Grexit or not Grexit : le dilemme grec
La Grèce se retrouve aujourd'hui dans une situation inextricable. Doit-elle se conformer aux plans imposés par la Troïka ou quitter la zone euro afin de sortir de cette impasse ? Les élections du 17 juin devraient en décider.
Par Sophie Piton, Yves-Emmanuel Bara
Billet du 13 juin 2012
Face aux différentes crises grecques (crise souveraine, bancaire et de compétitivité), les réformes préconisées par la Troïka (FMI, BCE et Commission européenne) n’obtiennent pas les résultats escomptés. L’économie grecque voit sa situation se dégrader malgré sa mise sous tutelle dès 2010. 2011 marque ainsi la quatrième année d’une récession qui a d’ores et déjà réduit le PIB grec de 14 %. Malgré les efforts du pays, le déficit public demeure élevé (9,3% du PIB en 2011), la dette publique atteint des sommets (165% du PIB en 2011) et les gains de compétitivité sont encore timides. Le CEPII estime ainsi qu’en 2011, le taux de change effectif réel restait surévalué d’environ 35% [1]. En restant dans l’euro, la Grèce devrait donc baisser ses prix de 35% ou améliorer dans les mêmes proportions sa productivité pour redevenir compétitive face à ses partenaires commerciaux. Néanmoins, une autre option est aujourd’hui à envisager : une sortie de la zone euro qui permettrait de dévaluer la monnaie de 35%, évitant ainsi le long et douloureux ajustement par la dévaluation interne.
Le plan d’ajustement préconisé par la Troïka jugé insuffisant
Le processus de « dévaluation interne » préconisé par la Troïka vise à obtenir, au sein de l’union monétaire, le même résultat qu’une dévaluation classique. Elle permet de gagner en compétitivité et de rétablir l’équilibre extérieur par la baisse des coûts salariaux unitaires (salaires corrigés par la productivité). Cette baisse permettra de relancer les exportations par la baisse des prix induite, mais aussi de réduire les importations par appauvrissement du pays [2]. La Troïka fixe pour objectif une baisse de 15% du coût salarial unitaire d’ici les quatre prochaines années. Cela nécessitera soit une baisse de 15% du coût horaire de la main d’œuvre, soit une augmentation de 15% de la productivité, soit un effort conjugué dans les deux directions. Le plan fixe aussi des objectifs de flexibilisation du marché du travail, ainsi que de libéralisation de nombreux secteurs.
Ces mesures sont très coûteuses pour les finances publiques à court terme : l’appauvrissement du pays entraîne une baisse mécanique des revenus de l’impôt et une hausse des dépenses liées aux aides sociales. La Grèce dépendra donc très largement des aides internationales avant de retrouver le chemin de la croissance. Selon les estimations du FMI, cette dernière devrait se rétablir dès 2014 à un niveau de 2,5%. Cependant, les prévisions publiées par le Fonds ces dernières années sous-estimaient le temps d’ajustement nécessaire : en 2010 le FMI prévoyait une récession ne dépassant pas 2,6% en 2011 (alors qu’elle a atteint 6,9% cette année-là) et un retour à la croissance dès 2012.
Finalement, le FMI lui-même semble pessimiste quant au succès de telles mesures et explique que la Grèce ne rassemble pas les conditions nécessaires au succès d’une dévaluation interne [3]. Le processus d’ajustement sera d’autant plus long et douloureux pour la Grèce que la rigidité des prix et des salaires y est forte. Enfin, l’environnement extérieur est défavorable à un tel ajustement : les concepteurs du plan d’ajustement misent sur une relance par les exportations qui semble hasardeuse alors que les principaux partenaires commerciaux de la Grèce sont européens et que l’économie grecque est spécialisée dans des secteurs en berne (tourisme, transport maritime). La sortie de la zone euro paraît alors une alternative envisageable pour le pays.
Le retour à la drachme : des avantages certains mais des coûts non négligeables
L’intérêt principal pour la Grèce de sortir de la zone euro serait de retrouver le contrôle de sa monnaie et de pouvoir dévaluer la nouvelle drachme. Ainsi, une dévaluation proche de 40% de sa monnaie lui permettrait de retrouver une compétitivité-prix de manière instantanée, contrairement à la dévaluation interne qui est un processus lent [4]. Cependant, comme pour une dévaluation interne, cet ajustement ne pourra pas seulement s’effectuer par une relance des exportations. La chute du déficit extérieur passera principalement par la diminution des importations provoquée par l’appauvrissement relatif créé par la dévaluation. En outre, la dévaluation pourrait entraîner un épisode d’hyperinflation dévastateur. L’expérience argentine est à cet égard plutôt rassurante : l’inflation galopante qu’elle a connue en conséquence de sa propre dévaluation en 2002 a principalement concerné les produits exportés, beaucoup moins les produits destinés au marché intérieur. Néanmoins, l’hypothèse d’une hyperinflation ne peut être écartée, notamment en cas de monétisation générale des dettes publiques et bancaires.
