L’industrie française produit de plus en plus de services
« Everybody is in services » : Theodore Levitt pointait, dès 1972, l’imbrication des activités de production de services et de biens. Une récente Lettre du CEPII permet d’en mesurer l’ampleur et fait état d’une désindustrialisation de l’économie française plus profonde qu’il n’y parait.
Par Matthieu Crozet, Emmanuel Milet
Billet du 3 mars 2014
L’économie française se désindustrialise à un rythme rapide. Cette évolution du tissu productif est plus profonde qu’il n’y paraît : au-delà d’un basculement de la production et des emplois depuis les secteurs industriels vers les secteurs de services, les activités des entreprises deviennent plus complexes et plus diversifiées et tendent à effacer progressivement la frontière entre industrie et services.
Les entreprises industrielles ont, nécessairement, une production de services pour compte propre : des activités de comptabilité, R&D, marketing, logistique… Pour autant, les travailleurs de l’industrie employés à ces tâches de services participent effectivement à une production finale de biens et peuvent légitimement être comptabilisés comme des travailleurs industriels. D’ailleurs, une partie non-négligeable des pertes d’emploi dans les secteurs industriels résulte en réalité de l’externalisation de certaines de ces activités de services, et ne traduit donc pas un véritable processus de désindustrialisation.
Mais de nombreuses entreprises industrielles ont également une production de services pour compte d’autrui, c’est-à-dire pour les proposer en tant que tels à des clients extérieurs. Les exemples ne manquent pas : un producteur de fenêtres propose leur installation, un producteur de machines se charge de leur maintenance, un producteur de matériel électronique offre des « contenus » (musique, films, jeux vidéo), etc. Cela peut aussi résulter d’une externalisation des segments les plus « industriels » de la chaîne de valeur, et d’un recentrage sur le développement et la commercialisation. L’entreprise produit alors des services, vendus à des sous-traitants en charge de la production matérielle. C’est le modèle de la société « sans usine » (« fabless »).
Ces évolutions sont loin d’être négligeables et modifient sensiblement l’évaluation statistique du processus de désindustrialisation. La Lettre du CEPII permet de donner une nouvelle mesure de la désindustrialisation en s’appuyant sur ce que produisent effectivement les entreprises et non sur leur classification sectorielle. Elle utilise pour cela les données de bilan des entreprises françaises. Il ressort que 83 % des entreprises industrielles de l’échantillon ont une production de services pour autrui et que près du tiers produisent, en réalité, plus de services que de biens. Le secteur industriel le moins intense en services est l’agroalimentaire, où les services ne représentent que 5 % de la production vendue. À l’opposé, l’intensité en services dépasse 20 % dans la fabrication de métaux ou la fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques.
Entre 1997 et 2007, cette tendance à produire des services s’est renforcée, à un rythme modéré, mais régulier : en moyenne, sur l’ensemble de la période, la part des services dans les ventes totales de chaque entreprise industrielle a progressé de 1,7 point de pourcentage sur l’ensemble de la période. Le graphique 1 permet de prendre l’ampleur de ce mouvement de désindustrialisation en estimant la part des emplois véritablement dédiés à la production de biens manufacturés. Elle est obtenue en multipliant, pour chaque année et chaque entreprise, le nombre total d’employés par la part des biens dans la production vendue. Cette mesure prend également en considération le fait que beaucoup d’entreprises enregistrées dans les secteurs de services ont une production de biens pour autrui. Il se trouve en effet que, de la même façon que les entreprises manufacturières produisent de plus en plus de services, les entreprises de services s’industrialisent (légèrement) en augmentant leur production de biens pour compte d’autrui. Au total, dans notre échantillon, la part de ces emplois dédiés à la production de biens est passée de 35,1 % à 25,6 % de l’emploi total.
Au-delà de la question de la pertinence des classifications sectorielles et de leur influence sur les représentations statistiques, le fait qu’une proportion large et croissante d’entreprises produisent à la fois des biens et des services, et combinent donc plusieurs fonctions de production, suscite des interrogations sur les spécificités de l’industrie. L’opposition traditionnelle industrie/services apparaît singulièrement brouillée. Ceci devrait amener à réviser les grilles d’analyse de la désindustrialisation et les fondements des politiques industrielles.
