Approvisionnement énergétique : le dilemme européen
Le conflit ukrainien consacre la rivalité entre deux modes d’approvisionnement (gaz naturel liquéfié transporté par bateau et gaz naturel acheminé par gazoduc) et trois blocs (États-Unis, UE, Russie).
Par Laurence Nayman, Alix de Saint Vaulry
Billet du 19 mars 2014
La maîtrise des approvisionnements en gaz naturel constitue pour de nombreux pays un enjeu géostratégique majeur. La remise en cause des frontières de l’Ukraine et les tensions internationales qu’elle suscite menacent particulièrement l’équilibre recherché par l’Union européenne dans son approvisionnement énergétique.
Avec le « paquet Climat et énergie », la Commission a avancé en 2008 un ensemble de préconisations concernant l’avenir énergétique de l’Europe à l’horizon 2020 et au-delà. L’objectif est de sécuriser les approvisionnements énergétiques européens, notamment par la diversification des fournisseurs et la connexion des différents réseaux nationaux, et d’augmenter la part des énergies propres, dont le gaz fait partie, dans la consommation énergétique totale. Le report de la signature des accords d’association, notamment avec des pays comme l’Azerbaïdjan qui borde la mer Caspienne, riche en ressources gazières, met à mal le projet européen d’ériger le corridor gazier sud-européen (Nabucco), une des composantes de la stratégie européenne.
En matière de gaz naturel, les positions des pays européens vis-à-vis de la Russie ne sont pas équivalentes : le Royaume-Uni et l’Espagne reçoivent une partie de leur gaz sous forme liquéfiée par bateau alors que l’Allemagne et les pays de l’est de l’Europe sont fournis par gazoduc principalement en provenance de Russie. Le Royaume-Uni importe son gaz de Norvège par pipeline et du Qatar sous forme liquéfiée. En 2012, cette dernière source s’est contractée avec la hausse des prix liée à la demande asiatique. L’Espagne se fournit auprès de l’Algérie.
L’Europe reste globalement très dépendante de son approvisionnement en gaz et pétrole russes. Les données des bases Chelem du CEPII et Comext d’Eurostat indiquent que le gaz, le pétrole brut et le charbon en provenance de Russie occupent une place prépondérante dans les importations de l’Union européenne à 27 en 2012 (voir graphique). Pour le gaz naturel, avec une part de marché d’environ 30 %, la Russie est là encore et surtout le premier fournisseur de l’UE-27, suivie par la Norvège et l’Algérie. En Europe, seulement les Pays-Bas et le Danemark sont exportateurs nets.
Le gaz naturel est la deuxième source de consommation énergétique européenne (23 % en 2012 derrière le pétrole, 34 %). Selon Eurostat, en 2030, les importations de gaz de l’UE devraient avoir plus que doublé par rapport à 2000. Le gaz est un enjeu pour lequel l’Union européenne, particulièrement l’Allemagne, engagée dans une coûteuse transition énergétique, et les pays d’Europe centrale les plus dépendants du gaz russe, devra durablement composer avec la Russie.
Plusieurs facteurs concourent à faire de la Fédération de Russie un partenaire incontournable, au moins à court et moyen terme, en ce qui concerne le gaz naturel.
D’abord, en termes de fournisseurs actuels, l’épuisement des ressources en Norvège prévu à partir de 2015 et la baisse des importations de gaz liquéfié (GNL) acheminées par bateau du fait de la hausse de son prix font reculer la perspective de moindre dépendance aux importations de gaz russe.
Ensuite, les fournisseurs potentiels ne sont pas encore prêts, que ce soit Israël avec le réservoir Léviathan dont la commercialisation ne devrait pas débuter avant 2017 ou Chypre avec le gaz découvert dans le prolongement de Léviathan, ou encore les Etats-Unis limitant actuellement le nombre de permis d’exporter du gaz de schiste. Aux Etats-Unis, le débat ouvert entre ceux qui veulent déverser ce nouvel or sur l’ensemble de la planète et promettent des baisses de prix faramineuses et ceux qui souhaitent conserver des réserves stratégiques est loin d’être tranché. Pour l’instant, le nombre d’heureux élus autorisés à importer du gaz américain se réduit aux pays de l’Alena.
Enfin, les investisseurs ont engagé des capitaux importants dans la construction d’infrastructures gazières. Doublant les gazoducs déjà existants (Brotherhood qui traverse notamment l’Ukraine), il est prévu que le Nordstream, à capitaux principalement russes, allemands et français (GDF), et le Southstream à capitaux russes, italiens et français (EDF), acheminent du gaz vers l’Allemagne d’une part, les pays est-européens et l’Italie d’autre part. De même, Gazprom serait intéressé à la commercialisation du gaz provenant du gisement Tamar exploité par Israël et pourrait participer à l’exploitation du gaz chypriote. En outre, le coût prohibitif de construction de terminaux gaziers dans les pays importateurs réduit également l’ambition européenne.
Références :
Base de données Chelem du CEPII
Eurostat (2013). Quarterly Report on European Gas Markets. Market Observatory for Energy, DG Energy, vol. 6, issue 2, second quarter.
