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Nouvelle Banque de Développement des BRICS : une étape vers la réforme du SMI

La création au sommet des BRICS de la Nouvelle banque de Développement et du Fonds Commun de Réserve de Change est une initiative majeure. Elle révèle l’incapacité des institutions de Bretton Woods à se réformer pour s’accorder aux transformations de l’économie mondiale.
Par Michel Aglietta
 Billet du 20 juillet 2014


En dépit des orientations de réforme adoptées lors de l’assemblée générale du Fonds à Séoul en novembre 2010, la gouvernance internationale n’a fait aucun progrès. La raison immédiate se trouve dans l’obstruction du Congrès des États-Unis qui a refusé obstinément de ratifier la réforme des droits de vote au FMI et le mode de nomination des directeurs du FMI et de la Banque Mondiale (BM). Il s’ensuit que les BRICS (les cinq plus grandes puissances émergentes) totalisent 10,3 % des droits de vote, alors qu’ils pèsent 24,5 % du PIB mondial. La distorsion la plus absurde concerne la Chine : 3,8 % des droits de vote pour 16,1 % du PIB mondial.

En juillet 2014, les dirigeants politiques des BRICS ont décidé de contourner les institutions de Bretton Woods, faute de pouvoir les transformer de l’intérieur. Lors de leur sommet de Fortaleza ils ont décidé le 16 juillet de créer une Nouvelle Banque de Développement, capitalisée pour $100mds à parts égales entre les cinq pays fondateurs, dont le siège sera à Shanghai et dont le premier président sera indien. C’est la première initiative significative de déplacement du pouvoir politico-financier depuis Bretton Woods.

Certes, depuis l’agonie du système de Bretton Woods avec la dévaluation de la livre sterling en novembre 1967, la répudiation unilatérale des règles monétaires par Nixon le 15 août 1971, puis le fait accompli d’un étalon dollar de facto après l’instauration des changes flottants en février 1973, les controverses monétaires n’ont pas manqué. Elles sont inhérentes à la nature du système monétaire international (SMI) sous hégémonie américaine. La politique monétaire américaine est totalement unilatérale ; elle ne s’occupe que d’objectifs internes. Mais la liquidité internationale est un bien public global. En régler l’offre sur les besoins de l’économie mondiale implique une gouvernance internationale. Le défaut de cette gouvernance a provoqué des tensions aigues entre les États-Unis et l’Allemagne au cours des années 1970, les États-Unis et le Japon au cours des années 1980 à la suite des énormes fluctuations du dollar, les États-Unis et les pays accumulant des réserves non désirées dans les années 2000, les États-Unis et les pays émergents déstabilisés par les flux de capitaux cherchant du rendement immédiat depuis la crise financière.

Les tensions monétaires étant façonnées par les relations politiques, les États-Unis pouvaient les rejeter sur leurs partenaires tant qu’il s’agissait de pays partageant la même philosophie de la vertu des marchés financiers et adhérant aux institutions internationales, parce qu’ils sont dans l’orbite politique et militaire des États-Unis. Les dysfonctionnements monétaires mondiaux changent de nature lorsqu’ils opposent des pays qui ne partagent pas la même conception des relations internationales.
 

L’initiative des BRICS à l’aune de la stratégie chinoise

Le financement de long terme de la BM est lourdement conditionnel et incorpore des critères conformes à ce qu’on peut appeler « le fondamentalisme du marché ». Jusqu’à la crise, il venait en appui aux crédits bancaires syndiqués qui faisaient la majeure partie du financement international vers les pays en développement. Il en est de même de la Banque Asiatique de Développement. Les apports en capital des États-Unis et du Japon ont un rôle prépondérant dans son « business model ». L’initiative des BRICS, comme celle de la Chine qui va créer une Banque Asiatique d’Investissement, qui devrait aussi atteindre un capital de $100mds, sont des outils financiers pour atteindre d’autres buts : financer des infrastructures par des accords de long terme pour renforcer les interdépendances des pays émergents et donc faciliter l’expansion internationale des entreprises, sans conditionnalité politique et en dehors de l’espace du dollar. Cette stratégie est donc complémentaire à celle de l’internationalisation du yuan pour en faire un pivot des transactions en Asie. C’est pourquoi la Chine est très intéressée par l’autre volet : l’accord qui crée une mise en commun de réserves pour combattre collectivement l’incidence des crises financières en dehors du FMI.

Mise dans une perspective plus longue, la conception chinoise des relations monétaires internationales a été énoncée par le gouverneur Zhu Xiaochuan dès 2009. La contradiction entre le bien public global qu’est la liquidité internationale et l’hégémonie de la devise clé émise comme la dette d’un État ne peut être dépassée que par un régime monétaire international. Celui-ci doit être fondé sur des principes multilatéraux communément acceptés, des règles d’ajustement symétriques et une liquidité ultime fournie par le DTS qui n’est la dette d’aucun pays.

L’enjeu est de mettre les États-Unis en situation d’être contraints d’accepter la négociation. Il en sera ainsi lorsque la transformation des rapports de force économiques en faveur des pays émergents sera telle que les répercussions des politiques unilatérales américaines feront retour sur les taux d’intérêts dans les marchés financiers des États-Unis et pourront donc mettre en péril la gestion de la dette publique. En créant le dispositif institutionnel qui accélère la formation d’un système pluri-devises, l’initiative des BRICS participe de la formation de centres de pouvoir monétaire concurrents. Cette avancée dans l’affirmation de pouvoirs monétaires et financiers rivaux va accentuer le besoin d’une gouvernance globale et peut-être relancer la réforme du SMI d’ici 2020.

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