Aggiornamento dans les politiques monétaires ?
Les banques centrales se préoccupent de la sortie des politiques monétaires non conventionnelles et des conséquences éventuelles sur l’inflation et sur la stabilité financière. Mais il serait naïf de croire qu’elles vont revenir, sans autre forme de procès, au ciblage de l’inflation.
Par Michel Aglietta
Billet du 28 février 2013
La sortie des politiques monétaires de très bas taux d’intérêt couplés à des achats systématiques de titres publics longs suscite l’inquiétude par ses conséquences éventuelles sur l’inflation et sur la stabilité financière si les taux longs remontent trop brutalement. C’est pourquoi les banques centrales se préoccupent des moyens de gérer la transition. Mais au-delà il serait naïf de croire que les politiques monétaires vont revenir sans autre forme de procès au ciblage de l’inflation que n’a pas conjuré la crise financière.
Depuis l’automne 2008 les banques centrales ont déversé des trillions de dollars de liquidités en refinançant les banques sans limites à des taux d’intérêt proches de zéro et en achetant de grandes quantités de titres publics. Cependant la crise est si profonde, la résorption de l’excès de dettes privées et publiques est si difficile que la liquidité injectée reste largement oisive, aussi bien dans les banques que hors des banques dans les grandes entreprises, les grands investisseurs financiers et les « banques de l’ombre » (shadow banking). Il n’y a qu’aux États-Unis que la convalescence de l’économie se poursuit, tout en étant encore loin des conditions posées par la Fed pour lever la perfusion de liquidité nécessaire pour tenir la courbe des taux d’intérêt la plus plate possible.
La plupart des commentateurs reconnaissent le bien-fondé de l’action des banques centrales, qui mobilisent des canaux de transmission insolites de la politique monétaire. Toutefois leur poursuite pour des performances jugées médiocres par des observateurs qui ne les confrontent pas aux alternatives contrefactuelles nourrit les critiques. La première est l’inflation qui serait au coin du bois à cause de l’énorme surplomb de liquidité qui serait attesté par le gonflement du bilan des banques centrales.
C’est une erreur d’analyse. Le gonflement de la monnaie centrale est la conséquence de la destruction d’autres composantes de la masse monétaire qui sont la contrepartie du désendettement du secteur privé. Si les banques centrales ne s’étaient pas substituées à un marché monétaire de gros paralysé, il y aurait eu à la fois une déflation sévère et des chaînes de faillites bancaires. En outre, au taux d’intérêt zéro, le coût d’opportunité à détenir la monnaie est nul. C’est la trappe à liquidité qui signifie que la demande de monnaie n’est pas définie. Il ne peut donc pas y avoir d’excès de liquidité tant que l’économie ne se redresse pas assez pour permettre l’exit. C’est seulement si la transition vers des taux d’intérêt monétaires positifs n’est pas ordonnée que l’inflation peut devenir un risque.
Plus pernicieux est le risque d’instabilité financière dû à l’accumulation de cash hors des banques qui ne s’investit pas dans le financement d’activités productives. Les grandes entreprises ont émis des montants énormes d’obligations pour faire de l’optimisation fiscale et pour payer des superdividendes et racheter leurs actions, donc pour provoquer une hausse boursière sans rapport avec aucun fondamental. Une autre partie du cash aux mains des fonds de placement, des hedge funds et des riches capitalistes suscite de la turbulence financière, alors que les économies sont en récession ou au mieux en reprise faible. Il semble que ré-émergent des comportements spéculatifs : achats d’obligations à haut rendement (junk bonds), prêts sous les standards aux entreprises (analogues aux crédits subprimes pour les ménages), achats de matières premières et actions des pays émergents via les ETFs (Exchange Traded Funds). L’opacité règne comme à l’époque des subprimes sur la manière dont est financé l’achat de ces titres, donc sur les chaînes de contreparties et leur vulnérabilité.