Marinekommando Jahresbericht 2013 – Fakten und Zahlen zur maritime Abhängigkeit der BRD – Kapitel 5 : Energie und Rohstoffversorgung.
Avec le « paquet Climat et énergie », la Commission a avancé en 2008 un ensemble de préconisations concernant l’avenir énergétique de l’Europe à l’horizon 2020 et au-delà. L’objectif est de sécuriser les approvisionnements énergétiques européens, notamment par la diversification des fournisseurs et la connexion des différents réseaux nationaux, et d’augmenter la part des énergies propres, dont le gaz fait partie, dans la consommation énergétique totale. Le report de la signature des accords d’association, notamment avec des pays comme l’Azerbaïdjan qui borde la mer Caspienne, riche en ressources gazières, met à mal le projet européen d’ériger le corridor gazier sud-européen (Nabucco), une des composantes de la stratégie européenne.
En matière de gaz naturel, les positions des pays européens vis-à-vis de la Russie ne sont pas équivalentes : le Royaume-Uni et l’Espagne reçoivent une partie de leur gaz sous forme liquéfiée par bateau alors que l’Allemagne et les pays de l’est de l’Europe sont fournis par gazoduc principalement en provenance de Russie. Le Royaume-Uni importe son gaz de Norvège par pipeline et du Qatar sous forme liquéfiée. En 2012, cette dernière source s’est contractée avec la hausse des prix liée à la demande asiatique. L’Espagne se fournit auprès de l’Algérie.
L’Europe reste globalement très dépendante de son approvisionnement en gaz et pétrole russes. Les données des bases Chelem du CEPII et Comext d’Eurostat indiquent que le gaz, le pétrole brut et le charbon en provenance de Russie occupent une place prépondérante dans les importations de l’Union européenne à 27 en 2012 (voir graphique). Pour le gaz naturel, avec une part de marché d’environ 30 %, la Russie est là encore et surtout le premier fournisseur de l’UE-27, suivie par la Norvège et l’Algérie. En Europe, seulement les Pays-Bas et le Danemark sont exportateurs nets.
Le gaz naturel est la deuxième source de consommation énergétique européenne (23 % en 2012 derrière le pétrole, 34 %). Selon Eurostat, en 2030, les importations de gaz de l’UE devraient avoir plus que doublé par rapport à 2000. Le gaz est un enjeu pour lequel l’Union européenne, particulièrement l’Allemagne, engagée dans une coûteuse transition énergétique, et les pays d’Europe centrale les plus dépendants du gaz russe, devra durablement composer avec la Russie.
Plusieurs facteurs concourent à faire de la Fédération de Russie un partenaire incontournable, au moins à court et moyen terme, en ce qui concerne le gaz naturel.
D’abord, en termes de fournisseurs actuels, l’épuisement des ressources en Norvège prévu à partir de 2015 et la baisse des importations de gaz liquéfié (GNL) acheminées par bateau du fait de la hausse de son prix font reculer la perspective de moindre dépendance aux importations de gaz russe.
Ensuite, les fournisseurs potentiels ne sont pas encore prêts, que ce soit Israël avec le réservoir Léviathan dont la commercialisation ne devrait pas débuter avant 2017 ou Chypre avec le gaz découvert dans le prolongement de Léviathan, ou encore les Etats-Unis limitant actuellement le nombre de permis d’exporter du gaz de schiste. Aux Etats-Unis, le débat ouvert entre ceux qui veulent déverser ce nouvel or sur l’ensemble de la planète et promettent des baisses de prix faramineuses et ceux qui souhaitent conserver des réserves stratégiques est loin d’être tranché. Pour l’instant, le nombre d’heureux élus autorisés à importer du gaz américain se réduit aux pays de l’Alena.
Enfin, les investisseurs ont engagé des capitaux importants dans la construction d’infrastructures gazières. Doublant les gazoducs déjà existants (Brotherhood qui traverse notamment l’Ukraine), il est prévu que le Nordstream, à capitaux principalement russes, allemands et français (GDF), et le Southstream à capitaux russes, italiens et français (EDF), acheminent du gaz vers l’Allemagne d’une part, les pays est-européens et l’Italie d’autre part. De même, Gazprom serait intéressé à la commercialisation du gaz provenant du gisement Tamar exploité par Israël et pourrait participer à l’exploitation du gaz chypriote. En outre, le coût prohibitif de construction de terminaux gaziers dans les pays importateurs réduit également l’ambition européenne.
Graphique - Fournisseurs de l'UE-27 en charbon, pétrole brut et gaz naturel
Source : calculs des auteurs à partir de CEPII - Chelem et Eurostat - Comext. |
Références :
Base de données Chelem du CEPII
Eurostat (2013). Quarterly Report on European Gas Markets. Market Observatory for Energy, DG Energy, vol. 6, issue 2, second quarter.
Marinekommando Jahresbericht 2013 – Fakten und Zahlen zur maritime Abhängigkeit der BRD – Kapitel 5 : Energie und Rohstoffversorgung.
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