La question essentielle est finalement moins la dévaluation que la crédibilité de la nouvelle monnaie. En effet, les agents grecs sont habitués à l’euro, monnaie forte et dont la valeur varie peu, et disposent de grandes quantités d’actifs libellés en euros (par exemple du Bund allemand). Ils pourraient ainsi favoriser les échanges en euros au détriment de la drachme et l’on assisterait alors à l’émergence d’une économie « euroïsée », comparable aux économies « dollarisées » du Panama ou de l’Equateur. La Grèce perdrait alors le bénéfice d’avoir recouvré l’indépendance monétaire. Ainsi, si la dévaluation représente un moyen rapide et efficace de redevenir compétitif, elle présente aussi des risques importants si elle n’était pas organisée.
Outre le gain rapide en termes de compétitivité, le second avantage d’une sortie de la zone euro résiderait dans le défaut sur la dette publique qui l’accompagnerait. L’endettement de l’Etat grec représentera fin 2012 162% du PIB, et ce malgré le défaut partiel réalisé en mars dernier. Après une dévaluation, le montant de la dette grecque – libellée en euro – deviendrait insoutenable pour l’Etat qui n’aurait pas d’autre solution que de faire défaut (pour une dévaluation de 40%, la dette augmenterait mécaniquement de 67% du PIB). Une telle initiative paraîtrait d’autant plus rationnelle que le solde primaire du gouvernement grec s’approche de l’équilibre et que la dette publique est principalement détenue à l’étranger. Cependant, un tel défaut pourrait conduire les marchés internationaux à refuser de prêter à la Grèce, ce qui la contraindrait à financer entièrement son économie et en particulier à ne pas avoir de déficit extérieur. Les exemples de défauts souverains sont certes encourageants : il semble que les prêteurs ne « punissent » pas durablement un Etat ayant fait défaut si ce défaut est considéré comme inévitable, ce qui semble être le cas en Grèce aujourd’hui alors que la dette publique atteint des sommets et que les perspectives de croissance sont maigres. Il ne faut cependant pas négliger le risque social associé à un arrêt même temporaire des financements extérieurs et aux troubles liés au blocage des dépôts dans les banques du pays en défaut.
La sortie de la zone euro serait donc pour la Grèce une thérapie de choc, rapide mais destructrice et appauvrissante à court terme. L’enjeu serait de réaliser cette sortie de manière relativement ordonnée de manière à faire rapidement accepter la nouvelle monnaie tout en gérant l’inévitable crise bancaire. Pour les partenaires de la zone euro, le choc pourrait être encore plus dévastateur par le choc de confiance qu’il induirait, notamment en l’absence de progrès sur le terrain de l’union bancaire et de la mutualisation des coûts de la crise.
Le plan d’ajustement préconisé par la Troïka jugé insuffisant
Le processus de « dévaluation interne » préconisé par la Troïka vise à obtenir, au sein de l’union monétaire, le même résultat qu’une dévaluation classique. Elle permet de gagner en compétitivité et de rétablir l’équilibre extérieur par la baisse des coûts salariaux unitaires (salaires corrigés par la productivité). Cette baisse permettra de relancer les exportations par la baisse des prix induite, mais aussi de réduire les importations par appauvrissement du pays [2]. La Troïka fixe pour objectif une baisse de 15% du coût salarial unitaire d’ici les quatre prochaines années. Cela nécessitera soit une baisse de 15% du coût horaire de la main d’œuvre, soit une augmentation de 15% de la productivité, soit un effort conjugué dans les deux directions. Le plan fixe aussi des objectifs de flexibilisation du marché du travail, ainsi que de libéralisation de nombreux secteurs.
Ces mesures sont très coûteuses pour les finances publiques à court terme : l’appauvrissement du pays entraîne une baisse mécanique des revenus de l’impôt et une hausse des dépenses liées aux aides sociales. La Grèce dépendra donc très largement des aides internationales avant de retrouver le chemin de la croissance. Selon les estimations du FMI, cette dernière devrait se rétablir dès 2014 à un niveau de 2,5%. Cependant, les prévisions publiées par le Fonds ces dernières années sous-estimaient le temps d’ajustement nécessaire : en 2010 le FMI prévoyait une récession ne dépassant pas 2,6% en 2011 (alors qu’elle a atteint 6,9% cette année-là) et un retour à la croissance dès 2012.
Finalement, le FMI lui-même semble pessimiste quant au succès de telles mesures et explique que la Grèce ne rassemble pas les conditions nécessaires au succès d’une dévaluation interne [3]. Le processus d’ajustement sera d’autant plus long et douloureux pour la Grèce que la rigidité des prix et des salaires y est forte. Enfin, l’environnement extérieur est défavorable à un tel ajustement : les concepteurs du plan d’ajustement misent sur une relance par les exportations qui semble hasardeuse alors que les principaux partenaires commerciaux de la Grèce sont européens et que l’économie grecque est spécialisée dans des secteurs en berne (tourisme, transport maritime). La sortie de la zone euro paraît alors une alternative envisageable pour le pays.