Comment ce réseau de contreparties résistera-t-il à la hausse des taux courts lorsque sera venu le temps de l’exit des politiques monétaires ultra accommodantes ? Verra-t-on la reprise tant attendue étouffée par de nouveaux sinistres financiers à cause d’une régulation financière qui n’a pas tiré toutes les leçons de la crise précédente ? En tout cas, le retour de l’effervescence dans les marchés d’actifs rappelle, si besoin était, que la politique monétaire ne peut dorénavant ignorer la poursuite de la stabilité financière.
Une politique monétaire pluri-objectifs et pluri-instruments
Les études accomplies sous l’égide de la Banque des Règlements Internationaux (BRI) avant et pendant la crise financière aboutissent à des conclusions qu’il est bon de méditer. La stabilité des prix n’est pas une condition suffisante de stabilité macroéconomique. En présence de dynamiques financières déséquilibrantes, une norme d’inflation définie rigidement répercute les déséquilibres financiers sur l’économie réelle. Loin d’être amélioré par la stabilité des prix, le bien-être des populations est détérioré par les fluctuations de l’activité économique et de l’emploi. La politique monétaire n’est donc pas séparable de la régulation prudentielle. C’est pourquoi la supervision microéconomique des banques ne suffit pas.
Les actifs financiers sont loin d’être des substituts parfaits. Les comportements stratégiques combinés au mimétisme peuvent modifier l’appétence relative de telle ou telle catégorie d’actifs et attirer le financement dans un processus autoentretenu. Il faut donc disposer d’instruments quantitatifs tels que des réserves obligatoires ou des exigences en capital modulables qui puissent endiguer des expansions divergentes du crédit dans des marchés spécifiques avant qu’elles ne contaminent l’ensemble du système financier. Ainsi la Banque Nationale Suisse va appliquer une exigence en capital supplémentaire sur les prêts immobiliers. La Banque Populaire de Chine n’a pas hésité à monter en cascade les taux de réserves obligatoires et à restreindre directement le crédit pour stopper la bulle immobilière.
Quels sont donc les défis qui attendent les banques centrales ? D’abord celui de l’exit. Car c’est à ce moment que se manifestera un excès de liquidité à résorber. La difficulté consistera à piloter une montée graduelle de la pente de la courbe des taux avec le relèvement du PIB nominal. L’instrument adéquat est la vente des titres longs qui se sont accumulés dans leurs bilans. Mais le dosage est très délicat car l’intensité de la réaction des acteurs financiers au retour de risques que la banque centrale avait absorbés par ses achats de titres publics est inconnue. Il faut donc des instruments annexes pour parer à toute éventualité : réserves obligatoires flexibles, rémunérations variables des réserves totales des banques, émission de certificats de dettes non négociables et réservées aux banques, provisions en capital supplémentaires.
Ensuite le régime monétaire d’après-crise pose une question de doctrine monétaire et de statut des banques centrales. Le cycle financier est un phénomène macroéconomique. C’est pourquoi les banques centrales doivent avoir un double mandat de stabilité des prix et de stabilité financière. Le second mandat n’est d’ailleurs qu’un retour à leur origine que la croyance dans l’auto-régulation de la finance avait conduit à abandonner à partir des années 1980. Parce que le cycle financier interagit avec l’économie réelle, ces mandats ne peuvent pas être séparés. Il s’ensuit que la norme d’inflation doit être contracyclique par rapport à la dynamique financière : plus stricte en phase d’expansion du crédit, plus lâche en phase de désendettement. La manière de conduire la politique monétaire pour prendre en compte cette interaction pourrait être une cible de PIB nominal. Corrélativement, la dynamique financière doit être surveillée par des instruments de mesure appropriés tirés des marchés et par des tests de stress réguliers organisés par les banques centrales.
