L’accord UE-Mercosur mérite mieux que des caricatures
Billet du 23 juillet 2019
Article publié dans l’édition du Monde datée du 19 juillet 2019, sous le titre « L’accord avec le Mercosur, une police d’assurance pour l’UE ».
L’annonce d’un accord commercial entre l’UE et le Mercosur a suscité en France une levée de boucliers. De fait, l’intérêt de signer un accord commercial de plus n’apparaît pas évident, alors que l’UE est déjà une zone largement ouverte, dont les exportations se portent bien. Surtout lorsque le partenaire est l’un des principaux exportateurs de produits agricoles, dont le plus grand pays vient d’élire à sa tête un président qui pousse le populisme de droite jusqu’à la caricature. L’accès à un marché supplémentaire, fût-il profitable, ne saurait justifier de signer un accord qui alimenterait la déforestation amazonienne en valorisant les produits qu’elle permet d’exporter, ou qui déstructurerait notre agriculture en la soumettant à la concurrence frontale de l’agrobusiness sud-américain.
Mais est-ce bien le cas ? Ces préoccupations sont-elles fondées et d’autres questions ne doivent-elles pas être prises en compte ? Beaucoup des prises de position récentes ne se sont pas encombrées de ces questions, présupposant qu’un accord commercial est fondamentalement mauvais pour l’environnement, notre agriculture, quand ce n’est pas la défense des valeurs portées par les Européens. Ni les précédents historiques ni l’analyse de la situation présente ne justifie pourtant de considérer que le protectionnisme constitue le début d’une solution aux défis auxquels nous faisons face, ni qu’un accord commercial serait nécessairement mauvais. Plutôt que de le mettre à l’index, le commerce international doit être intégré à une réflexion cohérente sur nos choix politiques et économiques, fondée sur une analyse argumentée plutôt que sur des a priori.
Ainsi, la baisse des droits de douane sur un contingent de 99 000 tonnes de viande de bœuf est largement présentée comme annonçant une invasion dévastatrice pour nos éleveurs. Mais cette viande est déjà sur notre marché, nous en avons même importé presque trois fois plus du Mercosur l’an dernier ! Cette libéralisation contingentée permettrait aux exportateurs brésiliens d’augmenter leur marge sur une partie de leur vente, mais ils n’auraient aucun intérêt à baisser leurs prix pour augmenter leurs ventes, parce que leur accroissement se ferait au même niveau de droit de douane qu’avant l’accord. Les conditions de la concurrence sur le marché européen ne devraient donc pas être significativement modifiées : cela paraît peut-être paradoxal, mais les termes de cet accord font douter qu’il augmentera les importations de viande bovine en provenance du Mercosur. La viande de volaille serait dans le même cas de figure, tandis que l’impact sur le marché du sucre devrait être très limité, l’essentiel des contingents tarifaires intégrés dans l’accord existant déjà sous un autre statut. Quant à nos normes sanitaires, elles ne sont en rien modifiées. À l’inverse, cet accord a pour l’agriculture européenne, et pour son économie dans son ensemble, une valeur potentielle de police d’assurance face à la déstabilisation des instances multilatérales. Faut-il attendre de subir plus avant les avanies des mesures unilatérales américaines ou de la concurrence du capitalisme d’État chinois, pour se préoccuper de renforcer notre position de négociation dans la défense de nos intérêts et de notre souveraineté économique ? C’est aussi à l’aune de ces défis qu’il faut évaluer les mérites d’un accord comme celui-ci.
S’agissant de la déforestation de l’Amazonie, elle s’opère principalement sous la pression de la culture du soja, qui n’est pas affecté par l’accord puisqu’il n’est d’ores et déjà pas taxé à l’entrée sur le marché européen. Sous réserve d’une analyse plus approfondie, il n’apparaît donc pas évident du tout que l’accord avec l’Union change les données économiques de ce phénomène. Il peut en revanche en modifier les données politiques, puisqu’il a permis d’obtenir l’engagement du Brésil à mettre en œuvre l’Accord de Paris et à lutter contre l'exploitation illégale des forêts. Balayer ces clauses d’un revers de main sous prétexte que les choix du président brésilien nous déplaisent ou que l’on présuppose qu’il ne respectera pas ses engagements serait sans doute confortable moralement, mais ce serait également renoncer à influencer nos partenaires, alors que l’Europe est à bien des égards leader dans les politiques de développement durable. Veut-on assurer la stricte orthodoxie de la posture morale européenne, ou bien se donner les moyens de peser sur les choix à l’échelle internationale ? L’éthique de responsabilité nécessite de « répondre des conséquences prévisibles de nos actes », soulignait Max Weber. C’est dans cet esprit que devrait être abordé le débat sur l’accord UE-Mercosur, et pas sur des mises à l’index idéologiques. On pourrait alors s’interroger sur la valeur de ces engagements et sur la meilleure façon de s’assurer qu’ils seront respectés, en le comparant à d’autre façons d’essayer d’influencer les choix brésiliens. Il n’y a pas de raison d’accepter des accords purement mercantilistes potentiellement destructeurs à beaucoup d’égards ; pour autant, il serait irresponsable de refuser de réfléchir à la façon dont l’Union peut utiliser positivement sa politique commerciale, qui constitue l’un des leviers les plus puissants pour lui permettre d’influer sur la marche de monde.
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