Les entreprises industrielles ont, nécessairement, une production de services pour compte propre : des activités de comptabilité, R&D, marketing, logistique… Pour autant, les travailleurs de l’industrie employés à ces tâches de services participent effectivement à une production finale de biens et peuvent légitimement être comptabilisés comme des travailleurs industriels. D’ailleurs, une partie non-négligeable des pertes d’emploi dans les secteurs industriels résulte en réalité de l’externalisation de certaines de ces activités de services, et ne traduit donc pas un véritable processus de désindustrialisation.
Mais de nombreuses entreprises industrielles ont également une production de services pour compte d’autrui, c’est-à-dire pour les proposer en tant que tels à des clients extérieurs. Les exemples ne manquent pas : un producteur de fenêtres propose leur installation, un producteur de machines se charge de leur maintenance, un producteur de matériel électronique offre des « contenus » (musique, films, jeux vidéo), etc. Cela peut aussi résulter d’une externalisation des segments les plus « industriels » de la chaîne de valeur, et d’un recentrage sur le développement et la commercialisation. L’entreprise produit alors des services, vendus à des sous-traitants en charge de la production matérielle. C’est le modèle de la société « sans usine » (« fabless »).
Ces évolutions sont loin d’être négligeables et modifient sensiblement l’évaluation statistique du processus de désindustrialisation. La Lettre du CEPII permet de donner une nouvelle mesure de la désindustrialisation en s’appuyant sur ce que produisent effectivement les entreprises et non sur leur classification sectorielle. Elle utilise pour cela les données de bilan des entreprises françaises. Il ressort que 83 % des entreprises industrielles de l’échantillon ont une production de services pour autrui et que près du tiers produisent, en réalité, plus de services que de biens. Le secteur industriel le moins intense en services est l’agroalimentaire, où les services ne représentent que 5 % de la production vendue. À l’opposé, l’intensité en services dépasse 20 % dans la fabrication de métaux ou la fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques.
Entre 1997 et 2007, cette tendance à produire des services s’est renforcée, à un rythme modéré, mais régulier : en moyenne, sur l’ensemble de la période, la part des services dans les ventes totales de chaque entreprise industrielle a progressé de 1,7 point de pourcentage sur l’ensemble de la période. Le graphique 1 permet de prendre l’ampleur de ce mouvement de désindustrialisation en estimant la part des emplois véritablement dédiés à la production de biens manufacturés. Elle est obtenue en multipliant, pour chaque année et chaque entreprise, le nombre total d’employés par la part des biens dans la production vendue. Cette mesure prend également en considération le fait que beaucoup d’entreprises enregistrées dans les secteurs de services ont une production de biens pour autrui. Il se trouve en effet que, de la même façon que les entreprises manufacturières produisent de plus en plus de services, les entreprises de services s’industrialisent (légèrement) en augmentant leur production de biens pour compte d’autrui. Au total, dans notre échantillon, la part de ces emplois dédiés à la production de biens est passée de 35,1 % à 25,6 % de l’emploi total.
Au-delà de la question de la pertinence des classifications sectorielles et de leur influence sur les représentations statistiques, le fait qu’une proportion large et croissante d’entreprises produisent à la fois des biens et des services, et combinent donc plusieurs fonctions de production, suscite des interrogations sur les spécificités de l’industrie. L’opposition traditionnelle industrie/services apparaît singulièrement brouillée. Ceci devrait amener à réviser les grilles d’analyse de la désindustrialisation et les fondements des politiques industrielles.
Graphique 1 – Emplois « industriels » (i.e. dédiés à la production de biens) en milliers et en % de l’emploi total dans les entreprises de l’échantillon |
Source : BRN, calculs et estimations des auteurs. |
Crozet, M. et E. Milet (2014) « Vers une industrie moins... industrielle ? », La Lettre du CEPII, n°441, février.
"Everybody is in services" : Tout le monde est dans les services.
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