Quant à la question de l’indépendance, elle se pose nécessairement puisque la multiplicité d’objectifs implique un dialogue entre les instances responsables de la politique monétaire, de la politique budgétaire et de la régulation prudentielle. La banque centrale doit certes être indépendante dans la conduite de la politique monétaire sous son mandat. Mais elle doit impérativement rendre des comptes sur ses performances devant l’institution politique démocratiquement élue qui est garante de son statut. Car la finalité de son action ne peut être que de participer à l’amélioration du bien-être de la population.
Depuis l’automne 2008 les banques centrales ont déversé des trillions de dollars de liquidités en refinançant les banques sans limites à des taux d’intérêt proches de zéro et en achetant de grandes quantités de titres publics. Cependant la crise est si profonde, la résorption de l’excès de dettes privées et publiques est si difficile que la liquidité injectée reste largement oisive, aussi bien dans les banques que hors des banques dans les grandes entreprises, les grands investisseurs financiers et les « banques de l’ombre » (shadow banking). Il n’y a qu’aux États-Unis que la convalescence de l’économie se poursuit, tout en étant encore loin des conditions posées par la Fed pour lever la perfusion de liquidité nécessaire pour tenir la courbe des taux d’intérêt la plus plate possible.
La plupart des commentateurs reconnaissent le bien-fondé de l’action des banques centrales, qui mobilisent des canaux de transmission insolites de la politique monétaire. Toutefois leur poursuite pour des performances jugées médiocres par des observateurs qui ne les confrontent pas aux alternatives contrefactuelles nourrit les critiques. La première est l’inflation qui serait au coin du bois à cause de l’énorme surplomb de liquidité qui serait attesté par le gonflement du bilan des banques centrales.
C’est une erreur d’analyse. Le gonflement de la monnaie centrale est la conséquence de la destruction d’autres composantes de la masse monétaire qui sont la contrepartie du désendettement du secteur privé. Si les banques centrales ne s’étaient pas substituées à un marché monétaire de gros paralysé, il y aurait eu à la fois une déflation sévère et des chaînes de faillites bancaires. En outre, au taux d’intérêt zéro, le coût d’opportunité à détenir la monnaie est nul. C’est la trappe à liquidité qui signifie que la demande de monnaie n’est pas définie. Il ne peut donc pas y avoir d’excès de liquidité tant que l’économie ne se redresse pas assez pour permettre l’exit. C’est seulement si la transition vers des taux d’intérêt monétaires positifs n’est pas ordonnée que l’inflation peut devenir un risque.
Plus pernicieux est le risque d’instabilité financière dû à l’accumulation de cash hors des banques qui ne s’investit pas dans le financement d’activités productives. Les grandes entreprises ont émis des montants énormes d’obligations pour faire de l’optimisation fiscale et pour payer des superdividendes et racheter leurs actions, donc pour provoquer une hausse boursière sans rapport avec aucun fondamental. Une autre partie du cash aux mains des fonds de placement, des hedge funds et des riches capitalistes suscite de la turbulence financière, alors que les économies sont en récession ou au mieux en reprise faible. Il semble que ré-émergent des comportements spéculatifs : achats d’obligations à haut rendement (junk bonds), prêts sous les standards aux entreprises (analogues aux crédits subprimes pour les ménages), achats de matières premières et actions des pays émergents via les ETFs (Exchange Traded Funds). L’opacité règne comme à l’époque des subprimes sur la manière dont est financé l’achat de ces titres, donc sur les chaînes de contreparties et leur vulnérabilité.
Comment ce réseau de contreparties résistera-t-il à la hausse des taux courts lorsque sera venu le temps de l’exit des politiques monétaires ultra accommodantes ? Verra-t-on la reprise tant attendue étouffée par de nouveaux sinistres financiers à cause d’une régulation financière qui n’a pas tiré toutes les leçons de la crise précédente ? En tout cas, le retour de l’effervescence dans les marchés d’actifs rappelle, si besoin était, que la politique monétaire ne peut dorénavant ignorer la poursuite de la stabilité financière.
