de reprise économique. Le risque apparaît néanmoins limité dans la mesure où la BCE peut aussi agir sur le taux de réserves obligatoires.
Depuis le début de la crise, l’exposition de la zone euro au risque grec s’est largement déplacée du secteur privé vers le secteur public, à travers : (1) les deux plans successifs d’aide des Etats-membres (prêts bilatéraux et via le FESF) : environ 160 milliards d’euros ; (2) le programme d’échange de titres (Private Sector Involvement) réalisé en mars 2012, qui a effacé environ 100 milliards de dette détenue par le secteur privé ; et (3) l’exposition croissante de l’Eurosystème, à travers le programme d’achat de titres de la BCE (Securities Markets Programme-SMP) et le système de paiement de la zone euro, lequel s’est substitué aux capitaux privés pour financer le déficit extérieur de la Grèce (environ 100 milliards d’euros de créances). Le Tableau 1 détaille l’exposition du secteur public de la zone euro envers la Grèce, en juin 2012 – environ 300 milliards d’euros, soit 4% du PIB de la zone. Le chiffre est de 63 milliards d’euros pour la France. En supposant une perte de 50% sur ces créances, le coût direct d’une sortie de la Grèce de la zone s’élèverait à 32 milliards d’euros pour la France.
Toutefois, on ne peut en conclure qu’en cas de défection de la Grèce, les contribuables français auraient à débourser 63 milliards d’euros (plus de 1000 euros par habitant). En effet, un tiers de l’exposition publique relève de l’Eurosystème [1]. Il s’agit de créances accumulées par l’Eurosystème sur la Banque de Grèce en contrepartie des paiements réalisés par cette dernière via le système de paiement TARGET2. En temps normal, les paiements sont compensés par des financements privés, via le marché interbancaire. En l’absence de financements interbancaires, la Banque de Grèce accumule une dette dite « TARGET2 » en contrepartie des paiements de gros qu’elle réalise pour le compte des banques commerciales du pays. En cas de défaut grec, il est probable que la banque de Grèce ne rembourserait pas l’intégralité de cette dette auprès de l’Eurosystème. Consolidées au niveau de l’Eurosystème, ces pertes pourraient engloutir tout le capital de la BCE (80 milliards d’euros) ou même davantage. La BCE pourrait alors demander une recapitalisation par les Etats-membres, ce qui répercuterait la perte sur les contribuables européens. Une deuxième solution est de vendre certains actifs de la BCE (en particulier l’or) qui se sont revalorisés durant la crise. Une troisième solution, enfin, serait de fonctionner temporairement avec un capital négatif et de recapitaliser progressivement l’Eurosystème en cessant, pendant quelques années, de reverser aux Etats-membres le profit réalisé par l’Eurosystème. Cette dernière solution revient à répartir le coût budgétaire dans le temps. Elle suppose qu’en cas de besoin, la BCE émette des titres pour financer un éventuel retrait massif, par les banques commerciales, de la liquidité déposée à la banque centrale ; donc qu’elle accepte les conséquences éventuellement inflationnistes d’une création monétaire en phase de reprise économique. Le risque apparaît néanmoins limité dans la mesure où la BCE peut aussi agir sur le taux de réserves obligatoires.
Tableau 1 – Exposition des institutions publiques de la zone euro à la Grèce
(valeur faciale, milliards d’euros)
(valeur faciale, milliards d’euros)
Zone euro | France | |
Prêts bilatéraux | 53 | 11 |
FESF | 108 | 23 |
Eurosystème | 143 | 29 |
dont SMP | 40 | 8 |
TARGET2 | 103 | 21 |
Total secteur public | 304 | 63 |
Source : BCE, FESF, juin 2012. Note : les parts de la France dans l’exposition de la zone euro sont calculées en fonction des parts du pays dans le capital de la BCE et du FESF sans la Grèce. Les créances sont exprimées à leur valeur faciale (sauf SMP).
En cas de défaut de la Grèce, il est possible que les banques commerciales du pays se trouvent elles aussi dans l’incapacité de rembourser leurs créanciers. Parmi ces créanciers, on trouve la BCE, laquelle prête aux banques de la zone euro en échange de collatéral (par le système des prises en pension). Une partie de ces refinancements sert justement à permettre aux banques de réaliser leurs paiements via Target 2 (voir schéma ci-dessous). En cas de défaut de paiement de la banque, la BCE saisit le collatéral mais enregistre une perte si ce collatéral s’est dévalorisé. Une autre partie permet aux banques grecques de faire face à leurs engagements vis-à-vis des déposants et autres créanciers locaux. Il y a là une source supplémentaire de perte potentielle pour la BCE. Toutefois, le refinancement des banques grecques est essentiellement passé récemment par le mécanisme de refinancement d’urgence par lequel la Banque de Grèce, non la BCE, prête aux banques commerciales et prend donc le risque.
Figure 1 – Le circuit de paiement et de refinancement des banques au sein de la zone euro
Repo : Repurchase Agreement (prise en pension) ;
ELA : Emergency Liquidity Assistance (refinancement d’urgence).
Au sein du secteur privé, l’exposition des banques européennes à la Grèce fait l’objet d’une attention particulière en raison des risques de déstabilisation du système bancaire européen et de la nécessité qui en découlerait de renflouer des banques avec des fonds publics. Dans leur ensemble, les banques de la zone euro ne détenaient plus, fin 2011, que 69 milliards d’euros d’actifs grecs (publics et privés) , en valeur de marché (tableau 2). Cette exposition s’est encore réduite en mars 2012 avec la restructuration de la dette publique et sa dévalorisation ultérieure sur le marché. Cependant, l’exposition est concentrée dans quatre banques, dont une portugaise et deux chypriotes. Le coût d’un défaut serait difficile à supporter pour Chypre, avec un PIB de seulement 17 milliards d’euros (l’équivalent du Limousin). Il le serait également pour le Portugal pour qui ce choc s’ajouterait à de nombreuses difficultés internes. Dans les deux cas, une aide supplémentaire du FESF serait sans doute nécessaire, avec des pertes potentielles pour les contribuables européens.
Tableau 2 – Exposition des banques de la zone euro à l’économie grecque (milliards d’euros)
Zone euro | France | |
Banques | 69 | 34 |
dont top 4* | 51 | 17 |
Total secteur privé | 107 | 35 |
* Crédit Agricole, Bank of Cyprus, Marfin Popular, BCP.
Source : BCE, Banque des règlements internationaux, EBA, décembre 2011.
Source : BCE, Banque des règlements internationaux, EBA, décembre 2011.
S’ils peuvent paraître considérables, ces coûts directs ne sont qu’une part des coûts potentiels liés à une sortie de la Grèce de la zone euro. Les coûts indirects, liés notamment à une contagion à d’autre pays via la fuite des dépôts et des capitaux et l’élévation des taux d’intérêt, sont potentiellement plus importants encore mais difficiles à évaluer.
[1] On ne tient pas compte ici des créances au titre du SMP, qui sont garanties par le FESF.
Retrouvez plus d'information sur le blog du CEPII. © CEPII, Reproduction strictement interdite. Le blog du CEPII, ISSN: 2270-2571 |
|||
|