L’immigration étudiante, entre bénéfices économiques et craintes des administrations
Comme tous les un an et demi en moyenne, le gouvernement a envisagé de faire plancher le parlement sur un projet de loi sur l’immigration. Présenté le 1er février en conseil des ministres, l’examen du nouveau texte a finalement été repoussé à l’automne par Matignon après plusieurs semaines d’hésitations. Il proposait notamment une régularisation facilitée des travailleurs sans papiers ainsi que des possibilités d’expulsion renforcées sous l’intitulé « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration ».
L’enjeu était notamment de répondre aux demandes des entreprises et à une forte immigration de travail, en hausse de 45 % en 2022. Dans la même veine était envisagée la création d’une carte « talent » pour favoriser l’immigration de personnels qualifiés, notamment dans le domaine médical.
En France, et même si cette population spécifique n’était pas directement visée dans le texte du projet de loi, ces talents pourraient pour partie provenir des quelque 230 000 étudiants du supérieur issus des pays en développement qui poursuivaient leurs études dans un établissement français en 2022
Atouts pour les pays d’accueil, les étudiants étrangers en provenance des pays en développement suscitent néanmoins des craintes des services de l’immigration de nombreux pays de l’OCDE quant à leurs intentions une fois sur le territoire.
L’exemple du Canada montre que ces appréhensions peuvent être levées à travers un renforcement des contrôles lors de l’examen des demandes de titres de séjour. En améliorant l’information à la disposition des agents de l’immigration, cette politique permet également une réduction des délais de traitement et augmente les chances d’obtenir un visa pour les étudiants étrangers en provenance des pays en développement. Ceux-ci représentent un vivier potentiel de main-d’œuvre qualifiée et une contribution économique et financière importante pour les pays d’accueil.
Emploi, innovation, financement… des bienfaits multiples
Au Canada et aux États-Unis, les immigrés qui débutent leur vie professionnelle après y avoir étudié sont dotés de qualifications adaptées au marché du travail local, ce qui leur confère un avantage non négligeable par rapport aux autres travailleurs immigrés pour s’y insérer et obtenir des rémunérations équivalentes à celles des nationaux. Comptant pour 22 % des doctorants de l’OCDE contre seulement 6 % des effectifs de l’enseignement supérieur, les étudiants étrangers constituent également un atout pour l’innovation scientifique.
Ils représentent aussi une source de financement non négligeable pour les établissements universitaires puisqu’ils doivent, dans la majorité des cas, s’acquitter de droits d’inscription supérieurs aux étudiants nationaux. Sur l’année scolaire 2021/2022, la contribution nette des étudiants étrangers aux États-Unis monte à près de 34 milliards d’euros.
En France, le nombre d’étudiants étrangers est bien moindre, mais ils rapportent tout de même chaque année 1,35 milliard d’euros. Cette somme correspond à l’ensemble de leurs dépenses (les droits d’inscription mais aussi celles de la vie courante comme les loyers, les dépenses effectuées par leurs familles ou les cotisations versées lorsque les étudiants travaillent) nettes des coûts générés par les bourses, les dépenses d’enseignement, les aides au logement ou la sécurité sociale.
L’immigration étudiante constitue enfin une réponse aux capacités éducatives limitées des pays du Sud, où une classe moyenne, notamment dans les BRICS, est désormais en mesure de financer la mobilité internationale des jeunes adultes.
Des craintes visibles en chiffres
Les chiffres sont là pour témoigner des craintes des agents de l’immigration malgré les précautions administratives et les justificatifs exigés pour l’obtention d’un visa étudiant. En 2009, au Canada, le taux d’acceptation des demandes de titres de séjour était de 96 % pour les étudiants provenant de l’Union européenne et de 86 % pour ceux venant des États-Unis, contre respectivement 68 et 51 % pour la Chine et l’Inde. Le constat est similaire en Australie et au Royaume-Uni, où le taux d’approbation des demandes de visa d’étudiants provenant des pays en développement était largement inférieur à celui des étudiants originaires de pays développés.
D’autres mesures attestent de la méfiance des administrations. Au Royaume-Uni, en 2016, les visas de 36 000 étudiants non-Européens ont été annulés sous prétexte de triche à un test de langue. Aux États-Unis, en septembre 2020, l’administration Trump a révoqué quelque 1 000 permis de séjour détenus par des étudiants chinois au nom de la lutte contre l’espionnage.
Les difficultés administratives rencontrées par ces étudiants présentent un risque pour l’attractivité des pays d’accueil de l’OCDE, et des opportunités pour les destinations concurrentes. Pour les établissements universitaires, ce sont des places laissées vacantes par des élèves pourtant recrutés sur leurs compétences académiques (avec à la clé une perte financière), ou qui reviendront à des étudiants qui ne correspondent pas au premier choix des universités.
Plus de contrôle pour plus d’attractivité
Confrontés à cette problématique, plusieurs États ont choisi, au tournant des années 2010, de réformer leur système de visas en y intégrant des garde-fous spécifiques, notamment le Canada. Alerté par les faibles taux d’approbation des demandes de visas des étudiants indiens, le gouvernement, en partenariat avec le réseau Collège et Instituts Canada, a mis en place en 2009 le Student Partners Program (SPP).
En échange de garanties supplémentaires en matière de ressources financières et de compétences linguistiques, les étudiants se sont vu offrir une réduction des délais de traitement de leur demande de visa et une probabilité plus importante que celle-ci soit acceptée. Pour répondre aux inquiétudes des services de l’immigration quant aux intentions réelles des demandeurs de titre de séjour, le dispositif est complété d’un suivi des progrès de la scolarité par les établissements. Il s’adressait au départ aux étudiants indiens et chinois, puis vietnamiens à partir de 2016, avant d’être remplacé par le Volet direct pour les études en 2018. Ce programme est similaire au SPP mais élargi à l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur canadiens. Y sont aujourd’hui éligibles les étudiants étrangers originaires de 14 pays différents.
La mesure s’est avérée très efficace pour les étudiants dont le taux d’approbation des demandes de visa était particulièrement bas avant sa mise en place.
Entre 2009 et 2014, le SPP a en effet conduit à une hausse de 181 % des inscriptions des étudiants indiens avec deux mécanismes à l’œuvre : une amélioration du taux d’approbation de leurs demandes de visa (de 39 à 73 %) et une augmentation massive, de 92 %, du nombre de demandes visa. Le tout sans effet d’éviction pour les étudiants canadiens : leur nombre n’est statistiquement pas plus faible dans les établissements accueillant davantage d’étudiants étrangers.
L’exemple de la réforme canadienne montre ainsi qu’un renforcement des contrôles qui améliore la qualité de l’information à disposition des services de l’immigration permet de lever les craintes d’immigration déguisée et, partant, de réduire significativement les rejets de demandes de visa. C’est aussi et surtout un moyen de renforcer l’attractivité des pays d’accueil et des institutions qui en bénéficient.
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