Le retour à la drachme : des avantages certains mais des coûts non négligeables
L’intérêt principal pour la Grèce de sortir de la zone euro serait de retrouver le contrôle de sa monnaie et de pouvoir dévaluer la nouvelle drachme. Ainsi, une dévaluation proche de 40% de sa monnaie lui permettrait de retrouver une compétitivité-prix de manière instantanée, contrairement à la dévaluation interne qui est un processus lent [4]. Cependant, comme pour une dévaluation interne, cet ajustement ne pourra pas seulement s’effectuer par une relance des exportations. La chute du déficit extérieur passera principalement par la diminution des importations provoquée par l’appauvrissement relatif créé par la dévaluation. En outre, la dévaluation pourrait entraîner un épisode d’hyperinflation dévastateur. L’expérience argentine est à cet égard plutôt rassurante : l’inflation galopante qu’elle a connue en conséquence de sa propre dévaluation en 2002 a principalement concerné les produits exportés, beaucoup moins les produits destinés au marché intérieur. Néanmoins, l’hypothèse d’une hyperinflation ne peut être écartée, notamment en cas de monétisation générale des dettes publiques et bancaires.
La question essentielle est finalement moins la dévaluation que la crédibilité de la nouvelle monnaie. En effet, les agents grecs sont habitués à l’euro, monnaie forte et dont la valeur varie peu, et disposent de grandes quantités d’actifs libellés en euros (par exemple du Bund allemand). Ils pourraient ainsi favoriser les échanges en euros au détriment de la drachme et l’on assisterait alors à l’émergence d’une économie « euroïsée », comparable aux économies « dollarisées » du Panama ou de l’Equateur. La Grèce perdrait alors le bénéfice d’avoir recouvré l’indépendance monétaire. Ainsi, si la dévaluation représente un moyen rapide et efficace de redevenir compétitif, elle présente aussi des risques importants si elle n’était pas organisée.
Outre le gain rapide en termes de compétitivité, le second avantage d’une sortie de la zone euro résiderait dans le défaut sur la dette publique qui l’accompagnerait. L’endettement de l’Etat grec représentera fin 2012 162% du PIB, et ce malgré le défaut partiel réalisé en mars dernier. Après une dévaluation, le montant de la dette grecque – libellée en euro – deviendrait insoutenable pour l’Etat qui n’aurait pas d’autre solution que de faire défaut (pour une dévaluation de 40%, la dette augmenterait mécaniquement de 67% du PIB). Une telle initiative paraîtrait d’autant plus rationnelle que le solde primaire du gouvernement grec s’approche de l’équilibre et que la dette publique est principalement détenue à l’étranger. Cependant, un tel défaut pourrait conduire les marchés internationaux à refuser de prêter à la Grèce, ce qui la contraindrait à financer entièrement son économie et en particulier à ne pas avoir de déficit extérieur. Les exemples de défauts souverains sont certes encourageants : il semble que les prêteurs ne « punissent » pas durablement un Etat ayant fait défaut si ce défaut est considéré comme inévitable, ce qui semble être le cas en Grèce aujourd’hui alors que la dette publique atteint des sommets et que les perspectives de croissance sont maigres. Il ne faut cependant pas négliger le risque social associé à un arrêt même temporaire des financements extérieurs et aux troubles liés au blocage des dépôts dans les banques du pays en défaut.
La sortie de la zone euro serait donc pour la Grèce une thérapie de choc, rapide mais destructrice et appauvrissante à court terme. L’enjeu serait de réaliser cette sortie de manière relativement ordonnée de manière à faire rapidement accepter la nouvelle monnaie tout en gérant l’inévitable crise bancaire. Pour les partenaires de la zone euro, le choc pourrait être encore plus dévastateur par le choc de confiance qu’il induirait, notamment en l’absence de progrès sur le terrain de l’union bancaire et de la mutualisation des coûts de la crise.
[1] Benjamin Carton et Karine Hervé, « Désajustement des taux de change effectifs réels dans la zone euro », La Lettre du CEPII n°319, avril 2012.
[2] Ce canal est celui par lequel l’ajustement aura principalement lieu, comme le reconnaît le FMI: “domestic consumption is expected to be suppressed for some time (this is the main channel through which the Greek economy needs to adjust)”, IMF, [2012], IMF Country Report No. 12/57, Mars, p.15.
[3] “Most of the conditions for success [of internal devaluation] are missing in Greece.”, IMF Country Report No. 12/57, mars 2012, p.49.
[4] A titre indicatif, il a fallu deux années à la Lettonie pour ajuster ses prix relatifs de 6% seulement, malgré un contexte extérieur favorable.
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