Une politique monétaire pluri-objectifs et pluri-instruments
Les études accomplies sous l’égide de la Banque des Règlements Internationaux (BRI) avant et pendant la crise financière aboutissent à des conclusions qu’il est bon de méditer. La stabilité des prix n’est pas une condition suffisante de stabilité macroéconomique. En présence de dynamiques financières déséquilibrantes, une norme d’inflation définie rigidement répercute les déséquilibres financiers sur l’économie réelle. Loin d’être amélioré par la stabilité des prix, le bien-être des populations est détérioré par les fluctuations de l’activité économique et de l’emploi. La politique monétaire n’est donc pas séparable de la régulation prudentielle. C’est pourquoi la supervision microéconomique des banques ne suffit pas.
Les actifs financiers sont loin d’être des substituts parfaits. Les comportements stratégiques combinés au mimétisme peuvent modifier l’appétence relative de telle ou telle catégorie d’actifs et attirer le financement dans un processus autoentretenu. Il faut donc disposer d’instruments quantitatifs tels que des réserves obligatoires ou des exigences en capital modulables qui puissent endiguer des expansions divergentes du crédit dans des marchés spécifiques avant qu’elles ne contaminent l’ensemble du système financier. Ainsi la Banque Nationale Suisse va appliquer une exigence en capital supplémentaire sur les prêts immobiliers. La Banque Populaire de Chine n’a pas hésité à monter en cascade les taux de réserves obligatoires et à restreindre directement le crédit pour stopper la bulle immobilière.
Quels sont donc les défis qui attendent les banques centrales ? D’abord celui de l’exit. Car c’est à ce moment que se manifestera un excès de liquidité à résorber. La difficulté consistera à piloter une montée graduelle de la pente de la courbe des taux avec le relèvement du PIB nominal. L’instrument adéquat est la vente des titres longs qui se sont accumulés dans leurs bilans. Mais le dosage est très délicat car l’intensité de la réaction des acteurs financiers au retour de risques que la banque centrale avait absorbés par ses achats de titres publics est inconnue. Il faut donc des instruments annexes pour parer à toute éventualité : réserves obligatoires flexibles, rémunérations variables des réserves totales des banques, émission de certificats de dettes non négociables et réservées aux banques, provisions en capital supplémentaires.
Ensuite le régime monétaire d’après-crise pose une question de doctrine monétaire et de statut des banques centrales. Le cycle financier est un phénomène macroéconomique. C’est pourquoi les banques centrales doivent avoir un double mandat de stabilité des prix et de stabilité financière. Le second mandat n’est d’ailleurs qu’un retour à leur origine que la croyance dans l’auto-régulation de la finance avait conduit à abandonner à partir des années 1980. Parce que le cycle financier interagit avec l’économie réelle, ces mandats ne peuvent pas être séparés. Il s’ensuit que la norme d’inflation doit être contracyclique par rapport à la dynamique financière : plus stricte en phase d’expansion du crédit, plus lâche en phase de désendettement. La manière de conduire la politique monétaire pour prendre en compte cette interaction pourrait être une cible de PIB nominal. Corrélativement, la dynamique financière doit être surveillée par des instruments de mesure appropriés tirés des marchés et par des tests de stress réguliers organisés par les banques centrales.
Quant à la question de l’indépendance, elle se pose nécessairement puisque la multiplicité d’objectifs implique un dialogue entre les instances responsables de la politique monétaire, de la politique budgétaire et de la régulation prudentielle. La banque centrale doit certes être indépendante dans la conduite de la politique monétaire sous son mandat. Mais elle doit impérativement rendre des comptes sur ses performances devant l’institution politique démocratiquement élue qui est garante de son statut. Car la finalité de son action ne peut être que de participer à l’amélioration du bien-être de la population.
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